Chapitre 21

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Encore une journée passée à ne pas bouger, à regarder la télé et le reste du monde qui tournait toujours à son rythme effréné. Toute la journée et la nuit, depuis une baie vitrée à peine propre, Eren observait les oiseaux et leurs battements d'aile, les travailleurs et leur pas rapide, le soleil et sa course qu'il suivait lentement depuis son lit, mais que d'autres trouvaient trop rapide pour leur journée. De temps en temps, on entendait des bruits étranges venant d'autres chambres, ou des voix gentilles et douces. Parfois aussi, une télévision au volume un peu trop fort venait perturbé le silence glauque de l'hôpital, qui, en coulisse, grouillait d'activité comme une fourmilière. Quelques fois une ambulance ou un camion de pompier, reconnaissable à leur sirène stridente, entraient ou sortaient vivement de l'hôpital.

Carla était venue le voir la veille en fin d'après-midi. Elle lui avait promis de revenir aujourd'hui aussi, mais l'heure de fin des visites approchait à grands pas et le tic incessant de l'horloge accrochée au mur de sa chambre mettait Eren sur les nerfs. Sa mère était le seul lien réel qu'il lui restait dans cet hôpital blanc et aseptisé. Ses amis ne pouvaient lui rendre visite que le vendredi soir, et ce n'était principalement que pour parler des cours qu'Eren avait manqué. Mikasa était devenue beaucoup trop envahissante, se souciant du moindre petit détail. Elle lui lisait les cours et lui recopier elle-même, de sa plus belle écriture pour qu'Eren n'ait aucun mal à la relire. Alors que Mikasa était au petit soin avec le malade, Armin lui, était depuis l'accident, plongé dans une sorte de transe, une réflexion intense de laquelle il ne sortait que rarement. Il devenait prudent pour tout et rien. Il lui arrivait encore de sortir de cet état végétatif et de retrouver son caractère joyeux et insouciant, mais il semblait avoir peur d'un on-ne-sait-quoi qui l'occupait constamment.

Les heures et les minutes se confondaient presque tellement le temps semblait être long. La vie à l'hôpital n'était clairement pas une partie de plaisir. Les cours commençaient à lui manquer, même ceux d'Histoire-Géo et de SVT. Jean et sa tête de cheval, ses paroles toujours "agréables" aux oreilles et ses discours pompeux auprès des professeurs lui manquaient. Les lundis matins et ses réveils brumeux aussi. Et Levi, qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs jours. Cela faisait près de cinq jours que durait son calvaire de poisson rouge enfermé dans cet hôpital qui sentait le désinfectant.

Le soleil se couchait déjà, et la pluie et ses lourds nuages noirs le cachaient depuis deux jours. Les lampadaires éclairaient les rues et les travailleurs rentraient chez eux. C'était bel et bien la fin de journée. Et sa mère n'était toujours pas là.

Une infirmière entra dans sa chambre et récupéra les papiers d'analyse. Elle leva le nez vers lui, lui sourit tristement et repartie aussi vite qu'elle était entrée. Il avait espéré qu'elle lui dise que sa mère était passée, mais trop tard, ou qu'elle avait appelé pour justifier son absence. Mais rien, juste le vide et le silence.

Les minutes continuaient à défiler. Le triste temps et les bourrasques de vent rendaient ce moment bien morne. La fine pluie et la nuit recouvraient tout. Il n'était que 20h, il n'avait ni faim ni sommeil, il en avait plus que marre des téléfilms idiots et du paysage dépriment. Parcourant pour une énième fois sa chambre des yeux, son regard tomba sur une petite boite en plastique gris sur laquelle s'affichait l'heure : un réveil. Il l'observa longuement, d'un regard d'enfant émerveillé, une lueur d'espoir et d'évasion brilla dans le fond de ses yeux. Tous les réveils avaient une option radio non ?

L'élan de joie et de curiosité qui le parcourut, quand ses mains attrapèrent le petit objet, le fit tressaillir. Il trifouilla les différents boutons sur le dessus du réveil et, finalement, un grésillement d'ondes se fit entendre. Un sourire victorieux apparu sur son visage et il continua de trifouiller les boutons pour chercher une station. Les grésillements se firent moins nombreux et les voix des présentateurs plus nettes.

" - ... ce soir... avant-première... cert... noël... orch... ngs of free... ec piani... erman ! annonçait la voix grésillante"

Eren, curieux de connaître le fin mot de cette annonce et ayant cru entendre le nom d'Ackerman appuya encore sur les boutons du radio réveil et trouva parfaitement la station. Le réveil affichait par intermittence le numéro de l'onde et le nom de la radio ; "Radio-Classique" disait-il.

L'adolescent attendit quelques minutes que les publicités se terminent et enfin la présentatrice reprit le micro, annonçant de nouveau l'information capitale de la soirée.

" Nous vous rappelons que ce soir, Radio-Classique diffusera en direct de Tokyo l'avant-première du concert de Noël qui sera joué par l'orchestre "Wings of Freedom" avec la participation du grand pianiste que vous attendez tous : Monsieur Ackerman ! Après plus de cinq ans de retrait dans sa campagne natale, sans aucune participation aux concerts donné par l'orchestre auquel il est rattaché ; le voilà qui remonte sur scène pour nous offrir de superbes compositions ! Restez donc avec nous pour cette soirée exceptionnelle ! ..."

Eren n'écoutait plus que d'une oreille distraite les paroles de la journaliste. Alors comme ça Ackerman n'était plus à Sakura ? Depuis quand ? Il avait écrit de nouveaux morceaux ? Beaucoup de questions sans queue ni tête se bousculaient dans son esprit. Il avait eu de la chance de tomber sur cette station et surtout d'avoir une radio dans sa chambre. Les yeux perdus dans le vide nacré de sa chambre, la bouche entrouverte inconsciemment, il faisait un peu bêta assis comme ça dans son lit, le dos légèrement voûté et la tête dans les nuages.

Soudain des applaudissements au son saturé, le firent émerger de sa prostration. La journaliste présenta de nouveau rapidement le programme du soir et puis on n'entendit plus rien. Eren avait le souffle court, sûrement comme tous les spectateurs présents au théâtre, attendant la première note, le premier accord. Un bruissement de toile et un son de système électronique puis de nouveau des applaudissements. Et une voix masculine parla quand le silence revint.

" Bonsoir mesdames et messieurs. Comme vous le savez déjà, ce concert est une avant première du concert qui aura lieu dans quelques semaines le soir de Noël. Alors ne nous en voulez pas trop si ce n'est pas parfait. il ricana comme pour dire "bien évidemment que ce sera parfait" et le public rit avec lui de ce rire bourgeois et retenu qu'ont les gens en public. Je ne vais pas rester longtemps afin de laisser place à nos artistes et nous vous remercions de tout cœur d'être parmi nous ce soir. Tous nos musiciens ont travaillé dur pour vous offrir ce spectacle, alors j'espère que vous vous amuserez ! Sur ce, bonne soirée à vous !"

Il y eu une ovation avec des applaudissements et des petits "bravo !" puis le même bruit de bruissement de toile sur du parquet. Eren imagina la salle plongée dans le noir quand tous les bruits s'arrêtèrent. Il ferma les yeux, rêvant d'y être. Il voyait la scène et la salle faiblement éclairées, les lourds rideaux rouges se réouvrant devant ses yeux brillants. Applaudissant en cœur avec les autres spectateurs quand la grande estrade s'éclaira. Un nouveau blanc, puis des notes douces coulèrent jusque dans ses oreilles, c'est une flûte. Le reste de l'orchestre l'accompagna crescendo, les notes fluettes disparaissant presque sous les accords sourds des contrebasses et des hautbois.

Son esprit se laissa emporter par la musique rythmée pendant de longues minutes, voyageant dans un monde de couleurs et de sons. Oubliant sa chambre vide d'hôpital et sa solitude pour quelques heures.

Sonate Pour DeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant