La Force

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La Force. Si je devais choisir l'une de mes qualités, je ne citerais probablement pas celle-ci. Quand ils me regardent, la plupart des gens ne pensent pas à moi en ces termes : « Fort ». « Courageux ». « Brillant ». Tout ça, ce sont des termes pour les héros. Moi, je n'ai jamais eu l'étoffe d'un héros. Tout le monde l'a toujours su : ma grand-mère, mes professeurs, mes amis, même moi, je l'ai toujours su. Mais ce n'est pas grave. Si mes années à Poudlard m'auront bien appris quelque chose, c'est ce qui arrive aux héros. Je ne suis pas sûr qu'un tel destin soit pour moi. Je ne suis pas sûr de vouloir être le point d'orgue de cette bataille qui se déchaine autour de moi. Si, pendant mon adolescence, il a pu m'arriver d'envier ce statut d'Elu que l'on collait au nom de « Harry Potter », je ne regrette plus aujourd'hui que « Neville Londubat » soit voué à rester dans l'ombre.

J'ai appris qu'il existe également des hommes de l'ombre. Peut-être suis-je de ceux-là. Peut-être la véritable force réside-t-elle dans la connaissance de soi-même, l'acceptation de ses faiblesses et de ses qualités, afin de savoir les utiliser au mieux. Peut-être que la plus grande force, pour moi cette année, aura été de faire la paix avec ce que je suis. Accepter que je ne suis pas un héros, que je ne le serai jamais. Personne n'inscrira mon nom dans les livres d'histoire. Si je meurs ce soir, selon l'issu du combat, mes amis me pleureront, ou on ne me pleurera pas du tout. Mais personne ne se souviendra de moi une fois les années écoulées. Je disparaitrai, et avec moi, tout ce que j'aurai jamais fait. Mais pas les vies que j'aurai sauvées.

Pendant toute cette année écoulée à Poudlard, j'ai refusé de m'incliner. J'ai résisté, j'ai joué les héros, à ma modeste manière. Quand on sait que la guerre régnait là dehors, que nos amis et leurs familles mouraient jour après jour dans la solitude et le froid, j'ai plus que jamais l'impression d'avoir dirigé une bande d'enfants puérils jouant à la guerre. Mais c'était notre guerre. Nous n'avions pas le choix. Nous nous sommes battus à notre niveau, et devant l'horreur qui nous assiège, chaque acte de résistance compte. A présent, la guerre, la vraie, nous a rattrapés. Elle se tient bien là entre les murs du château, avec nous, dans les cris de mes amis qui agonisent et les gémissements des Mangemorts qui s'écroulent. La mort ne fait aucune différence. Elle passe dans la foule munie d'une serpe impassible qui nous fauche tous. Elle unit nos corps dans une parodie d'armistice, et laisse dans le cœur des vivants des blessures qu'aucun sortilège ne pourra refermer. Il faut de la force, pour affronter tout cela, sans aucun doute. De la force, il m'en reste à revendre.

Je regarde autour de moi. Dans n'importe quel combat, notre instinct naturel nous pousse à guetter ceux qui nous sont proches. Moi, c'est Luna que je recherche. Je l'ai aperçue brièvement, dans la Salle sur Demande, dans ce frénétique instant de réunion où nous étions tous trop occupés à nous prendre dans les bras les uns des autres pour nous parler vraiment. J'ai eu le temps de voir Luna, cependant. Elle a jeté ses bras autour de mon cou l'espace d'une demi-seconde, et j'ai senti son parfum de vanille et de caramel, ce parfum qui m'a hanté dans mes rêves les plus fous et qui m'a tellement, tellement manqué...

J'ai toujours su que je n'étais pas un héros. Je n'attirerai jamais le regard d'une déesse comme Ginny Weasley, d'une jolie fille comme Cho Chang, ni même d'une jeune fille un peu « légère », comme Lavande Brown. Ce n'est pas grave. Encore une fois, je n'en ai jamais eu l'ambition. Je crois que pendant l'essentiel de mon adolescence, j'ai essayé de me résigner à ce que j'étais, au fait que je ne susciterai jamais le regard d'une femme sur mon passage, et que je devrais déjà m'estimer heureux si j'en trouvais au moins une qui veuille bien de moi.

Je ne pense plus comme cela aujourd'hui. Je n'ai peut-être pas l'étoffe d'un héros, mais j'ai l'étoffe d'autre chose. Une force de l'ombre. Satisfait de ne pas être dans la lumière, décidé à œuvrer, quel qu'en soit le prix, pour aider les autres sans rien demander en retour. Je ne dis pas que cela me donne un droit quelconque sur la gent féminine, pas plus qu'avant, non. Mais cela m'a au moins donné une certaine estime de moi-même. L'estime nécessaire pour regarder Luna.

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