Pedro L'express Ferrol Gijon

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L'express Ferrol Gijon s'ébranla du quai 3 à 9h09, comme tous les matins sauf le dimanche. Le temps avait tourné à la pluie avant que le jour ne se lève. Insistante, elle giflait les vitres alors que le train roulait encore très lentement. C'était foutu pour la journée. Les espagnols s'étonnaient de cet hiver en plein été. Il ne devait pas faire plus de douze ou quinze degrés. La voiture bar était encore déserte. Pedro rangeait les bouteilles de bière dans le compartiment réfrigéré. Lorsqu'il eut terminé il passa une annonce pour informer les voyageurs que la voiture bar était ouverte, au centre de la rame. Puis il ouvrit un livre en attendant le premier client. Il s'était assis derrière son comptoir et maintenant que le train avait fini de le secouer au passage des aiguillages, il pouvait commencer sa lecture. Le train était aux trois quart vide et il avait certainement du temps devant lui. Personne pour lui casser les pieds, du temps pour lire. Et par beau temps, il pouvait de surcroît admirer des paysages magnifiques, côté mer et côté montagne. Il avait trouvé un job formidable.
Quand il avait quitté les pauvres îles du Cap Vert il avait échoué à Lisbonne comme beaucoup de ses compatriotes et erré dans cette ville douce pendant de longs mois. Il se promenait le long du Tage, dans les ruelles de la vieille ville. Il y avait fait des rencontres éphémères en raison de sa jeunesse et de sa beauté. Rien n'avait duré, pas plus que les petits boulots de serveur, caissier, agent de comptoir dans une boutique de téléphones, qu'il avait trouvés grâce à ses relations éphémères et perdu en raison de la précarité des affaires, de l'inconstance des gens, de leur mépris et du racisme ordinaire.
Alors il avait tenté sa chance à Porto avant de passer la frontière vers l'Espagne, dont la situation économique était moins catastrophique que celle du Portugal. Il avait fini par atterrir à Ferrol. Alors qu'il traînait ses basques dans la gare, l'immanquable lieu de rendez-vous des traîne-misère qui n'ont nulle part ou aller, il avait vu une affichette signalant que la société de restauration qui opérait dans les trains cherchait en permanence des employés. Il fut pris pour un CDD éternel pour voyager sur des trains plus ou moins antiques et rarement fréquentés. Le salaire était même assorti d'une indemnité de logement lui permettant de se payer une chambre entre deux postes.
Il s'écoula bien une demi heure avant que le premier client ne rentre dans la voiture bar. Les clients avaient toujours l'air d'avoir bu avant même de commander leur première bière. En effet, il fallait qu'ils tirent fortement la porte coulissante, ils devaient la franchir rapidement avant qu'elle ne se referme sur eux, et le plus souvent ils étaient victimes d'une secousse du train qui les jetaient contre le mur ou contre la vitre. Ainsi leur entrée était toujours comique.
Il vit d'emblée que son premier client était un marin, ce qui n'avait rien d'extraordinaire puisque Ferrol était depuis toujours le port militaire espagnol de la façade atlantique.
Les militaires fréquentent assidûment les trains, seuls ou en bande lorsqu'ils rejoignent leur famille ou leur dulcinée. Leur humeur peut être morose ou joyeuse, ils peuvent s'épancher ou chercher la querelle pour déverser enfin des rancœurs longtemps réprimées.
Il accueillait les invectives de ces derniers avec un sourire niais et essuyait sans broncher la tempête des injures racistes.
De quel fer serait trempé celui-la?
Il le regarda bien en face et me vit d'abord que le regard absent d'un esprit occupé par ses pensées.
- que puis-je vous servir? Café con leche?
Il accepta la proposition et prit aussi deux pâtisseries.
D'autres paraissent bêtes, bornés et brutaux, prêts à gaspiller leur énergie  en de vaines disputes. Celui-la semblait réfléchi, rêveur même, amoureux peut-être. 
Observant les épaules remplies et le coffre large Pedro tenta une ouverture pour capter ce regard toujours vague.
- je crains que le train ne soit aux trois quart vide...dit-il en soupirant.
- c'est habituel. Il n'a d'express que le nom...il est si lent que tous ceux qui le peuvent choisissent la route. L'avantage est que l'on peut s'y étaler à son aise.
- et vous n'avez pas de voiture?
- que ferais-je d'une voiture?

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