Dignité

Chapitre 1

Il semblait étrange.
Particulièrement malpolie, et ce regard qu'il posait lentement sur chacun de nous, insistant invraisemblablement sur moi, me déstabilisait. Il n'y avait rien, rien de lisible, rien d'humain. Ses yeux bleus, sombres et froids n'exprimaient rien et devenaient terrifiants. Tout en lui démontrait une indifférence remarquable. Ses lèvres au coins pendants, ne s'ouvrant que pour blesser ou aboyer des ordres, sa pâleur corporelle, et ses sourcils éternellement froncés  assombrissaient toujours plus ses iris. Idem pour la manière dont il se coiffait, rasé en dessous et long sur le dessus du crâne, laissant par moments des mèches de cheveux glisser devant sa vue perçante. Il était irrationnel.

Je n'écoutais pas ce qu'il disait. Intégrer le bataillon d'exploration était mon rêve, unique. Anéantir les titans, les effacer de la surface intégrale de la Terre, éviter la mort de tant d'hommes, de femmes et leurs enfants. Et puis, surtout, découvrir le monde. Vivre enfin de l'entièreté qu'on nous a promis avant l'invasion. J'en mourrais d'envie. Je n'ignorais pas que m'instruire du savoir de personnes plus qualifiées m'aiderait, mais j'étais ainsi.
Mon esprit divaguait et je m'éloignais au loin. Charlie et Anastasia tentaient à chaque fois de me repêcher, mais rien ne pouvait me changer.

Il parlait d'une voix grave, froide mais restait neutre. Rien ne lui échappait à en croire les rumeurs. On disait de lui qu'il était l'humain le plus puissant jamais vécu sur Terre. Il surpassait largement le major Smith. Le caporal Rivaille semblait, était terrible, terrifiant.
C'était rare que l'un des supérieurs interviennent durant nos entraînement. Uniquement si cela était urgent. Ça l'était, car une expédition en dehors des murs était programmée prochainement et il allait de notre devoir d'être prêt pour éviter le plus de mort possible.

À la fin de cette longue explication approfondie sur l'utilisation de l'équipement tridimensionnelle, les jeunes recrues dégagèrent de la salle peu éclairée et nous sortîmes à notre tour.
« Mince Gabrielle, dépêche toi. Qu'est ce que j'ai faim, se lamenta Charlie en se grattant le ventre.
J'allais le rejoindre lorsque quelqu'un m'interpella. Je me retournais et le vis. Posé contre le mur, tête baissée et gardant son allure grossière mais impeccablement propre, les bras croisés contre sa poitrine, il m'attendait. J'hésitais. Charlie et Ana me lançaient des regards paniqués mais je n'avais d'autre choix que d'obéir, il était mon supérieur. Alors je fis marche arrière et mes amis, attendant un instant, s'éloignèrent vers le réfectoire.
- Tu fous quoi Gamine ?
Je savais ce qu'il voulait dire, il me reprochait mon manque d'attention. Et je ne pouvais mentir, il le saura et bon dieu, qui ne savait pas à quel point il en avait horreur.
Je bredouillais une excuse et il s'énerva en la balayant d'un revers de main.
- Ça te serviras à quoi de t'excuse face à un titan de 10 mètres ?
La violence de ses yeux, cette lueur de ténèbres qui y brillait me fit frissonner. Il n'était pas vraiment grand, nous devions sûrement faire la même taille, mais la puissance qui dégageait de son corps était écrasante. Je pris appuie sur une table, manquant de tomber, et il marcha nonchalamment vers moi.
- Pourquoi t'as peur ?
- Je...
- Tu ne sais pas parler enfoirée ?
Il était près de moi, trop. Je ne m'en étais rendu compte que maintenant, son visage si proche du mien. Il avait les sourcils tellement froncés que je crus qu'ils faillirent déchirer sa peau. Ma tête se mit à tourner. Je tremblais, me sentais faible. Je voulais me ressaisir, j'aurais dû , mais en sa présence désarmante, je n'étais rien. Tout devenait intense. J'en perdais le contrôle.
Alors qu'il allait cracher une autre vacherie sur mon incompétence, un individu interrompit la séance en pénétrant dans la classe.
- Rivaille !
C'était Erwin Smith.
- Rivaille, que fais tu ?
Ce dernier se décala rapidement et lança un regard provocateur au major.
- Tu ne vois pas que tu la terrorises.
- Tsss ! Les abrutis qui prennent peur pour un rien m'exaspèrent.
Smith afficha un grand sourire sarcastique sur son visage angélique.
- Tu sais, tous ne connaissent pas la peur du Titans, mais d'aucun ignore la peur du Caporal-chef .
Erwins rit devant la mine déconfite de son camarade. Il l'attrapa par l'épaule et l'attira à l'extérieur de la salle. Je les entendais s'éloigner et l'éclat de rire diminua, enfin, disparut.