24. Tartines, cocard et intrusion

50 6 120
                                    

Une odeur de pain grillé me tire du sommeil. Lentement, j'ouvre les yeux et laisse la lumière du jour heurter mes pupilles. Je grimace en fixant le plafond du salon : depuis quelques jours, je dors sur le canapé, l'étroite chambre de l'étage m'angoisse.

                 Je reste quelques secondes encore, feignant de somnoler: j'ai toujours eu le réveil difficile...

                Lorsque je me lève enfin, je découvre un Célestin en tablier qui essaye de préparer le petit déjeuner. J'ai bien dit "essaye". L'odeur de grillé se transforme en odeur de brûlé, et des toasts noircis s'empilent dans une assiette. Avec un soupir, mi-attendri, mi-exaspéré, je cours lui prêter main forte.

             En jetant un œil par la fenêtre, j'aperçois les deux gardes de jour, qui surveillent mon portail depuis une semaine. Ils m'agacent... Heureusement, la vision de mon mari pestant contre la cafetière chasse mon énervement : depuis la course-poursuite et l'entretien avec le policier, il est beaucoup plus prévenant avec moi. Certaines fois, son côté paresseux et misogyne reprend le dessus, mais il progresse de jour en jour. J'ai même droit à un bonjour et à un sourire ce matin!

                Nous nous asseyons en silence devant notre assiette de pain carbonisé recouvert d'une pitoyable couche de margarine : avec le licenciement de Célestin, nous essayons d'économiser l'argent et la nourriture.

        Après avoir mangé, je regarde l'homme en face de moi: mes yeux glissent sur son visage, scrutent son front lisse, cherchent vainement son regard baissé, aux pupilles d'or rosé. Ensuite, son nez capte mon attention : droit, assez grand, presque arrogant. Je suis ensuite des yeux le contour de ses lèvres aux plis ironique, et je...

"–Tu me dis si je te dérange hein!"

      Confuse qu'il m'ait surprise en train de l'observer, je baisse la tête. Un blanc s'ensuit, rompu par Célestin :

"– Ils m'énervent ces deux-là! À l'image du gouvernement : pompeux et inutiles...

– Ils ne font que leur boulot, dis-je en prenant la défense de ces pauvres et irritants gardes postés devant chez nous. Tu critiques toujours, mais je suis sûr que tu agirais comme tous les autres si tu avais été SUP!

Il y a eu un attentat cette nuit.

– PARDON?

Il y a eu un attentat cette nuit, répète Célestin goguenard devant mon visage surpris. Un imbécile de policier tué par le groupe de ta "merveilleuse" amie Mélodie. En représailles, les autorités ont jeté en prison dix Infs innocents, et en ont abattu deux autres. Toujours aussi parfaits, tes chers SUPs?

– Ils n'ont pas pu tuer deux innocents. Il y a forcément une raison !

– Oh c'est vrai, j'avais oublié de préciser : ces deux pauvres Infs avaient eu le malheur de sortir de chez eux, alertés par les coups de feux. Terrible crime, n'est-ce pas?

Je sens la moquerie dans sa voix. Il parle de manière cynique, cache sa haine sous une bonne couche de sarcasme. Au fond, il est prêt à exploser, il bout, crache son insoumission. Je ne le suivrai pas dans sa folie. Moi, je garde la tête sur les épaules-

– Ils se sentent menacés par ces stupides rebelles, ils essayent juste de contrôler ces fous! Ils ne le font pas de la bonne manière, évidemment, mais c'est les Infs qui ont commencé à tuer, ne l'oublie pas."

                    Je clos la conversation en me levant pour faire la vaisselle. J'aime bien avoir le dernier mot.

★★★★★★★★★★★★★★★★★★

RebellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant