15.Distribution

69 10 21
                                    

Quasiment tout le quartier et toutes mes connaissances sont maintenant au courant. Ismaël ne comprend toujours pas, ou du moins fait très bien semblant.
Parfois, il m'étreint avec désespoir et j'ai l'impression qu'il sait.
  
               Tant de jours ont passé, tant de rencontres entre notre famille et les Goarne, et pourtant  je ne veux y croire. Moi, mariée. Nous sommes à quelques jours maintenant du grand événement, et ma robe trône sur ma chaise, repassée, immaculée. Nous l'avons choisi dans un magasin, elle était d'occasion mais je la trouve en très bon état pour le prix qu'elle nous a coûtée. Elle était à moitié prix pour un morceau du tissu déchiré, mais avec un peu de débrouillardise, ma mère a eu vite fait de la remettre à neuf.
              Le paquet de lettres m'attend et sur la première, joliment calligraphié, le nom d'Ismaël m'obsède. Cette vision ne me lâche jamais, et je dois distribuer ces invitations ce soir. Je ne verrai pas Ismaël entre le moment où il ouvrira la lettre et le moment où il arrivera, énervé, peiné ou pire, totalement indifférent à mon mariage. Peut-être ne viendra-t-il même pas...

                 Le mariage chez les Infs ne demande pas de rituels religieux et les coutumes sont rares. Un SUP uni les promis, les parents et les mariés récitent un serment, ils brisent l'anneau en deux, et, à l'aide d'une lanière, l'épouse passe une moitié de l'anneau autour du coup de l'époux, puis ce dernier fait de même avec l'épouse. L'anneau est souvent grossièrement fait en argile pour faciliter sa césure.

                 Hier, j'ai passé l'après-midi dans le groupe de "policiers" Infs de Camille. Ils se retrouvent dans un vieux garage, et j'avoue que les gens que j'y ai rencontré m'ont fait peur.
Ils se sous-estiment énormément, et sont encore plus respectueux et dévoués au SUPs que moi. Les murs du garage sont couverts d'affiches du président et de SUPs idéalisés, avec des ridicules représentations d'Infs qui les vénèrent. Nous sommes représentés avec des visages simplets, un teint maladif, des physiques asymétriques et fades, et un corps fragile. Les regards des membres de la TCIM (Traque Contre les Infs Malfaiteurs) avaient les regards brillants d'admiration quand un SUP policier est venu nous expliquer que l'on devait les aider.
Un indigne, nom utilisé pour les gens, Infs ou SUPs, contre le gouvernement, avait acheté des armes et nous devions aller le perquisitionner. Le policier regardait avec dégoût, mépris et une pointe de satisfaction les plus soumis d'entre nous. Par exemple, le fondateur du groupe, un grand pâle qui correspondait parfaitement au cliché maigre, peu solide et niais que les SUPs ont de nous, était presque fiévreux tant il estimait le policier, alors que ce dernier lui crachait des ordres d'un air hautain. D'après ce que j'avais compris, l'indigne était un individu dangereux et on nous envoyait risquer nos vies à la place des SUPs. Je m'en suis plutôt bien tirée, puisque nouvelle et donc peu digne de confiance, je me suis bornée à rester en retrait pour "assurer les arrières" , une gentille façon de dire qu'on ne voulait pas de moi. On m'a raconté que l'indigne, ayant confiance en le groupe de jeunes Infs, les avait laissés entrer. Les armes, mal dissimulées sous un meuble, avaient été repérées immédiatement et après une très courte lutte, l'indigne s'était vite rendu. Arim, le créateur du TCIM, était revenu avec un œil au beurre noir tandis que les autres s'étaient respectivement cassé un ongle, déchiré un habit ou encore fait griffer le visage. Mais tout cela leur importait peu: sur leur visage brillait la folie d'accomplir une mission, et le policier SUP regardait, amusé, ces fervents imbéciles.
       
                Après cela l'image glorieuse que j'avais de ces gens supérieurs s'atténua encore. Sortant des souvenirs de la veille, je regarde encore ces fichues invitations... Je décide de les distribuer tout de suite, car peu à peu le ciel bleu cède aux nuages roses et aux lueurs orangées.

              Je commence par les invitations destinées aux voisins, les plus formelles et les premières réalisées. Puis vient le tour des connaissances, des amis, des amis proches de ma mère et finalement restent trois enveloppes: une au nom de Mélodie, une autre pour Camille, et enfin, la maudite, celle d'Ismaël. Rien que de penser son nom me fait mal... Je me dirige vers le quartier SUP comme un condamné va à la potence, la tête basse, les pieds traînants et le coeur lourd. J'ai peur de le croiser, de rencontrer cet être si aimé, de le voir se décomposer ou se durcir, devenir déçu, mal me juger, s'imaginer je ne sais quelle volonté de m'éloigner de lui... Et si ce sont les parents qui ouvrent la lettre, que se passera-t-il? Ma lèvre inférieure saigne, marquée par l'empreinte de mes dents. Cela fait une heure que je marche à travers la ville, hésitante, revenant parfois sur mes pas. J'y suis enfin. Je veux partir. M'enfuir. Autre part. N'importe où... Loin d'ici. Des souvenirs. Moi, lui, et puis le sourire de Célestin. Méchant, beau, froid. Indifférent. Je ne veux affronter ce futur  que je n'ai pas choisi... Un froissement de papier plus tard, et l'enveloppe est glissée dans la boîte aux lettres joliment décorée. Le crépuscule fait luire les joyaux enchâssés dans la porte d'entrée. Je jette un regard suppliant à la boîte aux lettres et envisage un instant de récupérer la missive. Mais c'est trop tard. Pleine de regrets, je cours chez moi, le vent et les larmes sur les joues...

           ★★★★★★★★★★★★

Hey ! Ce chapitre sort très en retard, mais j'y ai passé beaucoup de tant. J'espère qu'il répond à vos attentes et que ce n'est ni ennuyeux, ni trop confus... N'hésitez pas à me dire en commentaires ce qu'il en est merci!

RebellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant