22. Des ennuis

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Au bout de quelques instants, j'arrête ma course: il fait nuit, il pleut, et je ne ne sais pas où peut se trouver Mélodie.
L'air sent le goudron mouillé et le tissu de mes vêtements me colle à la peau; le déluge s'intensifie.

Je manque de pleurer de frustration : je connais si peu ma propre ville et ma meilleure amie que je suis incapable d'imaginer où elle est...
Je déambule, un peu au hasard, retenant ma respiration à l'arrivée d'un garde, accourant lorsque je crois entendre la voix de mon amie métisse. Elle doit être en train de coller ses stupides affiches, ou de risquer sa vie, alors qu'elle n'est même pas encore remise de sa précédente excursion.
Soudain, sous la lumière orange d'un lampadaire, j'aperçois une ombre. Je m'élance vers elle, un garde aurait fait du bruit, c'est forcément quelqu'un qui se cache, quelqu'un qui sait où se cache Mélodie. Je ne suis pas déçue : je me retrouve face à un regard brun piqueté d'or. C'est elle.
Le reste de son visage est couvert par une sorte de cagoule, et ses habits sont trempés. Dans une main elle tient un seau remplit de colle; de l'autre, une espèce de sac volumineux et imperméable.

"-Karina!? Tu peux m'expliquer ce que tu fous là ?

-Je pourrais te retourner la question... Qu'est-ce que c'est que ça ?questionné-je, en montrant le sac.

- C'est pour protéger les affiches de la pluie. Prends ça, aide moi, on a plus beaucoup de temps, ils arrivent."

Avant d'avoir pu protester, je me retrouve avec le seau de colle dans les bras. Nous traversons la rue, et nous repérons un abri protégé de la pluie. Mélodie sort une affiche du sac et saisit le bac de colle. Avec ses mains, elle en applique sur le dos du document de propagande, puis le presse contre le mur. Elle entreprend ensuite de recommencer l'opération. Je devine qu'elle veut tapisser tout l'abri d'affiches.

Pendant toute l'action, elle jette des regards furtifs en dehors de l'abri, fronce les sourcils d'un air angoissé, et pousse de longs soupirs anxieux.

"- Bon, tu m'expliques pourquoi je suis en train de coller des affiches contre notre respectable président, en plein milieu de la nuit, tout en fuyant quelqu'un? Parcequ'on est suivi, si j'en crois ton état... Je ne t'ai jamais vue aussi stressée...

- Bon sang mais parle moins fort ! Ils  tout près, et je dois finir de coller ces maudits bouts de papier..."

Tandis que je colle une nouvelle caricature aux couleurs criardes, elle se ronge les ongles et fait le guet. Tout à coup, elle se colle au mur, avec une expression de bête prise au piège :

"- Merde... T'as entendu? Ils sont là... Qu'est-ce qu'on fait... Qu'est-ce qu'on va faire? Calme... Respire... Bon, Karina, on a un problème... Ils sont là... J'ai entraperçu leur lampe torche... Ils vont vite comprendre qu'on est là, ils me suivent depuis le début... J'croyais qu'on les avait semés... Je vais compter jusqu'à trois : après tu cours de toutes tes forces. Ne discute pas. "

Tendue, j'essaye d'entendre ce qu'il se passe, de comprendre. Mais je ne perçois que la pluie, la pluie et encore la pluie...

-Un...

Soudain, j'entends. Des bruits de pas. Proches, de plus en plus. Des voix. La lumière d'une lampe torche.

-Deux...

J'ai l'impression d'imaginer la voix de Mélodie, ce n'est plus qu'une esquisse de murmure... Je me concentre. Prépare mon corps à la course de ma vie. La peur  coule dans mes veines. Emprisonne mes forces. Empoisonne mes pensées.

-TROIS!"

J'ai un instant de retard. Comme dans un rêve, je vois Mélodie se ruer hors de l'abri, les visages hébétés de deux gardes, mes jambes se mouvoir enfin, et les gouttes frapper mon visage. Je cours. Je m'essouffle vite, avale l'air avec difficultés. Cela fait des mois que je ne sors de chez moi que pour faire mes courses, mon organisme n'est plus adapté pour ce genre d'efforts.

J'entends leurs cris derrière moi. Ils me hurlent d'arrêter. Devant, la silhouette, de plus en plus lointaine de mon amie. L'eau plaque mes cheveux sur mon crâne, toujours plus forte, toujours plus froide... L'air s'est rafraîchi à cause de ce foutu déluge, les goulées d'oxygène glacées me brûlent la gorge. De petits nuages s'échappent d'entre mes lèvres, j'ai mal, j'ai soif, j'ai froid.

Mais ils se rapprochent, m'ordonnent des choses que je ne peux comprendre. Je n'ai pas le temps de réfléchir. Je ne sais même plus pourquoi je cours. Je vois flou... Ma course est irrégulière, mes jambes se jettent en avant, tout pour leur échapper. Et puis je la vois. Mais trop tard. Une pierre un peu trop grosse, sur laquelle ma cheville un peu trop fragile se tord. J'ai l'impression que tout bascule, que le monde s'effondre...
Flou... J'ai mal...
Maman... Célestin... J'ai mal... J'ai mal...

Un moment après, j'ouvre les yeux. Tout tourne autour de moi. Une lumière blanche et agressive, celle des gardes, illumine mon visage. Un coup de pied dans les côtes, un rire goguenard et un ordre aboyé finissent par me remettre sur pied. La pluie tombe encore, mais avec moins de vigueur. Je n'ai absolument pas eu la notion de temps lors des évènements de cette nuit. J'ai l'impression que le soleil ne se lèvera jamais.

Une main agrippe mon bras, son contact est rude. J'ai droit à une violent tape derrière la tête comme tout réconfort. Les deux gardes se désintéressent vite de moi: la gorge sèche, les membres meurtris, je refuse de parler.
Ils parlent du temps, qui est si mauvais, de leur femme, qui est si chiante, de leur vacances, toujours trop courtes, et des rebelles.

Ce sujet m'intéresse un peu plus. En marchant vers le centre ville, où se trouve le commissariat, ils m'apprennent qu'un garde a été blessé "par un de ces sauvages", mais ils ne donnent pas plus de précisions.

Comme ils sont occupés à parler, je tente une d'évasion, mais échoue lamentablement. Je ne réussis qu'à me prendre un autre coup dans le dos...

Dans une aurore grise plein de brouillard, je traverse la ville. Dans un semblant de rayon de soleil, je m'arrête devant le poste de police. Dans un soleil radieux, j'attends depuis des heures qu'on s'occupe de mon cas.
Je suis devenue rebelle malgré moi...

★★★★★

Bon... J'espère que ce chapitre vous a plu, car à partir de là les évènements vont s'enchaîner... J'ai moins de motivation en ce moment, car très peu de gens me me lisent, mais j'avoue que j'ai adoré écrire ce chapitre ! Vous en pensez quoi?

RebellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant