On l'appelle L'Embrumeuse

Chapitre 22 - Révélations

Daran déposa les corps des deux enfants devant le grand portail de bois. Il avait choisi de passer par l'entrée de service du palais, celle-là même que Mélir leur avait conseillé. Mais lorsqu'il voulut frapper à la porte en hélant la garde, seul un grognement gras s'échappa de sa gueule. Il sursauta, et porta ses mains à sa figure. Du bout des doigts, il se rendit compte de la déformation encore présente, tandis que le reste de sa transformation s'était dissipé. De rage, il frappa du poing dans le montant en pierre grise devant lui.

Il subissait un contrecoup arcanique.

Il se doutait qu'il y serait sujet, mais ne pensait pas qu'il serait si handicapant. Cela faisait trop longtemps qu'il ne s'était servi de son arca, et le sortilège qu'il avait convoqué sur sa personne était puissant et complexe. Arcana se venge, pensa-t-il avec ironie. Maitriser les flux éthériques qui portaient la magie dans son corps était un exercice difficile, et un faux pas entraînait toujours ce genre d'effets secondaires, fréquents lorsque l'on invoquait trop de puissance pour son niveau. Daran gratta son cuir chevelu bleu roi, réfléchissant à une solution pour communiquer avec les gardes. Ce type de contrecoup n'était pas très grave au sens le plus strict. Il percevait bien qu'il se dissiperait d'ici quelques jours, et n'avait juste laissé quelques parties de son corps bloqué entre deux phases de métamorphose. C'était ennuyeux pour communiquer à l'oral, certes, mais ce n'était pas mortel. Il s'agissait là même, d'une conséquence plutôt enviable, finit-il par se dire pour se rassurer, quand certains retours de bâton demeuraient indélébiles, et poussaient les magiciens trop ambitieux vers leur point de non-retour...

Non sans une certaine dose d'amertume, il se pencha pour prendre le pouls du jeune adolescent. Il avait tant faibli qu'un instant, Daran le cru mort. Il soupira lorsqu'il sentit la faible pulsation sous la pulpe de ses doigts. Il se pencha ensuite sur la fillette pour faire de même. Une voix arrêta son geste.

« Par Iliréel, que fais-tu ? »

Il n'osa se tourner, ne voulant pas exposer son faciès ravagé par le sortilège, mais fut pris d'une panique pétrifiante. Il l'avait reconnu. Emiri était là, derrière lui. Comment ?

Alors que ses pensées galopaient dans sa tête si fort qu'il ne trouvait aucune solution, il sentit la chaleur de sa maîtresse sur ses épaules et son dos. Il la repoussa, se leva, et resta encore de dos, toujours perdu, se rapprochant de la muraille où il s'appuya.

Emiri poussa un soupir, puis, posa les yeux sur les deux corps inertes, avant de retenir un cri. Elle vint encore auprès de son amant, et cette fois, malgré ses coups de coude mous, elle tint bon et l'enlaça de force. Prenant une voix douce, mais ferme, elle articula, plus déterminée que jamais :

« Mon luecsy, mon amour, ma vie, je me fiche de ton serment, ou de quoi que ce soit. Ces enfants sont mourants et tu as voulu les sauver ? »

Elle vit qu'il hochait la tête.

« Bien, alors sauvons-les. Je m'inquiétais pour toi, si tu savais. Prends-les, j'ouvre. »

L'arcanien s'exécuta, tout en essayant de cacher son visage. Emi comprit son malaise, mais le temps n'était pas à l'apitoiement. Elle avait reconnu les traits de la fillette. Comment aurait-elle pu les oublier. Même si elle portait un étrange dessin de squelette sur elle, elle en était sûre, il s'agissait de cette petite qui était passé à travers sa fenêtre. Celle-là par qui tout avait commencé. Elle caressa son visage avec tendresse une fois que Daran la remonta sur son épaule, puis elle effleura doucement du bout des ongles le front de son amant, avec un sourire compatissant.

Sa mâchoire s'était allongée, déformé en longueur, et sa barbe saphir avait rongé jusqu'à ses tempes. Il était presque méconnaissable, et surtout, il ressemblait à un monstre de foire.