Chapitre 25

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Mercredi, jeudi, vendredi... Une semaine qu'il était alité dans cette stupide chambre qu'il commençait à hair. Non il la haïssait.

Blanche. Elle était blanche. Du sol au plafond. Les murs, le lit, les portes, le sol carrelé, les perfusions et même la lumière, tout était blanc. Et aseptisé. Seul le moniteur d'analyse avait une couleur entre le marron et l'ocre, couleur plutôt repoussante d'ailleurs. La fenêtre qui donnait sur le parc de l'hôpital était sa seule porte de sortie, pour s'évader le temps d'un instant lorsque ses yeux s'égaraient au dehors. Entre le ballet incessant des infirmières qui entraient et sortaient dans sa chambre, les allées et venues dans le couloir et les arrivées bruyantes des ambulances, le soi disant calme des hôpitaux était une utopie. Peut-être connaitrait-il le calme de l'hôpital quand on finirait par changer son lit d'étage, dans quelques mois...

Armin et Mikasa étaient repassés le voir mercredi, et la veille ils étaient arrivés avec Jean, Annie, Sasha et Connie. Ils avaient ri, ils s'étaient moqués, ils avaient parlé et pris des nouvelles, mais le mieux était qu'ils n'avaient pas posé de questions. Leur visite avait égayé sa fin de journée et il avait très bien dormi.

Et aujourd'hui, en ce premier samedi de novembre, alors que les arbres se faisaient dépouiller de leur feuillage orangé, Eren était emmitouflé dans ses nouvelles couvertures. Il n'était pas encore 8h, le petit déjeuné lui serait servi dans plus d'une demi-heure et il ne pouvait rien faire d'autre que... attendre. Il prit son téléphone posé près de lui et se mit à jouer. Mais le jeu l'ennuya très vite. Il alluma la petite télé en face de son lit, mais les dessins animés pour enfants ou les émissions de télé shopping ne l'amusèrent guère. Eren se mit alors à regarder par sa fenêtre. Le vent soufflait, les feuilles mortes s'envolaient en des tornades éparses et la pluie tombait doucement. Le clapotis de l'eau était reposant et l'envie de jouer de la musique jaillit dans son esprit. Cependant le seul instrument sur lequel il pouvait pianoter était son portable.

Alors, pour passer le temps pendant que le soleil se levait dans l'aube du jour, il écrivit dans ses notes tout ce qui lui passa par la tête.

D'abord ses angoisses et ses peurs, puis ses souvenirs flous d'enfance insouciante, et enfin le rêve démoniaque qui le hantait toujours. Il s'inventa un monde à partir de sa propre histoire, il s'imagina un conte dans lequel le héro n'était pas vaincu, où il pourfendait le démon qui le possédait. Un bien beau récit pour une si triste existence.

Lorsque l'infirmière lui apporta son plateau, il écrivait toujours, épris d'inspiration, complètement plongé dans son imaginaire, entièrement absorbé par son écriture, totalement hors du monde. Elle l'appela, lui présentant encore son plateau et il laissa échapper un merci évasif.

Il mangea sans trop y faire attention, toujours plongé dans son essai. Il tourna à nouveau la tête vers les fenêtres et regarda le vent tout emporter. Il aurait voulu être, lui aussi, emporté par ce vent, délivré de ces draps et de ces perfusions qui l'enchainaient. Ses paupières se firent soudain lourdes et la faible lumière du soleil de novembre l'éblouit. Il toussa à s'en arracher les bronches et un moniteur bipa. Puis, il tomba lourdement dans son lit, s'endormant à nouveau, cette fois secoué d'une toux convulsive.

* * *

Le temps faisait remonter en Levi le souvenir de l'automne de ses sept ans où sa vie s'était éclairée de rose. Le vent froid lui rappelait l'orphelinat, les grandes bourrasques qui frappaient les volets de sa chambre, les cris des autres enfants et les réprimandes des bonnes sœurs... Il apprenait Automn Rose de Cortázar à cette époque. Les sœurs lui avait donné la partition parce que c'était la saison. Mais il y avait trop de bruits, trop de chahuts et trop d'enfants. Ils allaient et venaient comme des yoyos à travers les couloirs de bois grinçant, s'attardant quelques fois devant sa porte, l'écoutant d'une oreille malicieuse se tromper de note, ricanant de ses échecs.

Le temps lui rappelait la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, la fois où il était monté dans sa chambre, pour lui dire que des parents étaient en bas. Il avait essayé de l'amadouer pour que Levi descende rencontrer cette potentielle nouvelle famille. Et finalement, il était reste avec lui, assis contre la porte pour empêcher qu'elle ne s'ouvre, l'écoutant jouer. C'était la première fois qu'il avait eu un vrai auditoire, et ça lui avait plu.

Un sourire, un peu mélancolique, parrut sur son visage pâle. Aujourd'hui, l'automne ne serait pas rose, au contraire il serait plutôt gris. Les souvenirs affluant de nouveau dans son esprit, il s'assit devant le clavier écaillé et joua les notes dont il se souvenait, joua la mélodie entêtante et mélancolique d'Automn Rose, ses doigts se remémorant presque par cœur du morceau tant de fois joué.

Après de longues minutes où il lui parla à travers la mélodie, où il libéra son cœur et son corps de ses tourments présents, Levi partit. Il prit sa voiture, mais sa conscience le rappela à l'ordre. Son cœur lui faisait tellement mal, il voulait le voir mais ne devait pas. Il voulait les voir mais ne pouvait pas. Ce n'était pas dans ses droits. Pourtant il avait encore la possibilité de voir Eren, et il voulait terriblement le voir, il devait être sûr qu'il allait bien, et qu'il irait bien.

Alors il démarra, et, doucement, il prit le chemin de l'hôpital. Levi fit seulement une alte devant l'accueil pour demander des nouvelles de son élève, récupérant un numéro de chambre et quelques informations qu'il connaissait depuis longtemps déjà.

Puis le Pianiste était monté jusque devant sa chambre. Mais il l'avait vu derrière la petite fenêtre rectangulaire, il l'avait vu à moitié allongé dans ce lit médicalisé, il l'avait vu tousser et regarder les feuilles s'envoler au vent, avec une envie de liberté au fond des yeux. Levi n'avait tout simplement pas pu entrer, il n'avait pas pu bouger. Son esprit le lui avait interdit, son corps avait obéit. Alors il avait simplement rebroussé chemin.

Sur le chemin du retour, la mélancolie des souvenirs d'enfance et le regret qui infestaient son cœur le firent bifurquer en direction du cimetière. Il n'était pas allé voir sa mère ce dimanche, il irait lui rendre visite aussi. Cela faisait tellement longtemps que Levi n'avait plus osé aller le voir. La vie ne lui avait pas fait de cadeau. Il devrait encore une fois tirer un trait sur l'amour qui avait gagné son cœur.

* * *

Un sourire éteint jaillit sur ses lèvres alors que ses jambes s'accroupissaient devant la petite stèle de granite ambré. Une phrase gravée d'or sautait aux yeux « À notre tendre ami, notre plus grand violoniste » ; en dessous, son nom et ses dates de naissance et de décès étaient sculptées et peintes en noires " Farlan Church " ; et enfin tout en bas, caché des regards étrangers, sa propre gravure funéraire " Pour toi, l'ange sans aile avec qui j'ai cru pouvoir voler, toi qui m'as fait voir les plus belles couleurs à travers mille baisers, je ne cesserai de penser à ces jours où la vie m'apparaissait rose, comme au tout premier jour de notre Autumn Rose". Ecrite en brun, elle se confondait presque à l'ambre du granite.

Les regrets dévorants le submergèrent. Il ne lui avait jamais dit qu'il l'aimait. Levi ne commettrait pas la même erreur une seconde fois. Même si Eren n'en avait certainement plus pour très longtemps, il lui dirait. Il le fallait. Même si cet amour n'était pas autorisé, pas "socialement acceptable", ni réciproque, Levi avait plus que besoin d'avouer, au moins une fois dans sa misérable vie, ses sentiments d'amour à quelqu'un. Et ce quelqu'un était là, à seulement quelques kilomètres, dans une chambre d'hôpital, qu'il quitterait sûrement par la mauvaise porte.

Sonate Pour DeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant