Le Bateleur

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Le Bateleur. Je revois ce personnage en esprit, par-delà les brumes de l'alcool, la fumée de cigarettes, et la fumée d'autres choses, moins recommandables... Le Professeur Trelawney nous avait parlé de lui une fois, sur une des cartes de son jeu de tarot taché par le xérès et les années d'usure. Le Bateleur... Un garçon stupide revêtu d'une sorte de costume d'arlequin, et coiffé d'un chapeau large ridicule. Voilà comment je me sens en ce moment. Voilà comment je me suis senti toute ma vie, je crois...

Je suis assis au comptoir d'un bar Moldu. Je n'ai pas d'argent pour payer, et pas assez de lucidité pour m'en inquiéter. Dans l'état dans lequel je suis, ça me serait complètement égal de transplaner devant tous ces gens pour ignorer l'addition. Il y a des Rafleurs plus terribles qu'un barman et trois pauvres ivrognes Moldus pour me courir après...

Le Bateleur... J'ignore pourquoi ce détail insignifiant refait surface en moi ce soir. Hermione déteste la Divination. Peut-être que c'est pour ça que j'y repense. Peut-être que dès l'instant où je l'ai laissée, je n'ai cessé de la voir partout, jusqu'au fond de mon verre de whisky... Hermione, est-ce que tu me détestes aujourd'hui ? Probablement. Je t'ai sans doute donné tellement de raisons de me détester, et depuis tellement longtemps... Est-ce que tu me vois comme le Bateleur, stupide avec mes cheveux roux écarlate et mes airs maladroits, jamais capable d'aligner un mot intelligent devant l'autre lorsqu'il s'agit de te plaire ?

Je n'y peux rien. La maladresse est ancrée en moi, comme la jalousie, la crainte, le manque de confiance en soi... Autant de défauts qui me rongent, qui détruisent l'homme que tu aurais voulu voir en moi, que j'aurais dû être pour toi... Tu-Sais-Qui les a vus aussi, ces défauts. Son foutu médaillon a bien su les aiguiser pendant tout ce temps où je l'ai porté tout contre mon cœur. La nuit, quand je dors recroquevillé sous un pont ou en rase campagne, je l'entends encore me murmurer à l'oreille dans mes cauchemars.

« Elle en aime un autre », me dit-il. « Comment pourrait-elle t'aimer toi ? Qu'as-tu jamais fait pour elle qui puisse susciter son admiration, et encore moins son amour ? Tout ce que tu as fait, c'est te rouler dans la fange avec Lavande, et ne rien lui épargner du spectacle. Tu n'as su que la blesser. Et elle s'est consolée avec un autre. »

Un autre... Le médaillon n'avait qu'un nom à me susurrer : « Harry ».

« Elle le désire », disait-il. « Et il la désire aussi. Tu ne vois pas l'étincelle dans leurs yeux lorsqu'ils se parlent ? Cette étincelle qui disparait dès qu'ils t'aperçoivent, remplacée par la mauvaise humeur, la contrariété. Voilà à nouveau Ronald qui va tout gâcher, se disent-ils. Pourquoi s'encombre-t-on d'un tel poids ? Alors que nous pourrions être tellement plus heureux ensemble, tous les deux sous la tente... »

Maintenant avec le recul, alors que je suis assis seul dans ce bar minable, tous ces arguments me semblent curieusement perdre de leur saveur. Bien sûr, ces pensées, il m'est arrivé de les ressentir dans mes instants de déprime. Mais jamais avec une telle intensité. Jamais avec une telle conviction. J'ai toujours nourri de la jalousie pour Harry, une jalousie mal placée, sans doute, mais jamais je n'ai sérieusement cru qu'il y avait quelque chose entre Hermione et lui... Je n'y crois pas plus aujourd'hui. Je n'y croyais que lorsque je portais le médaillon. Et pourtant, je me souviens encore des paroles candides de Luna, dans la Grande Salle durant notre sixième année, alors qu'Hermione semblait s'être totalement détachée de moi...

« Elle est amoureuse », avait dit Luna avec son sourire prophétique qui déchiffrait tout ce qui m'échappait.

C'était la clairvoyance naturelle de Luna, justement, qui m'avait glacé le sang. Qui m'avait noué l'estomac comme je le sens aujourd'hui se nouer sur l'alcool et le vide. Je n'ai jamais su si c'était vrai, je n'ai jamais osé poser la question à Hermione, même après que Lavande et moi ayons rompu et qu'elle soit revenue auprès de moi. Je crois que je redoute la réponse... J'enfouis mon nez dans mon verre de whisky pour me donner raison.

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