Chapitre 11- Fuite

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Elle courrait à toute allure dans les basses rues. Elle ne pouvait pas aller se réfugier dans les champs brumeux, Ankou la retrouverait forcément là-bas. Pour l'instant elle se contentait de fuir en changeant de direction le plus possible pour perdre ses poursuivants. Ses grelots la trahissaient. Contre des gardes, ce n'était pas un problème. Elle les narguait avec, même. Mais eux... Elle avait détaché ceux de ses poignets, quant à ses chevilles... Elle n'osait s'arrêter pour les enlever, de peur qu'ils ne soient juste derrière elle. De toute façon, le cuir avait dû être endommagé par les flammes tout à l'heure. Avec de la chance ils tomberaient tout seul...

Elle atteint une artère principale de Silcèn, où patrouillait un détachement de garde. Ils s'arrêtèrent tous devant elle, les yeux grands ouverts, s'échangeant des regards hébétés. Devant eux, une enfant à demi nu, squelettique autant que son tatouage, et les pieds brûlés jusqu'aux chevilles, se tenait haletante.


« Au secours ! Il y a un homme qui me poursuit ! Il me veut du mal ! »


Elle avait si bien joué que les larmes lui étaient montées aux yeux. Les gardes s'interposèrent entre Seynan qui arrivait et la fillette. Elle en profita pour arracher les grelots bruyants, pendant que les arcaniens hurlaient à son poursuivant de ne pas bouger.


« Tu ne veux pas que tous ces gens meurent à cause de toi ?»


L'Embrumeuse leva les yeux sur l'invisible moissonneur au-dessus du groupe de mortel. Sa faux dans la main, il attendait. Elle s'élança dans la rue à toute jambe. Entendit le bruit d'une arme qu'on dégaine... Des chocs métalliques... Un chuintement dégoutant...

Elle glissa sur le sol pavé et frappa violement les dalles de pierre dans sa chute. Des larmes véritables dans les yeux, elle se mordait les lèvres si fort que le gout du sang inonda sa bouche.

Ne pas se retourner. Se relever et partir.

Une main décharnée se posa sur son épaule. Elle se voulait légère. Autant que les paroles qui suivirent :


« Viens avec nous, ces morts sont inutiles. Ne les impose pas à ta conscience. »


Elle se releva avec difficulté et se tourna. Tous les hommes étaient au sol, sauf un. Lui. Encore lui. Toujours lui. Cette fois, son sabre était immaculé. Son visage furieux. Deux grandes ailes brumeuses dans son dos se repliaient lentement. Il marcha vers elle et saisit son bras avec force en la secouant.


« Petite peste ! »


Seynan se ravisa en un instant, voyant le fluide rubis abondant sur le visage de la fillette. Un de ses genoux s'était écorché salement dans la chute. Et il voyait la peau de ses jambes cloquée.


« Ils sont mort ? balbutia-t-elle entre deux sanglots.

- Non, pas encore, dit le faucheur qui lévitait à présent à sa hauteur. Lame nocturne les a seulement cogné un peu fort.»


La poigne sur son bras grêle se faisait soudain tremblante. C'était bien la dernière chose à laquelle s'attendait l'enfant. Elle reporta son attention vers l'arcanien penché sur elle. Ses yeux étaient injectés de sang. Les muscles de sa mâchoire se contractaient par à-coups. C'est alors qu'elle remarqua le sabre. La lame était en tranome, un cristal noir anti-magie, et quelque chose bougeait à l'intérieur. Il la lâcha soudain en la repoussant en arrière.


« Va au Fantassin Emérite, Ankou te suivra. Si tu n'y es pas quand je reviens, je tuerai ton frère. C'est clair ? »


Son cœur se serra. Elle n'eut pas le temps de répondre, en un battement d'aile, l'homme s'éleva dans les airs et disparu vers une ruelle plus sombre. Le faucheur à son côté voulu lui reposer sa main sur l'épaule. Elle se déroba, fulminante.


« Non ! »


Ankou stoppa son mouvement. La lame de sa faux reposait sur le sol. Elle regardait l'outil agricole, immense. Entre deux hoquets elle continua à hurler :


« Comment as-tu pu ? Tu as aussi vendu mon frère ?! Tu n'es qu'un traître ! Tu ne mérites pas de vivre !

- Ah! La ferme hein ! Vous avez vu l'heure !? Allez-vous battre ailleurs, piliers de taverne ! »


Une femme criait de sa fenêtre haute, et jeta par la même occasion un sceau d'immondice, se voulant dissuasif, dans la rue. L'enfant leva les yeux. La femme la vit, et continua de l'insulter, sans percevoir l'invisible masse ombrageuse à côté d'elle, ni prêter attention aux corps des soldats allongés dans l'ombre de la rue :


« Sale gosse ! Va jouer ailleurs fille de putain ! Il y en a qui ont une vie et qui travaille demain! »


Feu.

Des sensations si fortes, si soudaines.

Elle tendit la main vers la faux que tenait son ancien ami. Il tenta de s'y agripper, et grâce au tissu de son capuchon, la sidération de ne pouvoir la retenir resta masquée.


Elle bondit vers lui. Le tranche de part en part. Sans un bruit, il disparait, comme aspiré par l'arme. Dans les entrailles de la fillette, quelque chose exulte. Une sensation étrange dans son ventre, sa poitrine, sa tête. Ça gagne ses membres. Un picotement intense. Une chaleur agréable mêlée à une froideur acide...


La femme, toujours à sa fenêtre, en était encore à explorer son répertoire d'insulte. Elle ne semblait pas voir l'immense faux dans la main de la gamine qui se tournait vers elle avec des yeux d'un blanc pur.

L'Embrumeuse lança la faux qui disparut au contact de la façade. La femme se tut soudain, se tint le cœur en un dernier mouvement et tomba en avant. Elle atterrit dans la flaque d'ordure qu'elle avait jeté, au pied d'un squelette ondulant, qui lui tournait déjà le dos en murmurant d'une voix rauque :


« Tu avais une vie. »


Elle marchait vers les gardes allongés quelques mètres plus loin. Ils étaient toujours assommés. Elle s'arrêta au milieu de leur petite troupe. La sensation s'était muée en un grand vide. Béant. Abyssal. Il fallait le combler. C'était comme... Comme de la faim.

Elle avait faim.  


***

Voilà un chapitre plutôt court! 

En prime, l'Embrumeuse vous souhaite de joyeuses fêtes! 

En prime, l'Embrumeuse vous souhaite de joyeuses fêtes! 

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On l'appelle L'EmbrumeuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant