Partie 9

513 54 1
                                    

« L'amour au temps de la guerre n'était pas chose aisée. Vivre une histoire d'amour avec un homme faisant partie des forces armées de l'ennemi de la nation, n'était pas plus simple. »

« Alors, nous avons dû nous cacher. »

« Nous nous disions que toute cette histoire était pure folie, mais quand l'un de nous décidait de s'éloigner, l'autre ne résistait pas longtemps, et nous retombions dans les bras l'un de l'autre."

« Ces semaines furent les plus insouciantes et les plus effrayantes de mon existence. »

« Tous les jours, nous faisions un peu plus semblant. En journée, quand il était le soldat Werner, second du haut gradé, il paraissait hautain et détaché ; en revanche, quand nous nous retrouvions le soir, seuls, dans la réserve de l'atelier, il était prévenant, doux, aimant... »

« Ce cagibi qui m'avait paru si petit et inhospitalier quand je m'y étais réfugiée les premiers jours, devint l'autel d'une toute autre existence.

« Dans les bras de Werner, j'oubliais tout. »

« Nous tentions d'être prudents. Et malgré la joliesse que me procurait l'amour de Werner, je savais que notre relation était dangereuse pour moi. A chaque instant, je pouvais être découverte. Et le pire dans tout ceci, était que la faute me retomberait à chaque fois dessus. Je pouvais devenir la collabo, la marie-couche-toi-là des Boches, et peu importe que je sois devenue une orpheline de guerre. »

« Notre amour était pur et sincère. Chaque parcelle de mon corps vibrait quand il s'approchait de moi. La peur, l'amour. Tous ces sentiments, se mélangeaient en moi et me faisaient vivre autant de passion que de frissons. Ma tête me disait que c'était déraisonnable, mais mon cœur prenait le dessus... Tant et si bien, qu'un jour, ce fut mon corps qui parla à ma place. »

« Notre relation amoureuse invisible aux yeux des autres, devint fortement visible au regard de tous, quand je me rendis compte que j'étais tombée enceinte de Werner. »

« Depuis quelques temps, j'avais remarqué que mes vêtements me paraissaient plus étroits, mais je n'avais pas vraiment fait attention, ou plutôt, je ne le voulais pas. »

« Être enceinte durant cette période tumultueuse, n'était vraiment pas la meilleure chose qui puisse arriver. Notre avenir était sombre et je faisais grandir en moi une nouvelle destinée qui n'avait rien demandé, et surtout pas à naître dans de telles conditions. Que pouvais-je faire ? A cette époque les faiseuses d'anges étaient monnaie courante, mais je savais que les femmes qui y faisaient appel en sortaient rarement indemnes. Mener cette grossesse à terme était une possibilité, mais comment l'expliquer autour de moi ? J'étais désespérée. Malgré le bonheur que j'avais à me dire que ce petit être était un peu de moi et un peu de Werner, je ne voyais aucun avenir radieux. Mon état ne se voyait pas encore, mais émotionnellement parlant c'était une autre histoire : je passais du rire aux larmes en un rien de temps. Dès le début de ma grossesse, j'avais eu quelques soucis notamment avec mon estomac qui me jouait de plus en plus des tours, et avec mes chevilles qui se mettaient à gonfler tels des ballons de baudruche. Chaque jour passé devenait de plus en plus difficile et j'étais sur le qui-vive à chaque instant; faisant attention à ce que l'on ne voit pas mon état; faisant attention à ce que l'on ne nous découvre pas ensemble, Werner et moi.»

« D'un côté j'avais l'homme qui m'aimait, qui me rassurait en me disant que tout allait bien se passer, mais en réalité j'étais perdue. Lui ne voyait juste qu'un avenir fantasmé où nous pourrions vivre ensemble, comme une vraie famille. Il nous voyait tous les trois, lui, moi et le bébé, dans sa petite chambre mansardée sous les toits ou nous promenant avec bébé dans les rues de Paris... Moi, je ne voyais rien de tout cela, j'imaginais toujours le pire pour nous... Et je pense que je ne me trompais de peu. Quel avenir pour une jeune mère, sans mari, dans une époque si sombre ? Car je ne pouvais pas être avec Werner. Certes, je l'aimais plus que ma vie, et il avait su me redonner le sourire, mais notre histoire, si belle était-elle à mes yeux, ne pouvait pas durer. J'étais Française et il était Allemand. Cela aurait déjà dû nous dissuader, mais notre jeunesse et notre insouciance face au sentiment amoureux, nous avaient fait perdre toute notion de raison. »

« Je me retrouvais donc dans une situation que je n'avais pas vu arriver : amoureuse et portant la vie, mais avec aucun avenir. Nous étions en 1942 et j'avais 17 ans, je n'avais plus de famille vers qui me tourner et j'habitais chez ma patronne sans son accord... Rien ne me donnait l'impression que tout allait s'arranger.»

«Ma grossesse me fatiguait et mon moral était au plus bas ; je traînais dans un flot de noirceur... Mais un soir, alors que je tardais à partir de l'atelier, Madame Alice vint me voir.»

« Elle attendit que les ouvriers soient partis pour entamer la conversation avec moi. »

« Quand je la vis s'approcher, la panique me submergea. Mes mains devinrent moites, je sentais des gouttes de sueur perler sur mon front... Je me disais qu'elle avait tout découvert et qu'elle allait me renvoyer ou pire, qu'elle allait me dénoncer et que j'irais finir mes jours dans une cellule.»

« Elle commença par me dire qu'elle avait remarqué que mon comportement avait changé depuis quelques temps, et que cela l'inquiétait. Dans ma tête, cela n'envisageait vraiment rien de bon, je n'arrivais pas à la regarder dans les yeux, et je sentais les larmes affleurer le bord de mes cils. Plus elle me questionnait, plus je sentais mes jambes fléchir sous le poids de ma culpabilité et de ma honte. Toutes mes émotions étaient exacerbées et en peu de temps je fondis en larmes, debout, devant ma table de travail, le corps secoué par le flot continu de mes pleurs. Madame Alice me prit alors dans ses bras et essaya de me consoler. Elle eut un geste qui me calma presque automatiquement, celui de me caresser doucement la tête, comme le faisait ma mère lorsque j'étais petite fille. Pendant un instant, je me suis revue avec ma famille. Pendant un instant, j'avais réussi à oublier tout le chagrin. »

« Alors que je recouvrais mes esprits et que j'essuyais mes dernières larmes, je me dis qu'il fallait que j'avoue tout à ma patronne. Même si elle travaillait pour les Allemands, elle avait fait preuve d'amabilité envers moi, et je devais être honnête avec elle. Surtout que depuis que j'étais avec Werner, j'étais désormais très mal placée pour juger de ses actes. »

« Je révélais donc à Madame Alice que, depuis des mois, je logeais à son insu, dans son atelier. Je m'attendais à toutes les réactions possibles de sa part : la colère, la contrariété, la déception... à tout, sauf à ce qu'elle me répondit ».

« En fait, elle le savait. »

« Elle en avait fait la découverte, un soir où elle avait dû revenir sur ses pas après avoir fermé l'atelier de couture pour la journée. Elle avait oublié je ne sais quoi et m'avait aperçu escaladant la fenêtre. Le lendemain, elle fit de même et retourna à l'atelier alors que tout le monde était parti et me vit faire exactement la même chose. Quelques minutes après mon intrusion, elle vint jusqu'à ladite fenêtre pour me voir m'enfoncer dans la noirceur de la réserve du fond. Ce ne fut que le surlendemain, qu'elle comprit que j'avais fait de ce placard mon chez-moi, voyant un amoncellement de couvertures qui me faisait office de couchage. Je fus très surprise d'entendre cela, et encore plus surprise du fait qu'elle ne m'avait pas jeté dehors. »

« Puis, elle prit mes mains dans les siennes et ajouta :

- Et à ce que j'ai également compris, c'est que tu as des petits pieds qui poussent.

- Mais, comment... ? Bafouillais-je.

- Avant d'être Madame Alice, ta patronne, je suis également une femme tu sais Madeleine, et je reconnaîtrais à des kilomètres une femme qui a un gros ventre. »

« J'étais abasourdie. »

« Cette femme n'était pas ce qu'elle semblait être. Cette femme qui, dans l'ombre, m'avait en quelque sorte protégée, me montrait qu'elle était remplie d'un sentiment sans faille de commisération. »

« Danstout ce fatras qu'était devenue ma vie, j'avais un soutien, j'avais une alliée.Alice Bertrand fut la personne qui me montra que tout espoir n'était pas vain.»

✒📓Quand la vie s'appelait Madeleine📓✒ { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant