L'ambiance pesante de la chambre persistait car le trio restait plongé dans ses pensées. La machine reliée à Eren délivrait, inlassablement, une nouvelle fiche d'analyse toutes les vingts minutes. Désormais, une pile de papier, semblable à des tickets de caisses, s'entassait sur le sol.
Aucune infirmière n'était entrée pour les récupérer, trop intimidées par la présence du médecin dans la chambre, ne perturbant, de ce fait, pas la béatitude dans laquelle ils étaient.
Enfin, un mouvement lent et incertain, un chevrotement plus forte que nécessaire et le médecin se redressa. Son regard alla de la mère au fils puis du fils à la mère, les analysant d'un simple coup d'œil. Il souffla, ennuyé, lassé ou peut-être même épuisé par tout ça. L'homme décida de les laisser tranquille pour le moment, de leur procurer encore un peu de temps pour avaler la boule d'information. Alors, il sortit aussi silencieusement que possible de la pièce, derrière lui un petit courant d'air fît voler les quelques papiers qui continuaient de s'accumuler.
La porte se referma dans un petit clac, réveillant miraculeusement, comme extirpé d'un trop profond sommeil, la petite famille Jäger. Clignant précipitamment des yeux, les réhydratant après tout ce temps à rester plongés dans le vide, la vie revenait à eux. Ils reprirent une respiration régulière et profonde, déglutirent car leur bouche étaient devenues sèches puis bougèrent le bout des doigts. Leurs mouvements étaient mécaniques et saccadés, comme ceux des automates alors que leur corps reprenaient vie. Un bruit étrange sorti de la gorge d'Eren alors qu'il essayait de se relever dans son lit, ce qui fit sursauter sa mère, la réveillant pour de bon.
La femme planta son regard doré sur le visage hâlé de son fils et sourit doucement. Sa main vint se poser sur sa joue, qu'elle caressa quelques secondes du bout des doigts et son sourire s'agrandit.
" Je t'aime Eren. "
Ces trois mots, que l'on pourrait croire si simple à dire et à comprendre ; cette simple phrase d'une sincérité sans égal et venant du plus profond du cœur déclencha un hoquet de surprise chez l'adolescent. Les paroles de sa mère tournèrent en boucle dans sa tête alors qu'il voyait le doux visage de sa mère s'effondrer. Son sourire s'éteignait, irrévocablement, pour se transformait en grimace de douleur, ses yeux pétillants perdaient leur brillance et prenaient une teinte sombre alors qu'elle se battait pour garder une expression douce afin de ne pas succomber au désespoir.
Elle ne voulait pas pleurer, encore. Elle ne voulait pas que son fils la voit faible et accablée, encore. Elle savait pourtant qu'il sentait la peine, qu'il sentait le couteau dans son cœur lui aussi. Mais il ne pleurait pas, il était plus fort qu'elle, et elle se haïssait pour ça. C'est lui qui la prit dans ses bras alors que les premières gouttes salées roulèrent sur ses joues rouges, c'est lui qui lui chuchota des paroles réconfortantes, c'est lui qui lui embrassa le front. C'était toujours lui et non l'inverse. Alors que c'était son devoir en tant que mère. Mais elle était abattue, épuisée, tétanisée, et rien à part un miracle ne pourrait changer son état d'âme.
* * *
La nuit s'annonçait agitée, autant par l'excitation que par l'angoisse du lendemain. Levi se retourna plusieurs fois dans son lit, sans trouver le sommeil dont il avait besoin. Alors après deux heures d'insomnie intensive, il se leva et prit une douche froide.
En sortant de la salle d'eau, il passa devant la salle de musique, celle où il cachait son précieux piano. Et comme attiré par une force bien trop grande pour y résister, il appuya sur la poignée, ouvrit la porte. Il resta prostré quelques secondes, le souffle coupé, devant la plus belle oeuvre de sa vie : son piano à queue de concert.
L'émoi passé, l'homme aux cheveux ébènes s'avança vers sa merveille et, comme à son habitude, en fit le tour en le caressant du bout des doigts. Chaque partie vernis du bois noir l'appelait, comme un enchantement qu'on lui sussurait à l'oreille.
Dans la pénombre de la pièce, faiblement éclairée par la pâle lumière de la lune, les notes blanches semblaient s'illuminer. La mélodie qui jouait constamment dans sa tête était plus forte que jamais, et le seul moyen d'apaiser cette frénétique musique était de la jouer, de la laisser sortir. Enfin, il déposa délicatement ses doigts fins sur les premières notes, déliant les sons et les accords, transformant le silence vide de la pièce en une salle de concert privée.
Ce morceau, c'était sa fierté, c'était son corps, et c'était évidemment son cœur. Tout ce qu'il était et ce qu'il ressentait composait la partition qu'il jouait. Et, bien malgré lui, sa mélodie était aussi celui pour qui son cœur battait à tout rompre.
Cette partition inachevée, que son âme rédigeait au fur et à mesure que son coeur se mêlait à ses pensées les plus utopiques, à ses rêves les plus enchanteurs (et même lubriques), le libérait tout en l'emprisonnant dans une ronde de sentiments étouffants.
Le vent s'était levé au dehors, claquant sur les fenêtres, faisant voler les feuilles mortes et accélérer la course des nuages dans le ciel qui faisait disparaître de temps à autre la paisible lumière blanche. L'homme, qui se confondait presque au reste de la pièce, continuait inlassablement de jouer, répétant plusieurs fois certains passages pour les inscrire plus profondément dans sa mémoire. Sa passion dévorante l'emplissait d'un feu ardent qui courait à travers tout son corps, faisant courir ses doigts et son imagination à une vitesse hallucinante.
La grande horloge à pendule retentit en bruit de fond, sonnant douze coups puissants. Minuit, Cendrillon devait retourner chez elle avant que la magie ne s'estompe. Le dernier accord fut taper en même temps que le dernier coup.
Levi se leva avec une lenteur froide, et, à pas de velours, il retourna se coucher, toute son énergie ayant été drainée. Il s'endormit vide de toutes émotions, ses sentiments enfermés dans la partition qu'il venait de jouer, scellés dans les notes volant encore dans la grande maison, emprisonnés dans des couleurs effacées par la nuit.
* * *
Les heures avaient filé comme le vent qui s'abattait dehors. Il était tard, la plupart des lumières de l'hôpital étaient éteintes. Seules celles destinées aux sorties de secours restaient allumées, le hall d'accueil était illuminé d'une lumière jaune tamisé et quelques chambres dont les patients n'arrivaient pas à dormir l'étaient encore.
Parmi celles-ci, la chambre d'Eren, accompagné de ses parents. Son père ayant pu s'éclipser de son propre hôpital pour venir voir son fils. Et bien qu'il était habitué à ce genre de nouvelles, il n'était pas préparé à devoir en subir une. Ordinairement c'est lui qui annonçait les désastres, ce n'était pas lui qui les encaissait. Alors, quand le médecin qui s'occupait d'Eren lui avait tout raconté, il n'avait plus eu le courage d'afficher le masque indifférent du docteur. Il s'était résigné à rester observer sa femme et son fils depuis la petite fenêtre de la porte, pour avaler tout ça, et couvrir son visage d'un voile indéchiffrable.
L'homme était ensuite entré, remontant ses lunettes sur son nez. Le regard éteint, le visage neutre. Aussi silencieux qu'une ombre, il s'était approché et avait posé délicatement une main protectrice sur les épaules de Carla. Elle n'avait même pas sursauté, la peur qui découlait des effrayantes nouvelles ne pouvant être surpassée.
Eren lui avait simplement sourit, résigné. L'homme lui avait répond avec une profonde douleur dans le regard, gardant son masque pour essayer de minimiser la souffrance déjà grande que ressentait son fils. Ils avaient perdu. Rien ne servait d'espérer.
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Sonate Pour Deux
FanfictionUn pianiste bourré de talent et légèrement depressif ; un étudiant borné et terriblement affectueux. Deux personnes qui s'étaient rencontrées une dizaine d'années plus tôt, se recontactent suite à une histoire de cœur peu aboutie. La vie est parfois...