Chapitre 16

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Un jour je partirais mais mon travail restera. Inconnue au monde entier.

« Ce jour là, en t'affrontent, j'avais vu une ennemie. Non, pour mes hommes, ni pour l'humanité, mais pour moi. »
« Je me suis sentis démuni, faible, et je ne puis apprécier cela.
- Et vous avez puisé en cette sensation la force de me tabasser ?
- Ces petites égratignures, commença t-il et m'effleurant l'arcade où siégeait mon ancien coquard, ça t'offrais un côté guerrière.
Je ris. Jamais un instant m'avait semblé plus dégoulinant d'amour. Et malgré mon manque de romantisme, j'appréciais cela. L'acharnement se lisait dans les yeux de Levi en cette nuit funeste. Nous étions blottis sous une arche du bâtiment, et les reflets de la lune permettait à cet endroit une aura dorée ; les échos de nos gloussements, enjouement dans l'obscurité dépourvue d'âme, contrastaient avec les éclats d'or d'étoiles immuables et figées.

Lorsque à l'aurée du jour, les rayons amères du soleil pointèrent en nous poignardant tel des vampires, nous sûmes que nous devions nous séparer.

Est-ce que je vis, est-ce que je meurs ? Au fond, comment savoir ? Que, qui, quoi ? Quel serait la sincérité, la vérité dans ce monde ? Serait-ce nous les méchants et les titans seraient des êtres bons ? Mon existence est-elle chamboulée ? Est-ce que j'y crois encore ?
Et pourquoi se rattacher à la vie quand on attend rien de demain ?
Je voudrais rester perchée sur ce mur jusqu'à la fin des temps, garder en mémoire cette nuit parfaite, qu'elle ne soit pas effacée, remplacée par un souvenir désagréable, et rester là, au dessus du malheur et du bonheur.
Aujourd'hui ressemble à hier et demain n'existera peut-être pas. Pourquoi vouloir un jour de plus quand le précédent semble idéal ?

« Gabrielle !
- Eren ?
- Comment vas-tu ?
- C'est toi qui me demande cela ? Et toi alors ? Tu... tu es resplendissant, oserai-je le dire.
Il souriait presque niaisement, tentant inévitablement de cacher les marques de fatigues où de coups qui parsemaient sa face. Il avait désormais un visage tiré, à peine sérieux. Serait-il adulte ? Je l'étreignais, moi qui l'avais connu si jeune, innocent.
- Je dépéris sans vous, déclara t-il dans un rictus moqueur.
Il se pencha et s'assit à mon côté droit, les pieds ballants dans le vide. Si nous tombions, alors notre destinée s'achèverait dans la gueule médiocre mais terrible d'un titan.
- Ne dis pas ça, notre vie ici n'est pas mieux. La seule vie paisible et souhaitable est là-bas, dis-je en indiquant du menton l'horizon désert.
- Tu y penses toujours ? Je me rappelle qu'avant tu était toujours là à rabâcher ton rêve de liberté, dans le lointain.
- Et pourquoi l'oublier ? Même s'il est impossible. Je sais que nous vivons dans une société stupide et aveugle. Que le gouvernement est même incapable de voir la différence entre le bon et le mauvais, tu en es la preuve ; que demain, il y aura encore une bataille, une guerre toujours plus meurtrière, qu'un nouvel ami tombera, soupirant une dernière fois sur une terre saccagée et lasse d'intérêt, d'espoir. Une terre souillée des péchés humains. Mais vois tu, et même si cela est vain depuis peut-être des décennies, j'y crois inconsciemment.
Il me regardait en silence, j'ignorai ce qu'il contemplait avec tant d'entrain, mais je cru déceler en son regard une lueur de fierté.
- T'es incroyable, Gab. Tu m'impressionneras toujours. Tu espères tant que j'espère avec toi.
- Comment fais-tu pour vivre enfermé alors que tu sais qu'ils sont en tord et non toi. N'as tu jamais envie d'hurler ton innocence, ton incompréhension ?
- J'en meurs d'envie de les réveiller dans leur rêve futile. Tu ne sais pas à quel point c'est blessant...douloureux d'être traité de menteur, de fou, de monstre !
- Eren, je ne comprend peut-être pas tout, mais je ne t'abandonnerais pour rien au monde, qu'importe ce que tu deviens.

Notre accolade devint plus intime, ses bras s'accrochaient charnellement à mon dos et je me décalais alors avec froideur.
- Et quand va t-on te laisser en paix ?
- Quand on leur aura dégagé la merde qui traîne devant leurs yeux.
Je ris face à son indignation, que dis-je, exaspération.
Bientôt vins nous rejoindre Mikasa et Armin, surpris à notre vue, mais tout de même ravis. Ils se mirent à bavarder avec Eren, et désormais prônait sur le visage du soldat un air puéril, si heureux.
Ce lien qui les unissait, les rendait plus fort malgré la séparation injuste, les batailles et ces morts, tant de morts, et le sort funeste qui les guette à chacun de leur pas mal assuré.
Ils étaient toujours des enfants.
Moi aussi.
Mais on nous avait volé notre enfance. Le droit de jouer dans les prairies, non à l'affût du danger, d'être joyeux d'autre chose que d'être encore vivant, de pleurer ou rire pour un rien...
Nous étions des enfants, nous n'avions pas mûri, seulement grandi.

Plus tard, alors que le réfectoire était à son comble, enseveli sous des hurlements et des fou-rires, et avec la permission des autorités à proximité, nous oublions le destin en jacassant avec Eren. Il y avait réunis là, autour d'une table immense écrasée de victuailles plus alléchantes les unes que les autres, Mikasa, Conny, Sasha, Charlie, Armin, Annie, Eren et Jean. Dès lors où je regardais ce dernier, je revoyais le sourire constant de Marco. Je baissai alors les yeux, essayant bien que mal de dissimuler les larmes malheureuses qui hantaient mes pupilles honteuses.
Je ne voulais pas y penser.
Ana était près de moi, je me régalais de la voir si forte et colorée. J'ignorai tout de Ymir et ses acolytes depuis quelques jours, peut-être que je ne me préoccupais plus d'autre chose que moi.
Je me sentis orgueilleuse, mais lorsque que je perçus Eren et Charlie rirent à leurs blagues farfelus, je devins heureuse.
Soudain, Conny se leva du banc en réclamant le silence et l'attention qui lui était dû.
- Okais, les gars, moi j'ai une question qui me démange depuis quelques temps.
- Assis toi et mange, trancha Charlie sur le ton de la rigolade.
Conny répondit à cette provocation d'une tape sur le crâne du garçon, qui eu l'effet de l'envoyer dans la purée.
- Bon. Je voudrais savoir ce qui se passe entre le Caporal et Gabrielle.

Je manquais de m'étouffer, dévisageant drôlement mon voisin. Peut-être que je louchai, peut-être que je rougissais. Je me croyais comme piquer par la rage.
- Qu..oi ?
- Eh Gab, détends toi. C'est que je t'ai vu plusieurs fois traîner avec lui. Ça attise ma curiosité.
Je savais tous les regards plantés sur moi et me faisant l'effet de coup de hache, je semblais démunis. Par un bégaiement incertain, je réussis à démonter la rumeur. Bien que j'eusse dit ma fausse vérité, les yeux intrigués de Conny planaient au dessus de mon être, et venaient ci rajouter ceux d'Eren.
Ainsi, avant que l'entraînement de l'après-midi ne débute, je pris de côté mon ami au crâne rasé.
- Conny, je ne sais pas ce que tu as vu, mais pourrais-tu être plus silencieux.
- C'est hier soir, tu n'étais pas seule ?
- Non, et tu le sais.
- Alors c'est Rivaille ? J'avais raison !
- Écoute moi et fais comme si il n'était rien. Certainement que tu n'as pas tord, mais je ne veux pas que ça s'ébruite.
- Tu sors avec lui ?
- M'as tu entendu ?
Il me fixa étrangement, ne faisait manifestement point gaffe à mes sermons.
Je soupirai et lui répondis :
- J'n'en sais rien, tu connais le caporal-chef, tout est vague avec lui.
- Mais tu veux ? 


À la fin de ce jour éprouvant, je pris du recul, et avec Ana et Charlie, nous fuyons  nous abriter sous les toits d'un village près du centre militaire.
La pluie, non avare mais ravageuse, fût bâtante et transperçante. Dans le ciel qui s'assombrissait, les nuages presque opaques, j'apercevais des filets, tel des rideaux d'eau, qui jaillissaient de là-haut pour entamer une rivière, un torrent ou une cascade.
Mais j'en oubliais ces intempéries, la vue émut envers mon ami qui glissait, puis tombait, se relevait et recommençait la même cascade des dizaines de fois, sur des pavés mouillés.
Ana se tordait de rire à le voir ainsi. Charlie pestait.
Un authentique attrait de liberté se faisait comme un arrière goût, comme le réveil à la fin d'un cauchemar.
Je n'avais pas dormi depuis deux jours, et tandis que nous nous allongions sur du foin, absents des soupiraux, dans une grange ou la pluie résonnait sur la tôle, je m'assoupis, bercée par le bavardage douillet de mes fidèles, éternels compagnons.

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