Le Pape

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Ils me prennent pour le Pape.

Voilà ce que je représente à leurs yeux. Tous ces gens qui m'ont élu, acclamé, célébré, comme si j'étais le seul et ultime espoir du monde sorcier.

Le seul et ultime espoir, c'est exactement ce que je suis.

Je suis Rufus Scrimgeour. J'ai succédé à Cornelius Fudge à la plus haute fonction de ce pays : Ministre de la Magie. Désormais, c'est mon effigie qui figure en grand sur les affiches du Ministère, c'est mon nom qui préside sur le papier à en-tête, et c'est moi qui siège sur le trône inconfortable du Magenmagot.

Le jour où j'ai appris cette nomination, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. De ce sourire froid et amer que j'ai toujours arboré. J'ai toujours eu beaucoup de respect pour la fonction de Ministre, c'est pourquoi, jamais, du temps de son mandat, on n'aurait pu me surprendre à manquer de courtoisie envers Cornelius Fudge. Pourtant, je n'ai jamais pu m'empêcher de penser qu'il n'avait pas l'étoffe d'un Ministre. Fudge était mou, familier, avenant, sympathique avec son éternel chapeau melon vert et ses airs paternalistes. Fudge était un Ministre de paix. Moi, je suis un Ministre de guerre.

On remarque tout de suite la différence. On m'a souvent comparé à un lion, je le sais, et rien n'est plus vrai. Je suis un vieux lion. Je n'ai jamais souhaité le poids de la couronne, seulement la servir au mieux. Aujourd'hui, je l'ai acceptée par nécessité, et déjà sa pesanteur m'écrase, m'accable. Mais qu'importe.

Je n'ai jamais été populaire. Je ne suis pas de ces gens au contact facile que les électeurs aiment. Mais je ne suis pas là pour être aimé. Je suis là pour sauver le monde sorcier, sauver autant d'hommes, de femmes et d'enfants que possible. Je suis là pour combattre le plus grand mage noir de tous les temps, pour envoyer de jeunes Aurors l'affronter face à face, lui et ses sbires, sa horde d'abominations, et je suis là pour leur ordonner, sans compassion ni pitié : « Tue ».

Ces jeunes gens m'obéissent, et ils meurent. Ils meurent en masse. Il n'y a rien que je puisse faire pour y remédier. La seule chose qui me motive aujourd'hui, alors que je remonte lentement l'allée qui mène au Terrier des Weasley, c'est donner à ces jeunes gens une bonne raison de continuer à mourir. Et pour cela, je dois convaincre Harry Potter.

Je frappe, on me reçoit. Avec respect mais froideur, comme je m'y attendais de la part des Weasley. Eux aussi respectent la fonction de Ministre, même s'ils me méprisent. Tant mieux. Peut-être les impératifs de la guerre leur parleront-ils d'autant plus.

Je patiente dans le salon bariolé, retenant mon jugement sur cette débauche d'étoffes et de bazars en tous genres, et puis soudain, il est là. Lui et ses deux acolytes : cela aussi, c'était à prévoir... Miss Granger et Mr. Weasley me saluent avec une égale froideur, mêlée de curiosité, et d'un soupçon de crainte... Oui, je fais peur aux gens, c'est sans doute aussi une des raisons qui m'a conduit au pouvoir en ces jours funestes. Comme si je pouvais faire peur à Voldemort...

Potter, lui, me serre la main avec rien de plus dans son regard que du défi.

Intérieurement, je retiens un soupir. Je sais d'ores et déjà que la tâche ne va pas être facile. Je sais que ce garçon et moi nous sommes déjà dressés l'un contre l'autre dans le passé, et que Dumbledore n'a rien fait pour dissiper cette inimitié. Alors, à présent que Dumbledore est mort...

Le souvenir du vieil homme me revient en pensée, et je serre les dents. Un grand sorcier, assurément. Je peux affirmer qu'il fait partie des rares personnes pour lesquelles j'ai éprouvé du respect, même en tant qu'adversaire politique. Mais à présent, un jour comme aujourd'hui, son fantôme intervient encore dans les affaires qui m'occupent...

Les Jeux du SortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant