Rebellion

16. Mariage

Je suis réveillée depuis cinq heures du matin. Enfin, officiellement. Parce qu'en fait, je n'ai pas dormi de la nuit. Mélodie et Camille ont débarqués vers six heures, et sont actuellement en train de se disputer à propos de la couleur de mon rouge à lèvres. Camille craque pour un rose très pâle, tandis que Mélodie préfère un rouge cerise...  Finalement, elles trouvent un compromis: elles s'amusent à mélanger les deux teintes. Je soupire, excédée...
Mes lèvres frissonnent sous l'assaut du maquillage et l'odeur de la poudre qu'elles m'appliquent sur les joues me fait éternuer. Elles essayent ensuite de me refaire les sourcils en pouffant, et je me décontracte en voyant le résultat : désastreux. J'esquisse même un sourire en voyant l'air sévère que me donne ces deux sourcils repassés au crayon.

                   Nous passons dans la cuisine après une longue discussion sur ma coiffure. Ma mère décore les cookies avec application: de minuscules pâquerettes ornent les biscuits, et sur la pièce montée figurent des végétaux en pâte à sucre. Deux petits mariés trônent tout en haut. Nous piochons dans la pile de sandwichs et nous remontons s'occuper de mes cheveux. Un chignon regroupe mes cheveux blonds. Les filles y ont mis tout leur cœur et mon visage, ainsi dégagé, me paraît presque joli. Je caresse ma robe du plat de la main: douce, vaporeuse, immaculée. Hier ma mère a fait les dernières retouches, et la déchirure est maintenant invisible. Un oiseau pépie. Mes deux meilleures amies ont atteint leur but: elles ont réussi à me rendre heureuse malgré le mariage qui se rapproche. Plus que trois heures...

              Autre spécialité du mariage Inf: la mariée et le marié choisissent chacun deux personnes à qui ils se confieront avant la cérémonie. C'est une façon de se débarrasser de ses secrets, remords ou regrets afin de pouvoir recommencer une nouvelle vie une fois marié. Pour ma part, j'ai choisi Camille et Mélodie. Je n'ai presque rien à leur dire puisque je leur parle souvent de mes problèmes sur le moment. Elles savent donc presque tout. Je me plie cependant à la tradition: c'est un peu un prétexte pour leur parler face à face, séparément. Je commence avec Camille, car j'ai énormément de choses à lui dire:

"-Bon, Camille, je ne te cache pas que je n'ai pas grand chose à te dire, mais j'ai besoin d'entendre ta version.

- Ma version de quoi?

- Du monde. De la vie. De notre société. Je suis perdue depuis que je t'ai accompagnée à votre repère de policiers. Je ne comprend pas, et je vais avoir de moins en moins d'occasions de te parler donc...

- Écoute, j'ai compris que tu ne partageais plus ma manière de penser mais... Comment t'expliquer... Elle marque une pause. Nous nous asseyions sur mon lit, qui grince sous notre poids. Elle respire un grand coup, et reprend: Nous avons été créé pour servir les SUPs.  Nous avons été conçus pour cela. Mélodie a tort d'espérer se hausser à leur niveau... Ce n'est pas possible . Je suis d'accord, nous sommes de la même espèce, nous sommes humains. Mais il y a une différence qu'on ne peut pas ignorer, nous sommes génétiquement destinés à nous soumettre ! Tu comprends ça ? J'aquiesce, suspendue à ses lèvres. Selon moi, l'erreur n'est pas de cultiver l'inégalité, la véritable erreur des SUPs est de nous laisser en vie. Ils nous font souffrir, et nous sommes obligés d'obéir. De plus, nous effectuons les tâches ingrates, certes, mais nous le faisons mal à cause de notre faible force physique... Mais je les admire. Ils sont forts, beaux, plus intelligents bien que cruels envers nous. Se révolter ne fera qu'augmenter leur mépris à notre égard et des Infs mourront pour quelque-chose de futile. Regarde-nous, Karina: nous vivons mal mais nous mangeons, nous dormons, nous aimons... Notre situation est mauvaise, et je pense que sur le long terme, les SUPs devraient nous éliminer mais sur l'échelle d'une vie, sur échelle de MA vie, même si c'est égoïste, je ne veux pas que mon monde change. Je suis heureuse...