Il était tard. J'avais passé toute mon après-midi avec Madeleine. L'heure du dîner approchait et j'entendais ma mère qui s'affairait déjà dans sa cuisine.
J'aurais bien voulu faire l'impasse sur le repas et continuer de me plonger dans la vie de Madeleine, mais je savais que si je jouais à la fille sauvage, j'allais avoir mes parents sur le dos à me demander ce qui pouvait bien se passer. Je ne leur avais pas dit que Valentin m'avait largué, mais, était-ce bien nécessaire ? Je ne le pensais pas car on lisait en moi comme dans un livre ouvert et rien qu'à ma tête on devinait que je traînais mon mal-être.
En fait, le seul moment qui bizarrement me remontait le moral, c'était quand j'étais dans la lecture du journal intime. Et pourtant le sujet n'était pas très joyeux: la guerre, la perte de proches... Mais j'étais tellement prise dans cette histoire que cela m'empêchait de penser à autre chose.
C'était vraiment dingue. Comment, en si peu de temps, j'avais fait de ce simple carnet un objet qui hantait mon quotidien ? La curiosité, certes. Mais cela ne faisait pas tout. Je pense que je me focalisais sur la vie Madeleine, comme un fan devant sa starlette préférée.
Je pense aussi que ma fascination pour l'Histoire devait très certainement jouer sur l'intérêt que j'avais pour Madeleine.
De plus, le récit de sa jeunesse me faisait me poser énormément de questions. En réalité, grâce, ou, à cause de ses mots, j'avais l'impression de vivre en même temps qu'elle, son quotidien et ses sentiments. Je me rendais compte qu'elle était l'incarnation d'une époque sombre, que des milliers d'hommes, de femmes, d'enfants avaient certainement vécu la même chose qu'elle. Que sa vie, ne se résumait pas qu'à mes quatre heures de cours par semaine au lycée. Qu'en fait, à une époque pas si lointaine, la vie en France, c'était la vie de Madeleine...Après avoir compris cela, je venais également de percuter pourquoi j'aimais tant l'Histoire. Que de notre passé commun, on pouvait se construire un futur propre. Madeleine était arrivée à moi dans une période de mon existence où je me retrouvais coincée entre mon passé et mon avenir, serait-elle le lien qui m'aiderait à traverser le pont du flot déchaîné qu'était devenu ma vie ? En tout cas, et malgré la noirceur et le coté cathartique du journal intime, cela me faisait du bien à moi aussi. Madeleine l'avait écrit pour exorciser des souvenirs, et moi en le lisant, j'arrivais à en oublier mes propres soucis.
Je ne me reconnaissais pas. Durant ces derniers jours, j'avais réagis complètement à l'envers de mes habitudes. Malgré tout, je sentais au plus profond de moi que c'était ce qu'il fallait faire. Pourquoi ? Comment ? Alors oui j'avais trouvé quelques réponses mais au fond tout ceci allait me mener à quoi ? A cet instant, je n'avais pas vraiment envie de le savoir, et me laisser porter par les lignes d'écriture était en soi un chemin que j'aimais à parcourir.
Je rejoignis mes parents. Le repas était quasiment prêt. Moi en revanche c'était une autre histoire...
Dans ma tête et sur mes lèvres j'avais le prénom de Madeleine qui tournait sans cesse. Je n'étais pas vraiment présente dans la même pièce que ma famille parce que j'avais l'impression que le journal m'appelait. Mon esprit était ailleurs. Je sentais encore sur mes doigts la rugosité de la couverture et l'odeur du vieux papier. J'étais comme dans un état second, saoule d'un livre, ivre de mots, j'étais accro: il me fallait une dose de lecture. Je voulais arriver au bout de ce carnet avec frénésie, mais je voulais aussi que ces moments, où je me retrouvais en tête en tête avec cette jeune âme de l'époque, ne s'arrêtent jamais. Tant de sentiments se bousculaient dans mon être. Plus j'avançais dans l'intimité de Madeleine, plus j'avais la sensation qu'elle me parlait directement. J'avais même imaginé sa voix, en plus de m'avoir inventé un portrait d'elle. Je la voyais de taille moyenne avec des cheveux châtains et de grands yeux verts. Elle avait un teint pâle. Cependant j'imaginais que les jours où il faisait plus froid on pouvait voir son nez rosir, un petit bouton de rose au milieu d'une prairie blanche. Sur chaque ligne qu'elle avait écrit, j'entendais résonner le son de sa voix. Il était clair comme un ruisseau de montagne, mais avec une légère sonorité à la limite de l'aigu. Elle avait une beauté secrète, que je discernais dans les boucles de ses lettres, dans la ponctuation de ses phrases.
« Clarissa ? Eh oh ! T'es avec nous ? La Terre appelle Clarissa, je répète, la Terre à Clarissa ! »
Entre deux bouchées, mon père m'avait sorti de mes rêveries.
« Ah enfin j'ai ton attention ! » continua-t-il, « Ta mère te demandait ce que tu avais prévu de faire demain, et nous attendions ta réponse, mais tes yeux étaient tellement dans le vague que ta mère et moi, on ne t'imaginait déjà plus dans la réflexion d'une réponse. Mais maintenant que tu es de nouveau parmi les vivants, aurais-tu l'obligeance de nous faire entendre ta cristalline voix ? »
Je levais les yeux au ciel. Il essayait d'être drôle mais mon père, à mon humble avis, n'avait vraiment pas un humour qui faisait mouche tout le temps.
Ma réponse fut brève : « J'ai rien de prévu. »
Ma mère ajouta que mon père et elle avaient l'intention de partir se balader en mer, en naviguant sur le petit bateau d'un voisin, et me demandait si je voulais venir avec eux. L'idée paraissait séduisante: l'eau, le bruit des vagues, le vent sur mon visage, avait d'habitude le mystérieux pouvoir de me régénérer et de me faire du bien, mais je n'arrivais pas à y trouver de l'intérêt. Et puis passer sa journée avec ses parents... très peu pour moi... Ce n'est pas que je ne m'entendais pas avec ces derniers; mais je n'ai jamais été le genre de fille fusionnelle et aux émotions à profusion. Mais c'était ma famille et ils étaient importants dans ma vie, savoir qu'ils étaient là, c'était savoir que je n'étais pas seule.
Pour cette sortie en bateau, je n'avais vraiment pas envie de faire bonne figure, même si j'essayais de remonter la pente, et que j'y arrivais peu à peu chaque jour, ce n'était pas encore le bon moment pour moi. Oui, je jouais à l'asociale mais il fallait que j'en passe par ces instants de quasi-solitude pour ensuite reprendre une vie sociale. Une vie sociale plus réelle plutôt qu'une pâle copie passée derrière des écrans.
Et puis j'avais le journal de Madeleine.
Rien qu'en pensant aux nombreuses pages à découvrir, je sentais éclore comme une fleur s'épanouissant dans mon cœur. Un sourire dû se dessiner également sur mes lèvres car ma mère me le fit remarquer:
" C'est l'évocation de la balade qui te rend joyeuse ? En tout cas, je suis ravie de te voir avec un sourire sur le visage, c'est bien mieux que ta mine renfrognée des dernières semaines."
C'est sûr que je ne devais pas être de très bonne compagnie. Je le savais bien, mais c'était comme cela. Il fallait que ça passe.
" Peut-être une prochaine fois, maman. Je préfèrerais rester à la maison."
Je vis que ma réponsen'était pas celle attendue par ma mère. Je la décevais. Intérieurement, cela mefaisait de la peine, mais Madeleine m'attendait... Peut-être qu'après malecture, je parlerais de cette histoire à mes parents. Mais pour l'instantc'était juste entre Madeleine et moi.
![](https://img.wattpad.com/cover/140195933-288-k813730.jpg)
VOUS LISEZ
✒📓Quand la vie s'appelait Madeleine📓✒ { Terminé }
Ficção HistóricaClarissa, future étudiante en Histoire, passe ses vacances dans la maison familiale. Pas grand chose à faire durant cet été 2010... Cependant, lors d'un vide-grenier Clarissa va découvrir un peu par hasard un superbe ouvrage. C'est un journal intime...