De toutes les nouvelles de Petersbourg c'est naturellement le manteau qu'il avait le plus apprécié. C'était sans doute la plus aboutie et la plus étonnante. Cet univers lui parlait et ce n'était pas le plus agréable. Lorsqu'il s'était engagé dans la Marine c'était pour la mer et les grands espaces, pour les voyages et pour l'idée assez romantique qu'il avait de l'histoire de son pays et de la démocratie si récente pour ses concitoyens et partout menacée. Il avait une idée assez abstraite du feu et cette idée vague et brumeuse était entretenue par le haut commandement.
En tournant les pages du manteau il lui sautait au visage qu'il avait en réalité embrassé une carrière de fonctionnaire, que lui-même et tous ses collègues étaient des sortes de mouches assez similaires à celles qui tournaient en rond dans Saint Petersbourg et dans les nouvelles de Gogol. Certes il avait la chance, en qualité d'officier, d'échapper à la très basse condition d'Akaki Akakievitch. Mais quelle différence cela faisait-il? Il y avait au dessus de lui des couches compactes de hiérarchie qui rendaient illisible et incompréhensible les buts réels de toute la gesticulation qui lui était demandée. Comme pour Aki Akakievitch, avec le fil du temps, tout cela était devenu indifférent et le plaisir qu'il prenait à faire son travail se résumait à exécuter promptement les ordres qui lui étaient donnés sans se préoccuper inutilement de savoir s'ils étaient bons ou mauvais et s'ils auraient un effet au regard des buts ultimes qu'il s'était vaguement fixés dans sa jeunesse.
Xoan ne se souvenait plus en vérité du moment où il avait lui-même révisé ses ambitions. Cette opération est commune et arrive à chacun de nous n'est ce pas? Elle devient nécessaire lorsque nos buts se trouvent confrontés au réel. Il est possible de résister un moment mais le temps qui passe se charge de fermer les options. Dans son cas, la grande famille qu'est la marine avait sans doute aidé à retarder l'échéance. Cet objectif révisé était de vivre une vie normale avec une femme et des enfants qui pourraient l'accompagner dans le grand âge, lorsqu'il regarderait la mer assis sur un banc. Mais il y avait une chose sur laquelle il ne voulait pas transiger : la fille qu'il entraînerait dans cette aventure devait être jeune et belle. Le prestige de l'uniforme, la belle carrure que lui avait donné la nature et la pratique du sport, évidemment encouragée dans les cercles militaires, lui avait toujours donné accès aux plus belles filles. Il n'avait jamais renoncé à ce plaisir. Les années qui avaient passé lui avaient donné plus d'assurance. Ses traits plus marqués semblaient même un avantage, donnant plus de crédibilité à la proposition.
En y réfléchissant cet objectif lui semblait parfaitement raisonnable et d'une ambition bien plus respectable que celle d'Aki Akakievitch dont l'objectif était de remplacer son vieux manteau, si rapiécé qu'il ne pouvait plus être réparé une fois de plus, par un manteau neuf. Gogol semblait se moquer de ce nouvel objectif puisqu'il décrivait Aki Akakievitch comme plus ferme quand il eut enfin décidé de s'offrir un manteau neuf, comme si une compagne de vie bien-aimée avait accepté de marcher avec lui sur le chemin de la vie.
Sans doute le but que Xoan s'était fixé était trivial mais il n'en avait cure, et nul ne pouvait dire que ce soit facile de trouver une femme qui s'arrangerait de ses longues absences liées à sa carrière militaire.Entre le râteau et le manteau il n'y a qu'un pas. Il venait de se prendre un râteau et ne pouvait s'empêcher de penser à ce pauvre Akaki Akakievitch qui s'était fait voler son manteau après l'avoir si longtemps désiré. Lui venait de se faire voler cette jeune fille qui lui semblait si prometteuse, si adaptée à ses ambitions. Enfin c'était avant ce coup fatal du sort qui avait mis sur son chemin ce gamin avec lequel elle avait résolu de le tromper, pour lequel elle avait décidé de le quitter.
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Playa del Rio
Narrativa generaleDes personnages en quête d'amour, qui se cherchent, qui s'évitent, qui se croisent sans se rencontrer, qui lisent chacun un livre, une histoire, une vraie, comme on aimerait en vivre une, une fois dans sa vie. Un marin de la vieille Espagne qui par...