Chapitre vingt quatre: Une lueur dans l'ombre?

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Bourdun - Matin de l'exécution -

Cela faisait de longues minutes que nous attendons. Hermann avait passé les troupes en revu et s'était assuré qu'un tel incident de se reproduirait pas. En revanche, il n'avait pas le pouvoir de faire annuler une exécution alors que les preuves étaient si nombreuses. Il avait pourtant essayé, mais il ne fallait pas mettre en péril sa couverture. 

Les tireurs étaient en position et attendaient les ordres. Ils se mirent en place et visait alors l'homme. Je fermais les yeux en serrant mes poings aussi forts que possible. C'est alors qu'une voix s'élevait juste derrière moi.

-"Non ! Nous en avons assez d'être toujours des victimes ! Nos fils se font tuer parce qu'ils osent vous braver ! Vous avez fait de nous des opprimés, vive la France libre ! "

J'aurai aimé vous dire que j'avais eu le temps de voir l'homme qui avait parlé. J'aurai également aimé vous dire que je lui ai sourit afin de montrer mon soutien à celui qui ose parler en public de cette façon. Mais je n'en ai pas eu le temps. Les coups de feu avaient retenti. Et je ne parle pas seulement de l'homme qui se trouvait derrière moi mais également de celui qui se trouvait sur l'estrade. Nous étions là, Claudie me tenant contre elle. Ma tante abattue. 

Comme de rigueur, un médecin s'avançait vers la personne qui avait reçue une balle, sur l'estrade. Il prit son pouls et fît "non" de la tête à Hermann qui baissait la tête. Ce cauchemar n'aurait-il donc jamais aucune fin ...?

La foule ne faisait plus aucun bruit. Il était simplement possible d'entendre le vent qui s'engouffrait dans les ruelles de la ville déserte et meurtrie. Henri, qui se trouvait toujours derrière moi avait le visage enfouis dans son écharpe. Je crois qu'il pleurait, et j'aurai tellement voulu réussir à le faire, mais je n'y parvenais pas. 

-"Je vais l'achever, de toute façon, ces sales français résistants ne méritent que ça !" Le gradé qui accompagnait Hermann s'avançait et, sans recevoir l'ordre de quiconque, tirait une nouvelle fois sur le fils Bernet. Une autre onde de choc nous avait saisi le corps et l'âme. C'était trop, bien trop pour moi. Je reculais et me retournais pour aller me réfugier dans une ruelle. Et je tombais, en me retournant, sur le corps de celui qui avait eu le courage de dire ce que tout le monde pensait. Je retenais un sanglot et me dirigeais vers la ruelle en essayant de reprendre ma respiration. Henri m'avait suivi et tentait de savoir si je parvenais à respirer : 

-"Louise, est-ce que ça va ...?" 

Je me retournais vers lui en attrapant ma gorge dans mes mains et en essayant de lui faire comprendre que je n'arrivais plus à respirer. Ma tante et Claudie arrivèrent dans mon champs de vision : 

-"Loulou, respire lentement. Regarde moi, voilà, comme ça". 

Claudie frottait mon dos afin de me réchauffer. Je me sentais gelée, dehors comme à dedans. 

Je parvenais à reprendre doucement un rythme mais c'était sans compter sur les spasmes de mon corps qui ne voulaient pas se calmer. Lorsque je vis mon oncle et Hermann, je compris que tout cela était terminé et que malheureusement, des personnes étaient encore décédées. Tout cela devenait réellement difficile à supporter. Et je n'ose imaginer pour les familles de ceux qui ne sont plus là. 

Hermann s'approchait de moi et me prenait dans ses bras : 

-"J'aurai dû vous dire de ne pas venir. J'aurai pu trouver une solution pour vous en dispenser ..."

-"Tu n'as pas à t'en vouloir Hermann !" Lançait ma tante. "Si nous voulons que notre couverture soit assurée, il faut que nous puissions suivre les règles". 

Et elle avait raison, il fallait que nous puissions être comme tout le monde pour aider ceux qui étaient dans le besoin.

-"Eh bien colonel !" Le gradé qu'Hermann n'appréciait pas vraiment fît son entrée parmi nous, dans cette ruelle. Henri se tendit au maximum en croisant les bras sur sa poitrine et en soupirant. Revoir cet homme aussi proche de nous, le sang recouvrant ses vêtements, me donnait la nausée. "Nous avons tout rangé, il ne reste que les flaques de sang". Lançait il dans son mauvais français. Son regard déviait ensuite sur moi. Je me tendis et Hermann le senti puisqu'il me tenait plus fort contre lui : "Eh bien ma p'tite dame, ça n'a pas l'air d'aller fort hein !" 

-"Est-ce vraiment étonnant ? Face à une horreur pareille, comment pourrait-il en être autrement ?" Dis-je, la mâchoire serrée. 

-"Mh, mademoiselle est trop sensible." Fit-il en croisant les bras sur sa poitrine.

-"Sensible ?" Dis-je en me redressant. "Sensible vous dîtes ? Est-il normal d'agir comme si vous alliez acheter du pain alors que vous venez de tuer trois hommes ?!" 

-"Eh eh eh !" L'homme riait et s'approchait un peu plus de moi, ayant visiblement oublié qu'Hermann était son supérieur et qu'il était toujours là.

-"Faites encore un pas, caporal, et nous en reparlerons." Hermann s'était redressé. Il n'avait pas élevé la voix en réalité, il n'en avait pas eu besoin. "N'oubliez pas que la collaboration avec les civils doit se passer le mieux possible et que de telles scènes sont difficiles à accepter caporal. Veuillez en tenir compte dans vos réactions et dans vos paroles."

Le caporal fît une mine boudeuse et s'en allait en soupirant et en se mettant à insulter des hommes et des femmes qui se trouvaient sur la place. 

-"Quel connard". Henri crachait et s'avançait vers moi : "Par contre Loulou, clairement si tu étais un mec je t'aurais probablement dit "tu as des couilles"". Il tapotait mon épaule en souriant. "Tu aurais vu sa tête, une femme qui ose l'affronter, wow". 

-"Oh que oui Loulou. Bien joué !" Claudie souriait et vint déposer ses lèvres sur ma joue tandis que mon oncle bougonnait dans son coin.

-"Bien joué mais attention malgré tout Louise. Je sais que cette situation est difficile et que c'est bien plus que révoltant, mais je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose. Ni à personne ici." Il soupirait et regardait la place du village. Cette place sur laquelle il a été élu depuis plus de 20 ans, cette place sur laquelle se déroulait chaque baptême avant la guerre, cette place de village qu'il aimait plus que tout, maintenant pleine du sang de ceux qui y étaient nés. 

Ma tante attrapait la main de mon oncle pour lui dire qu'il fallait rentrer maintenant, que rester ici ne servait plus à rien. 

Hermann attrapait de nouveau ma main pour y déposer ses lèvres. En chemin pour la maison, je décidais de lui parler : 

-"Je ... Je suis désolée. C'était une erreur de m'adresser à cet homme de la sorte". 

-"Trésor, comment t'en vouloir...? Je n'ose pas imaginer la douleur de tout ce que tu vois, de ce que tu vis et de ce que tu ressens. Je comprends aussi que tu sois révoltée. Je ne veux juste pas qu'il t'arrive quoi que ce soit, jamais..."


Maison familiale du Maire, Bourdun, le soir même : 


J'étais assise dans le canapé en lisant un livre. Ma tante quant à elle, brodait un mouchoir qu'elle voulait offrir aux enfants recueillis du village. Mon oncle répondait à ses courriers, Claudie lisait une revue de mode tandis que son fiancé discutait avec Hermann de carrières militaires. Nous étions tous silencieux avant que ces deux là débutent leurs échanges. La transition entre ce que nous venions de vivre et le calme de la maison était rude à vivre. 

C'est avant l'heure du soupé que la sonnette de la maison se fît entendre. Martha nous signalait qu'elle allait ouvrir suivi de ma tante.

-"Oh mon dieu ! Hermann ! Ce sont vos parents !" Le visage d'Hermann s'illuminait. Il se levait bien vite et presque en courant vers l'entrée.

-"Mère ! Père !"


Les Corbeaux dans le ciel, Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant