14. Préparation

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J'essaye d'oublier. C'est inévitable, je vais devoir arrêter mes études. Un instinct de soumission, que je connais bien, me pousse à accepter ce destin. Je sais ce qu'il m'attends : Célestin qui travaille toute la journée, ne revenant que tard, fatigué, enfermé dans le mutisme, et moi, lasse, ayant passé la journée à travailler à la maison, à cuisiner et à faire le ménage. Le rêve absolu...

               Ce futur me déplait, mais je sais que je m'y ferais. En attendant, les préparatifs du mariage se font en douce, je n'en ai encore parlé qu'à Mélodie et Camille (qui, d'ailleurs, se sont réconciliées). Les invitations en cours sont sur la table de la cuisine. En haut de la pile trône celle d'Ismaël...

                   Je le laisse espérer. Je n'arrive pas à lui expliquer  que notre routine touche à sa fin. Les regards amoureux en cours, ma main qui effleure la sienne dans les couloirs, nos rendez-vous rapides chez lui, avant que ses parents arrivent, que nous passons sur le canapé, enlacés tendrement, tout cela sera bientôt balayé. Oublié.

                       J'ai donc poussé le drame jusqu'au bout puisque, pour l'informer de la "mésaventure" qu'est mon mariage, je l'ai tout simplement convié...  Ça va sans doute le faire souffrir, je sais, et c'est sans aucune idée de mise en scène sadique que je l'invite à la cérémonie. C'est juste que je ne peux pas lui faire comprendre autrement...

                   Quant à Célestin, je dois aller le voir ce soir, sans grand enthousiasme. Nos derniers rendez-vous ont été désastreux, avec une ambiance glaciale, des parents qui se disputent à propos du budget, mon futur époux qui me dévisage avec ennui et une pointe de sarcasme, et enfin ma petite personne, gênée au milieu de ces gens, mal à l'aise avec ce regard critique d'or rose qui me scrute.

                  J'essaye de passer le temps en attendant l'heure de notre sortie chez mon "aimable" future belle-famille. Ma mère est anxieuse, je le sais car elle se mord les lèvres avec frénésie. C'est un habitude chez elle, elle prétend que cela la détend.

                 Lorsque l'on sort, la nuit est tombée sur le quartier miséreux des Infs. Les lampadaires projettent une lumière orangeâtre sur tout,  et on ne peut distinguer correctement les étoiles à cause de l'importante pollution lumineuse. Ma mère ouvre la marche, et regarde avec envie une maison d'Infs plutôt aisés, puisqu'ils possèdent un minuscule jardin et que de leur fenêtre ouverte s'échappe un odeur de bonne viande.
Nous passons dans une rue peu fréquentée, avec des immeubles décorés de pancartes "à louer".

                   Il fait froid, nous marchons depuis une demi-heure, je crois que nous nous sommes un peu perdues... Un chien aboie, loin dans l'obscurité.
Une lune amincie nous surplombe, et cette vison me réconforte un peu.
 
                   La petite silhouette devant moi s'arrête, et me dis d'une voix incertaine :

"- Karina? C'est bien la rue 56? Aide-moi, je n'arrive pas à lire... Ah c'est bon nous y sommes! Il faut trouver leur maison maintenant ! 3...5...7...
Ça doit être un peu plus loin... Mais dépêche-toi à la fin! On a déjà dix bonnes minutes de retard!"

              Et je la suis, docile. Je vais pour la première fois visiter la maison de Célestin. Ma mère s'arrête devant une maison plus petite que la nôtre, absolument impersonnelle, fidèle au quartier,  cube de béton du quel se dégage une odeur de chou... Rien de très appétissant...

                 On sonne, et le bruit d'un fenêtre qu'on ouvre nous répond. Au-dessus de nos têtes apparaît celle de Mme.Goarne, qui nous crie d'entrer. La main sur la poignée de la porte en bois, je fais irruption dans leur salon, et Célestin lève la tête de son livre.

                  Vide. C'est exactement comment je pourrais décrire la pièce que je sonde de mon regard. Une table noire, quatre chaises grises et un petit tabouret rouge et abîmé. Aux murs, de vieux poster de notre "président".  La gaité de la maisonnée réside en trois petites tâches de couleurs : le poster bleu avec le visage bouffi du président, le rouge du tabouret, et une couverture verte et hideuse qui orne une des chaises.

                    Après les " bonjour" faussement enjoués et les "j'espère que vous allez bien" qui n'attendent pas de réponses, Célestin est prié de me faire visiter. Je sais qu'il considère cela comme une corvée...
              La salle de bain est modeste, avec un bac tenant place de douche, et des courants d'airs tout le temps.
               La chambre du futur marié est plutôt spacieuse, j'apprends qu'il la partageait avec son grand frère avant le départ de celui-ci. Les murs sont nus, un tapis beige réchauffe un peu l'atmosphère de la pièce. Une petite ouverture vitrée permet de voir la ville, dont le centre brille de milles néons.
                 Je n'ose pas lui demander où sont les toilettes, alors je prends mon mal en patience.
                Luxe que nous ne possédons pas, la cuisine est séparée de la salle à vivre. C'est l'endroit le plus accueillant du logis, il y fait chaud, et un fumet plutôt appétissant y règne. Les murs pâles, salis par les années, sont agrémentés de petits placards où sont rangés les ingrédients. Je préfèrerai rester là plutôt que de manger dans le salon sinistre.

                   En plus du vide présent, le silence s'installe autour de la tablée. Célestin m'ignore royalement, et s'amuse à projeter des miettes de pain dur avec sa cuillère pour tromper son ennui.
 
                 Le fumet prometteur de la cuisine n'a rien avoir avec ce qui se trouve dans mon assiette. J'enfourne avec dégoût ma fourchette pleine de l'espèce de bouillie de chou que ma belle-mère a préparée. Je déglutis avec bruit, et j'ai le droit à un regard assassin de toutes les personnes présentes. Génial. Je m'éclipse avec mon cher promis avant la fin du repas.

                  Une main brûlante étreint ma taille. Célestin, d'un air indifférent, agis comme si ce geste faisait partie du quotidien. Les yeux comme des soucoupes, je le fixe, et me sens rougir jusqu'à la racine des cheveux. Juste avant qu'on ne disparaisse de l'angle de vue des adultes, il ose poser un baiser sur mon front écarlate. Une fois dans sa chambre, il hausse les épaules d'un geste d'excuse :

"- Mes parents trouvent que je ne suis pas assez... Démonstratif avec toi. Avec ce que je viens de faire, j'espère leur prouver ma bonne foi... Inexistante. Car mon avis sur toi n'a pas changé : insignifiante..."

Je baisse les yeux. Devant les gens, il va falloir que je fasse semblant de l'aimer, et vice versa. Ma vie de couple est résumée à l'expression sarcastique qui déforme ce visage angélique... Je pousse un long, très long soupire...

              ★★★★★★★

Salut ! J'ai vraiment essayé de pousser la description plus loin et de faire un chapitre plus long, mais j'ai peur de vous ennuyer... Pouvez-vous me dire en commentaire ? Merci beaucoup !

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