Chapitre 20

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Il avait passé sa journée à jouer, à répéter sans arrêt, à mémoriser inlassablement les notes qu'il connaissait pourtant déjà par cœur. Il aurait pu jouer ses morceaux même en étant sourd tant il connaissait sur le bout des doigts la moindre note de chaque morceau.

Le temps clair avait tourné à la grisaille et bientôt une fine pluie tombait sur les rues goudronnées de Tokyo. Une faible brise accélérait la course des nuages dans le ciel et certains espéraient voir une éclaircie percer pour la fin de journée. Pourtant les beaux jours se faisaient déjà bien rares et la période de l'année approchant Noël faisait fuir définitivement le soleil. Le concert constituait d'ailleurs une répétition publique pour le grand gala de Noël afin de savoir si les morceaux plairaient, et le directeur avait souhaité faire un essai un mois avant.

Enfermés dans le conservatoire, affairés à leurs répétitions respectives dans des pièces insonorisées, chacun comptait à rebours les heures qu'il restait jusqu'au concert, comme les prisonniers compte le temps qu'il leur reste avant leur sentence. Tous répétaient depuis plus d'un mois les nombreuses partitions qu'ils jouraient et seul Levi avait été convié à répéter plus tard étant, d'après le reste de la troupe, un virtuose de la musique.

Lui-même prisonnier de la salle de concert où trônait le magnifique piano à queue qui l'avait accueillit plus tôt sur la scène, il ne faisait que jouer. Mais cela faisait un moment déjà qu'il ne révisait plus les quelques partitions. À la place il continuait d'écrire la mélodie qu'Eren avait insufflée en lui. Les notes et les accords lui venaient tous seuls, et il avait déjà écrit quatre pages complètement noire de notes. Pour lui cette chanson racontait une histoire, l'histoire de ses sentiments grandissant, dont il avait peur mais aussi plaisir à ressentir. L'histoire d'un cœur qui cherche à aimer et à être aimé. D'un homme seul et esseulé dans sa solitude et  qui cherche la compagnie étrange d'un être excentrique et rayonnant pour ajouter de la fantaisie à sa vie.

La pluie au dehors devenait de plus en plus forte, une tempête semblait approcher. Le ciel gris et noir crachait presque l'eau douce chargée de poussière. Elle tombait, bruyante et précipitée. Le vent soufflait toujours, plus dur. Les bourasques sifflaient dans le toit du bâtiment, on l'entendait rugir au travers des fenêtres. Le froid de l'hiver prenait sa place.

Levi se leva et sortit faire un tour,  voir l'avancement des autres dans leurs répétitions. Il en avait marre, l'inspiration était partie de toute façon. Il s'arrêta devant une porte noire, souffla un coup s'apprêtant à rentrer et à subir l'assaut de ses meilleurs amis. Un semblant de sourire passa sur son visage morne alors qu'il se remémorait les moments idiots qu'ils avaient passés à jouer dans cette même salle. Secouant la tête pour se sortir de sa rêverie, il ouvrit doucement la porte.

" Salut les gars. lança-t-il, un sourire dans la voix. Alors ça se passe bien ici où vous allez bientôt l'étriper ? il pointa d'un mouvement rapide de la tête sa collègue et amie qui souriait à pleines dents.

  - Non on tient le coup, on a fini par avoir l'apprivoiser avec le temps. Et puis au cas où, Erwin à déménagé à côté donc on a juste à taper sur le mur pour qu'il vienne à notre secours.

  - Ah je vois, je venais juste pour ça. Continuer à bosser, le concert est dans deux jours, faut qu'on l'fasse parfaitement. Je compte sur vous. son regard obliqua vers la brune. J'espère que tu vas pas tout faire foirer sinon tu sais c'qu'il t'attends. un rictus dangeureux se dessina sur ses lèvres et ils échangèrent un regard complice.
  - Oui chef !  et elle éclata de rire. "

* * *

Les deux jours de répétition étaient passés à la vitesse de l'éclair. Au dehors le temps était toujours aussi pourri. Le ciel semblait vouloir s'accorder aux yeux du Pianiste, et les sentiments tristes qu'apportait avec elle la pluie, avait rendu les cœurs des musiciens distraits et impatients. Leur moral affecté par ce manque de soleil était devenu aussi triste que ce ciel parsemé de nuages gris. Le seul réconfort qu'ils trouvaient était dans la musique qu'ils jouaient. Et ce soir enfin, ce serait le grand soir. Celui que tout le monde attendait, impatient et excité. Que toutes les radios classiques diffuseraient et que toutes les oreilles musicales se délècteraient d'écouter.

Appuyé contre les grandes baies vitrées de sa salle de répétition, son violon au bout du bras, son autre main posée contre le verre embué de la fenêtre, Levi se préparait à son retour sous les projecteurs. Il réfléchissait, repassait les différentes partitions dans sa tête, ses entrées et ses sorties. Aussi, il avait eu l'idée d'accompagner l'autre pianiste, lors de son solo, pour un duo avec violon. Cette idée avait plu au chef d'orchestre ainsi qu'à Pieck, l'autre pianiste. Son violon un peu rouillé de ne pas avoir été sorti de son étui depuis plusieurs années avait cependant toujours sa magnifique sonorité d'antan.

Mais toujours appuyé contre sa vitre, les perles d'eaux de pluie roulant telles des larmes devant le visage sombre de Levi, l'homme pensa longuement à Eren. Il espérait secrètement que celui-ci soit ici avec lui, il lui donnerait du courage, le ferait peut-être sourire, le détendrait. Et puis, il l'applaudirait, le feliciterait de ses prestations. Mais surtout, Eren pourrait entendre son morceau, celui que le Pianiste lui écrivait sans relache dès que son cœur faisait des siennes. Ce morceau qui n'était pourtant toujours pas fini.

" Eren... Qu'est-ce que tu fais maintenant ? À quoi est-ce que tu penses ? murmurèrent ses lèvres dans un souffle "

Presque choqué par ses propres paroles il se releva un peu,  passa une main tremblante de stresse sur son visage pâle, cachant un sourire nerveux. Il ferma les yeux pour s'imaginer le garçon aux yeux brillants, aux sourire carnassier mais tendre, aux cheveux indisciplinés et si doux. Peut-être devrait-il l'appeler avant le concert ? Ou plutot après ? Il n'avait même pas son numéro...

Quelqu'un toqua bruyamment à sa porte, le sortant de sa transe et on hurla un "ça va commencer". Il soupira longuement puis inspira à fond pour se vider la tête et s'aérer l'esprit. Pas le temps pour les jérémiades de son cœur, il était attendu. Serrant dans sa main gauche son violon il attrapa de l'autre main la poignée et ferma les yeux.

Ça allait commencer.

Sonate Pour DeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant