Playa del Rio

pedro Un train sur une ligne droite

Puis tout d'un coup le livre prit son élan. Il marchait à pleine vitesse comme un train sur une ligne droite. Pedro le dévorait en ignorant soudain le vacarme des voitures sur les rails. C'était un peu après le début de la seconde partie, lorsque l'américaine racontait enfin comment elle avait rencontré le marin de Gibraltar, comment elle l'avait aimé et comment il avait disparu dans les rues de Shanghai, à l'occasion d'une escale. Enfin nous étions dans les eaux claires de la vérité, nous avions passé les pages poussives et indécises. Arrachées à l'alcool? Il en était question à chaque page, du Chianti, du pastis, du whisky...Plus de ces hésitations. Il semblait à Pedro qu'il avait vécu cette histoire. Mais où? Chaque homme, chaque femme à vécu cette histoire. Où et quand? Ce sont les seules questions qui restent. Mais la certitude de l'avoir vécue ça non. Il n'y avait pas de doute. Il était au cœur du roman, au plus profond. C'était l'idée première? Les pages écrites au commencement et qui commandaient tout? Après ça retombait. Après quelques pages seulement, comme si quelques pages suffisaient à tout dire dans un roman aussi long. Il leva le nez sans voir pour autant le paysage qui défilait, ni la voiture bar à nouveau vide. Il cherchait dans sa mémoire les hommes qu'il avait suivi dans la rue, à Ferrol, à Lisbonne, sur les chemins de son île du Cap Vert déjà, alors qu'il n'était qu'un tout jeune homme. Parfois l'histoire s'était terminée au coin d'une rue, lorsque l'homme avait été englouti dans la foule d'une rue piétonne ou d'un marché, lorsqu'il avait poussé la porte d'un immeuble sans plus jamais ressortir. Parfois elle avait duré plus longtemps, jusqu'au point ou nait l'envie irrépressible d'être ensemble, quand un monde s'ouvre, rien que pour deux êtres. Mais à chaque fois le fil avait rompu, coupé par les ciseaux du mensonge, du devoir, de la lâcheté, du hasard. Le plus dur était de ne pas savoir, d'être juste témoin de la disparition. Alors commençait l'errance. Il comprenait intimement cette femme qui cherchait le marin de Gibraltar.