Chapitre 18 - Encore plus loin

26 12 0
                                    


  La terre trembla. Daran perdit l'équilibre, surpris, alors qu'il descendait une rue pour aller vers les faubourgs.

Il allait se tenir au mur d'une maison quand il esquiva des tuiles qui en tombaient. Quelques cris s'élevèrent, et la panique gagna les passants.
Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Il n'y avait pas eu de tremblement de terre à Silcèn depuis... depuis... il ne savait même pas !

Alors qu'il se demandait encore comme trouver cette aiguille de fillette dans la botte de foin qu'était la ville, il constata avec effrois des feux follets colorés s'élevant vers le ciel au loin. Ils sortaient d'un lieu non loin des abords de la cité.
Il n'avait vu ça qu'une fois, lors d'une grande confrontation pendant son service dans la légion impériale. Il y avait eu tant de morts, que les âmes des défunts voletaient sur le champ de bataille, les Arcanistes Impériaux présents ne pouvaient pas les dissiper toutes...

Il réfléchit un instant. Il n'y avait pas grand-chose de ce côté-là à part l'atelier de fonderie de Déon. Et la mine de Lops.
Au fond de lui, Daran se maudissait. En temps normal, il n'irait pas là-bas. Non, il tournerait les talons comme s'il n'avait rien vu, et attendrait que la garde du gouverneur se jette dans ce traquenard. Mais il avait l'intime conviction que cette gamine et sûrement ce foutu Seynan, serait là-bas.

Il ne savait pas exactement pourquoi il avait voulu courir après l'enfant. Mais si l'Arcaniste la voulait tant, il y avait bien une raison. Et il ne trouvait pas de solution à son problème... Il n'avait même pas eu le temps de demander à ses compagnons de l'aider pour faire sortir de la ville les prostituées de Jisgur et Arul, dans la précipitation. Au moins la tuerie de la famille Silar éclipserait celle de la maison de contrat songea-t-il. Il craignait de devoir le dire à ses collègues, mais ce dernier évènement l'arrangeait bien finalement.
À présent, il devait trouver la fillette, et voir ce qu'elle pouvait lui apporter. Avec un peu de chance, si l'Arcaniste d'Ombre la voulait vraiment, il pourrait l'échanger, et s'assurer que plus jamais ce manieur de magie obscure et dangereuse ne s'approche d'Emiri.

Il partit en hâte vers la mine, avec une pointe d'inquiétude au fond du ventre.


***


L'Embrumeuse n'en pouvait plus. Le souffle court, elle essayait bien de tirer, mais ses doigts refusaient de rester accrochés à la toile. Ses bras défendaient à se tendre. Et ses jambes commençaient à flancher.
Elle tomba assise, le visage en larme, et caressa doucement la joue de Tristan. Il était fiévreux, et même si elle avait essayé de le garder conscient, depuis quelques instants déjà, il avait sombré dans un coma profond. Elle prenait son pouls régulièrement, la peur aux tripes de finir par ne plus le sentir. Il avait déjà tellement ralentit...

« Allez grand frère, tiens bon ! Je sais que je ne suis qu'au deuxième niveau, mais je vais y arriver. Il faut que j'y arrive... »

Torm serra les poings, et tenta de chasser la tristesse qui l'envahissait. Elle se releva avec peine, et chercha du regard une nouvelle aide à cet étage de la mine. Tout le monde avait quitté son poste, elle l'avait vu en arrivant, mais en plus, l'explosion avait provoqué quelques éboulements. La rampe d'accès qui se poursuivait vers la surface était largement encombrée.
Elle grimaça et choisit de s'éloigner de son frère et de faire le tour du niveau. Elle ne voyait toujours pas de chariot à bras. Rien qui aurait pu l'aider...

Elle allait à nouveau fondre en larmes, quand ses yeux se posèrent sur des cordages enroulés derrière un baquet d'eau d'arrosage. Elle s'en saisit, et réfléchit un instant. On mettait aux chevaux des harnais pour tirer les chariots. Elle avait déjà vu faire lors de la grande foire de Silcèn, les marchands qui venaient de loin. Et parfois même, elle avait eu l'occasion de croiser des attelages de nobles qui passaient à toute allure dans les rues.

Elle revint auprès de son frère, et arrangea les cordes sur le sac de toile vidé. Puis elle entreprit de nouer le reste sur son corps. Gauche, elle prit beaucoup de temps pour se faire, et la paille de la corde lui piquait les mains. Quelques échardes fines s'y plantèrent, et bien qu'elle n'en ressente pas le mal, la sensation n'en demeurait pas moins désagréable.

« Tien bon Tristan, on y est presque ! »

Elle se mit à tirer avec l'énergie du désespoir. Si l'idée de se harnacher comme une bête de somme réduisait un peu sa peine, elle sentait bien qu'elle n'aurait pas la force d'atteindre la sortie. Mais elle préféra ne pas y songer. Passer les gravas était déjà bien difficile, inutile de s'encombrer de pensées négatives, se dit-elle en son for intérieur.


***

Arul sentit le tremblement. Il se jeta sur le corps de Célia pour la protéger jusqu'à ce que la secousse cesse.

Il était venu au palais visiter sa belle, et la matinée était bien avancée, l'or du ciel passant à l'orange cuivré, quand Mélir, l'Arcaniste de lumière, vint le faire entrer. Les gardes refusaient de le laisser passer.
Il s'était assis au chevet de la pauvrette, silencieux, l'air perdu. Les yeux dans le vide, il était resté immobile jusqu'à cet évènement étrange.

« Aïe ! Bordel de fumier ! »

Le jeune amoureux se releva brusquement. Il avait entendu une voix d'homme qui jurait et le bruit d'une verrerie brisée, dans la pièce voisine de l'arrière chambre. Il fronça les sourcils. Mélir avait pourtant dit qu'il n'avait pas de serviteur, et que personne d'autre que lui ne venait ici.

Il resta sur ses gardes, et se glissa sur le côté de la porte, de façon à pouvoir se cacher si quelqu'un entrait.

L'invité indésirable ne tarda pas à pousser le battant de bois lentement. Une longue dague effilée en avant, il pénétra à pas de loup, et se dirigea vers le lit ou dormait la jeune arcanienne.

Arul attrapa une vasque sur un coffre à côté, et avança dans le dos de l'assassin. Avant que celui-ci ne passe à l'attaque, il abattit la pièce en terre cuite sur sa nuque.
Puis, il récupéra l'arme de l'intrus, et sans plus réfléchir, la lui planta dans le cou.

Il se tourna vers l'embrasure de la porte, s'en approcha, et vit que quelques fioles qui reposaient sur le bureau de Mélir étaient tombées au sol. L'assassin avait marché dedans, et on pouvait suivre ses traces de pas.
Il ferma la porte, et retourna s'asseoir auprès de Célia en marchant sur le cadavre encore chaud.

L'expression sur son visage demeurait toujours aussi étrange et indescriptible. Il prit la main de sa dulcinée, et commença à se bercer d'avant en arrière sur sa chaise.

On l'appelle L'EmbrumeuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant