Chapitre 11

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Les reflets sur le mur blanc dansaient avec le vent. La pièce sombre s'illuminait peu à peu grâce aux quelques rayons pénétrant la fenêtre et émanant des rideaux gris.
Elle s'éveilla comme moi je m'éveillais.
Il y avait dans l'air une certaine odeur accrochée au plafond, à la peinture ébréchée, aux meubles abrasés, un parfum constant.
Le parfum du toujours.

Je me dressais avec un hurlement échappé par mégarde. Des murs, des murs ! Ma main portée à mon ventre caressa une surface inégale et alors que je jurais en me découvrant loin des plaines frivoles et romanesques, loin de ma liberté tant chérit, je déglutis difficilement en abrégeant la nouvelle. Car la peau qui reliait mon bassin à ma poitrine était rugueuse, boursouflée et violacée. Une rangée d'hématomes parcourait mes côtes et dessinait dans mon dos des spirales.
Je pris une grande respiration et ferma les yeux. J'ignorais ce qui me grisait le plus, être à la limite de l'infirmité, ou bien être à nouveau prisonnière et dépendante.
Que s'est-il donc passé ?
Mes pensées s'emmêlèrent et se perdirent dans un ciel rouge, le néant enveloppait ma conscience et dévorait mon esprit.
C'était l'asthénie.

Je m'écroulai presque en me jetant dans le couloir, hors d'une chambre hantée de cauchemar. L'allée était arpentée de soldats de divers bataillons. Je voyais ci et là flotter l'emblème d'une rose écarlate , ou d'un cheval piqué d'une corne, ou encore d'ailes flamboyantes. Mais, partout où se posa mon regard, d'aucun visage n'apparaissait familier.

Enfin, alors que je frôlais les parois du bâtiments pour m'échapper par la porte menant à l'extérieur, un partisan de l'exploration m'interpella. Grand blond, élancé et le portrait rieur, il m'accosta .
Dès lors, avec soudain beaucoup d'entrain, je m'exclamais :
- Charlie !
- Gabrielle, butée que tu es, retournes te coucher.
- Pardon ?
Je me remémorais vaguement qu'une ceinture de bleu me fendait le corps en deux, mais j'étais bien trop intriguée et la curiosité écrasait la sagesse.
- Mais Gab, regardes toi, tu es tordue et bossue de partout.
- Charlie je veux juste que tu me...

Je me tus, m'agrippant à la manche de mon camarde. J'aurais évidement chuté s'il n'eusse pas été présent. Désormais, des images défilaient devant mes yeux avides et bientôt tristes.
La vision floue d'un Marco, fier combattant, admirable ami, se débattant avec le diable, anéanti par l'épouvante, dévoré par la mort.
Et puis.. et puis, Ana. Bon dieu, Ana.
- Charlie, m'écriais-je d'emblée, où est-elle ?

Je retrouvais Anastasia couchée sur un lit blanc, des tissus imbibés de sang lui bandaient le corps. La pâleur inondait son visage d'habitude si chaleureux,  sa peau matte mouillée de sueur. Je m'étalais sur le tabouret près du lit et lui agrippais la main qu'elle avait froide. Charlie se tenait en retraite, dans le coin de la pièce. À en juger les cernes foncées qui trônaient sous ses yeux bleus, il avait veillé la nuit ou plutôt les nuit à nos deux chevets.
- Ana est sauvée, et elle va bien, me dit-il, grâce à toi.
- Grâce à moi ?! M'emportai-je. Veux-tu dire à cause de moi. Regarde la, je n'ai à peine servi. Elle est si misérable.
- Gab, tu es aveugle ? Si tu n'avais pas agis, un titan serait en train de la digérer à l'heure qu'il est.
- Mais... elle, je me tus et ne pus empêcher les larmes abondantes de couler.
Charlie s'approcha de moi et m'enlaça. Je glissais ma tête contre sa poitrine et les sanglots secouèrent douloureusement mon être de plus belle.
Je m'en voulais. J'aurais espéré éviter à Ana toutes blessures aussi importantes que celle-ci, mais j'en étais littéralement incapable. Peut-être avais-je réussi à extirper Ana des crocs d'un monstre, mais elle en garderait les séquelles à vie. Une lignée de cicatrices rouge démontrera à jamais mon impuissance.

J'étais lasse.

Charlie me serrait toujours lorsque quelqu'un fit irruption dans la chambre. Sasha et Conny nous regardèrent fixement et des petits sourires fuselèrent aux coins de leurs lèvres.
- Si on vous dérange, on repassera plus tard, lança le garçon au crâne rasé.
- Crétin, pesta Charlie en lui envoyant son point dans l'estomac.
Conny riposta et éclata de rire. L'ambiance dans laquelle se trouvait la 104eme brigade était toujours aussi forte, sûrement plus fraternelle, bien qu'endommagée. Je pensais à Jean qui était je ne sais où, je le voyais seul et j'en tremblais.

Plusieurs heures s'écoulèrent avant que  j'eus quitté Ana, laissant Sasha et Charlie endormis à ses côtés .
J'avais besoin de prendre l'air. La pression m'écrasait et si je restais assis plus  longtemps, alors mes plaies se déchireront.

J'entrepris une ballade dans le parc lié à la cour première. Celui-ci servait surtout à dégourdir les grandes pattes des chevaux, mais était malgré tout bien entretenu. Il y avait un peu partout des floraisons de rosiers blancs ou rouges, et de jonquilles éblouissantes par ailleurs. C'était l'arrivée du printemps. L'odorante atmosphère et les bourgeons naissants à l'extrémité des branches le prouvaient.
L'allée que je dévalais à petites enjambées semblait interminable et me permit une bien heureuse réflexion.

Ce dire que ces moments inestimables consumés grâce et seulement avec la compagnie de l'un, peu à peu s'éloignaient, irrécupérables, et que déjà, ils vous manquaient. Le trou percé dans l'âme à cause du manque, chaque soldat le ressentait. Je n'avais de raison de me plaindre de ma situation médiocre, la vie habitait ma personne.
Je portais ainsi une main fidèle à mon cœur, priant pour ces sacrifices et ces pertes innombrables.
- Fais pas une crise cardiaque si loin de la mort gamine.
Je sursautais. Là, dans l'ombre d'une arche rattachée au mur d'enceinte, était appuyé le caporal-chef. Il m'aurais parut fatigué s'il n'était pas un visage toujours figé dans la roche.
À l'évidence, son humour n'avait pas décru.
- Certainement, ce serait le comble, renchéri-je.
Rivaille s'ôta de la façade pour se joindre à ma marche sans requête.
- Comment va Anastasia ?
- J'hésite à dire qu'elle pourrait aller mieux.
- Ou pire. Tu t'en rends compte ?
- Pas vraiment.
- Alors tu es bouchée.
Je le scrutais, amusée. Lui aussi allait me faire un mémorial pour mon acte ? Je n'avais pas été à la hauteur, point.
En dépit de tout, il reprit.
- T'as peut-être juste eut de la veine, mais tu l'as sauvé.
- D'accord, on va arrêter sur cela. La seule personne à acclamer, c'est vous. Encore une fois, vous avez évité le massacre. Et moi, moi, j'étais même dans l'incapacité de me défendre. Caporal-chef vous êtes... inhumain.
- Surhumain.
- L'égo en a pris un coup certes, mais vous n'avez pas tord. J'en parierai même qu'avec un simple regard si puissant soit-il, vous vous imposeriez au roi.
J'expirai après mon léger discours. J'en avais quelque peu trop dit et la gêne me perçait à jour. Néanmoins, lui non. Il était immunisé contre tous les sentiments du monde. Si à l'instant, tandis que je me torturais pour ne pas succomber au désir de l'embrasser, Rivaille devait simplement se répéter à quel point j'étais naïve.
Nous empruntions un chemin qui coupait directement vers le bois ténébreux sur nous longions pour faire le tour. Les long arbres projetaient des ombres gesticulants avec le vent du soir.
- Gabi, ne te rabaisses pas. T'es sûrement l'une des meilleurs. J'n'aurais pas été assez rapide pour aider Ana sans toi.
Cela faisait du bien d'entendre de tels mots venir droit de la bouche de Rivaille. La réalité était quelque peu décalée.
- Je ne vous ai pas remercié de m'avoir sauvé la vie, alors merci.
- Je ne me suis pas vraiment excusé de t'avoir fracassée la gueule, alors pardon.
De ce fait, il frotta doucement mes cheveux, mes joues chauffèrent vivement et je laissais échapper un rire timide. N'avais-je pas attendu une éternité cette phrase qui ne tardera plus.
Je pensais ainsi à mon œil noir, ma mâchoire droite cabossée, mon nez endommagé, mon corps endolori qui en avait pris un sacré coup sans oublié la poigne du titan, et aussi à ma lèvre inférieure fendue qu'il était en train de parcourir de son indexe.
- Et puis, ajoutai-je, cet air mystérieux qui vous vous obstinez à garder, ça vous rend... plus grand.
J'allais suggérer plus infernal, mais ma langue râpa et je sentais déjà le poignant regard de mécontentement du caporal-chef. Mon audace me poussera un jour à la morgue, pertinemment inévitable si je n'apprenais pas à me taire. 
- Levi.
- Oui ?
- C'est mon nom. Si ça peut te calmer.
Je n'en revenais, Levi ! Une part de lui, un nom, une identité plus exacte.
- Levi, répétai-je en faisant siffler le « i ».
Je souris de toutes dents, et je crus de ce fait que sur le visage de Rivaille flottait l'ébauche d'un rictus plaisant.

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