Partie 2

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Je n'avais pourtant que quelques mètres à faire pour arriver jusqu'à la maison de mes parents, mais je trouvais que le parcours était bien trop long.
Je voulais juste connaître la suite des écrits de Madeleine.
Je ne pourrais pas dire pourquoi je me suis emballée pour ce simple vieux carnet, mais à ce moment précis, c'était "mon précieux".

Alors que mes pas me dirigeaient vers l'endroit dans lequel je pourrais être plus tranquille pour lire, je me mis à réfléchir: 65, était le nombre d'années qui me séparait de Madeleine et je trouvais cela complètement extraordinaire qu'aujourd'hui, moi, la passionnée d'Histoire et future étudiante, je puisse me trouver en contact direct avec un objet quasiment de collection, et qui aurait eu presque sa place dans un musée !

Malheureusement, des fois avec les vide-greniers, on dit qu'il faut toujours se méfier de ce que l'on achète... Qu'il est si facile de se tromper sur la marchandise vendue et qu'il est tout aussi facile de faire croire qu'on vient de tomber sur la perle rare, alors qu'en réalité, ce n'est que de la pacotille.

Mais moi, dès la lecture de ce journal intime, je ne m'étais pas du tout posée ce genre de questions. Les tout premiers mots m'avaient déjà touché droit au cœur, et rien que l'idée que cette Madeleine avait vécu une des pires périodes de l'Histoire, ceci avait de suite émoustillé ma curiosité. Qu'importe de savoir si c'était un objet de collection ou non, que cette histoire pouvait être vraie ou pas, pour moi c'était juste l'instant qui était important. J'avais retrouvé un regain d'énergie et de joliesse dans la découverte et la lecture de cet objet, qui, sous mes doigts, semblait des plus vivants. Je tenais ce dernier serré contre ma poitrine, effrayée à l'idée que quelqu'un d'autre puisse tomber sous le charme de la reliure flétrie, ou pire, qu'il me glisse d'entre les mains et que je puisse le perdre, sans en avoir lu des lignes supplémentaires.

Dès le seuil passé, je me précipitais dans ma chambre, pour m'installer confortablement sur mon lit. Quand je fus calée contre mes coussins, je pris une grande inspiration.

J'étais fébrile.

Malgré l'impatience, je pris toutes les précautions du monde pour ouvrir à nouveau le carnet, en tourner les pages et reprendre ma lecture là où je l'avais laissé.

« Quand je repense à ma vie et à tout ce qui s'est passé, je dirais qu'elle a vraiment basculé le jour où je me suis retrouvée seule. Sans ma famille. C'est à partir de ce moment que j'ai appris que la vie pouvait être difficile, et pourtant, je pense qu'inconsciemment, je le savais déjà. Mais quand on est adolescente, on ne se pose pas ce genre de questions, même si on voit qu'autour de soi, tout est en train de changer. »

« Quand la guerre a été annoncé, j'avais à peine 14 ans. Pour moi, tout ceci était très loin de mon quotidien et de ma famille. Nous vivions tranquillement dans notre petit appartement parisien situé au-dessus de la boulangerie familiale. La boulangerie Dumont était une vraie fierté pour mon père. C'était son gagne-pain, sa passion, son héritage. C'était sa vie et dans sa vie, tout tournait autour de son commerce, tant et si bien qu'il avait trouvé amusant de me prénommer Madeleine et ma petite sœur, Charlotte. »

« Puis le vernis de ma vie parfaite vint à se craqueler quand en juin 1940, les Allemands entrèrent dans Paris. Au début, on se disait qu'ils ne resteraient pas, que tout allait bien se passer... Puis, il y eut les restrictions, le manque, la peur et pour finir le mensonge. »

« C'est pendant l'hiver 1941 que le premier drame de ma vie arriva. Je revenais de l'atelier de M. Bertrand, atelier de couture où j'avais commencé mon apprentissage après avoir eu mon certificat d'études l'an passé, que je vis l'horreur juste en face de moi. Alors que j'étais arrivée au bout de ma rue, je vis une camionnette de la police allemande; elle était garée devant la boulangerie. Tétanisée par la peur, je ne pus bouger même lorsque je vis les soldats allemands, armés, sortir de chez moi, encadrant mes parents et ma petite sœur et les menant à l'intérieur de la camionnette. Je compris de suite ce qui se passait, les larmes montèrent immédiatement et un flot incessant coula sur mes joues. J'étais prête à hurler leurs prénoms et à courir vers eux pour demander des explications aux soldats, savoir pourquoi on emmenait ma famille, quand je sentis des mains me retenir. Je ne vis pas de suite qui était derrière moi, m'enserrant avec force, alors que j'essayais de me débattre pour m'extirper de cet étau. »

« - Calme-toi, Madeleine, calme-toi...me disait la voix dans mon oreille. »

« C'était la voix d'une femme. Je ne l'ai pas reconnu immédiatement, mais je me suis dit que cette personne devait me connaître puisqu'elle m'avait appelé par mon prénom. Et en même temps, beaucoup de monde me connaissait, puisque j'étais la fille du boulanger. Je suivis donc le conseil de la voix, et arrêtais de me débattre. Quand je me retournais, je compris que la voix appartenait à une de nos voisines, Mme Faberg, cliente de notre boutique et mère de famille qui vivait seule avec ses cinq enfants. »

« - Qu'est ce... qu'est-ce qui se passe ? Furent les seuls mots que je réussis à articuler. »

« Mme Faberg me prit dans ses bras, m'avoua que ma famille avait été dénoncé aux Allemands pour non-respect des lois en matière de rationnement et qu'ils allaient très certainement être amenés pour un interrogatoire. Sous le choc, je perdis conscience un instant. Je savais ce que voulait dire interrogatoire, et qu'entre les lignes il fallait que je me fasse une raison : je n'allais pas revoir ma famille. »

« Complètement perdue, je me suis laissée entraîner par Mme Faberg jusqu'à son domicile. Sur mes rétines, était gravé à jamais l'instant où la camionnette avait redémarré, avec à l'intérieur toute ma famille, ainsi que le moment où le véhicule nous croisa, Mme Faberg et moi, et que je vis pour la dernière fois le visage de ma mère, articulant silencieusement quelques mots quand elle me vit. »

« Je t'aime. »

✒📓Quand la vie s'appelait Madeleine📓✒ { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant