19. La bande de Mélodie

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Un doute me prend: Mélodie ne m'avait pas parlé d'affiches, pendant la conversation avant mon mariage? 

Je suis absolument furieuse, je suis sûre que c'est elle et sa bande de dégénérés qui ont fait le coup.

Je me rue chez elle, elle n'est pas encore partie à l'école, j'arrive juste à temps. Elle est allongé sur le canapé, des cernes sous les yeux et un sourire victorieux sur les lèvres. Sous ses paupières gonflées, son regard est fiévreux. Je m'assoie et lui passe une main sur le front: elle est bouillante... J'aurai pu éviter de courir, car ça m'étonnerait qu'elle aille en cours comme cela.

Après avoir poussé un long soupir, je décide de ne pas me disputer avec elle, tant elle est dans un état pitoyable. En tout cas, elle a l'air très fière de sa bêtise:

"- Alors? C'est toi qui as collé ces fichues affiches partout?

-Ouais... Elle répond dans un souffle rauque, en accentuant encore son sourire.

-Et t'es contente de toi en plus? J'essaye d'avoir l'air énervée, mais devant son teint pâle et ses mains écorchées, ma détermination s'envole.

-Ouais! cette fois, elle rigole franchement. T'aurais vu ça... On est restés éveillés jusqu'à minuit, puis on s'est faufilé dans les rues. Lucas avait ramené de la colle, je m'étais occupée des affiches. On a réussi à en placarder dans le quartier résidentiel SUP qui est en banlieue, tu sais, celui où on doit faire un code pour entrer! Et bah en fait, c'était pas du tout sécurisé, en dix minutes à peine on couvrait les jolis façades de caricatures, je ne me suis jamais autant amusée... Ça s'est compliqué vers quatre heures, en sortant de ce quartier de fichus SUPs, un gardien de la rue nous a vus... D'ailleurs je ne sais pas ce qu'il se passe en ville, mais ils ont renforcé il  la surveillance. Elle s'interrompt pour tousser.

Elle vient de m'apprendre énormément de choses en moins de deux minutes: déjà, qu'il y avait un quartier SUP en banlieue. Pour moi, les SUPs vivent seulement en ville, je ne sais pas comment elle sait qu'il y un quartier résidentiel pour les Supérieurs là-bas...                                           Ensuite, qu'il y a des gardes qui surveillent la ville de nuit: je ne suis jamais sortie après six heures, sauf, éventuellement, pour aller dormir chez Camille ou Mélodie, et je ne suis pas assez curieuse pour regarder par la fenêtre alors que je suis censée dormir.                                                          Et surtout, que une de mes deux meilleures amies, que je connais depuis treize ans, a le courage, et la bêtise, de risquer sa vie (du moins la prison) pour défendre une cause... enfin pour coller des affiches, encore pire...

Après avoir repris sa respiration, Mélodie reprend le cours de son récit:

-Bref, il nous a vu, et forcément, des jeunes de stature moyenne et râblée qui sortent en courant et ricanant d'un quartier de riches, ça ne pouvait qu'être des Infs qui préparent un mauvais coup!  Il nous a courus après, m'a fait un croche-patte. Je suis tombée, c'est pour ça que mes mains sont toutes sanguinolentes... Bref, Lucas lui a cassé la gueule, et quelques mètres plus loin, ne me demande pas comment, je suis tombée dans le lac vers le centre commercial Ouest, et j'ai dû rester avec des vêtements humides tout le reste de l'expédition. Je suis malade, j'ai mal aux mains, j'ai eu la peur de ma vie, mais ce sont les meilleures heures de toute ma vie... Karina, je sers enfin à quelque chose! Elle a une expression sur le visage que je ne saurais décrire, une sorte d'engouement pour ce qu'elle fait, une fièvre d'un tout autre genre, qui me fait penser à celle qu'avaient les membres du groupe de Camille quand j'y suis allée...

Le silence prend place dans la petite pièce grisâtre. Je reste pensive: de mes deux amies, je suis définitivement la seule à être restée raisonnable. Enfin c'est ce que je me borne à me répéter. Parce qu'au fond, je me sens misérable, centrée sur ma petite vie, alors que mes amies œuvrent, certes différemment, pour un idéal.   Soudain quelque chose me chiffonne:

- Attends, tu es en train de me dire qu'en quelques heures, vous avez entièrement couvert la ville de vos trucs?

- Mais non! On était plusieurs groupes, nous nous étions répartis les quartiers...

- Mais vous êtes combien en fait? Vous êtes super organisés!

-J'en sais rien... Bien sûr que nous sommes organisés! Tu t'imaginais quoi? Une bande de gamins en quête de sensations fortes? Nous avons une hiérarchie, une charte du rebelle,...

-Mais ils ont quel âge, les autres?

- Karina... Nous portons de légers masques sur une partie du visage, et ne divulguons aucune informations personnelles... Par exemple, je ne connais pas la totalité du visage de Lucas, et je sais pertinemment que ce n'est pas son prénom!

-C'est impossible. C'est absolument impossible qu'une bande d'adolescents soit aussi organisée, et que la police ne s'en soit pas encore rendue compte. Tu divagues, ça doit être la fièvre... 

-Mais!proteste Mélodie, Je dis la vérité! La police n'a pas encore réalisé, c'est tout... Maintenant qu'il y a des affiches partout, forcément, je vais avoir plus de problèmes... 

-Tu dis n'importe quoi. Comment auriez-vous obtenu les affiches? Et ta mère, en te voyant malade et saignante, elle n'a rien dit?

- Un des garçons a un père qui travaille dans une imprimerie: il lui a volé les clefs, et a utilisé les machines en début de semaine pour tout photocopier. Ma mère ne m'a pas encore vue, je raconterai qu'un SUP m'a frappé, rien de plus crédible.Elle recommence à tousser.Bon, tu me fatigues avec tes questions, laisse moi me reposer, on en discutera plus tard, tu veux?

- Hum... Bonne journée, soigne-toi bien..."

Cette discussion me laisse perplexe: est-ce seulement possible, ce qu'elle vient de me dire? 

Sans m'en rendre compte, je sors de la maisonnette et déambule dans les rues. Si on fait abstraction des caricatures sur les murs, c'est plutôt joli, ces papiers colorés...

Je réfléchis encore à cette histoire de bandes de rebelles de moins de dix-huit ans: Mélodie a dû faire un rêve ou je ne sais quoi... En même temps, ces affiches ne se sont pas collées toutes seules! Mais franchement, un groupe de mineurs qui font du vandalisme, sous les yeux de la police, c'est difficile à croire... Enfin, quand j'y pense, peut-être que...

En pesant le pour et le contre, je marche jusqu'à chez moi. En entrant, mes pensées se dirigent vers Célestin, qui travaille à cette heure-ci. J'ai accepté le fait d'avoir un faible pour lui. Qui serait insensible à son charme, de toute manière? Je m'étire, et commence à cuisiner. La lumière du jour fait briller mes cheveux, et peu à peu l'excitation de ce matin s'évapore, laissant place à une rassurante monotonie...

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Heyy! Alors, vous en pensez quoi, du groupe de Mélodie?

Vous y croyez, vous?

Je m'excuse encore une fois pour le retard...


RebellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant