Partie 12

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« Victor était tombé amoureux de moi. »

« Il me l'avoua très rapidement et me demanda, tout aussi rapidement, si nous pouvions nous fréquenter plus officiellement. J'étais tiraillée. Je ne savais quoi lui répondre. Mais comme c'était un galant homme et qu'il vit que j'hésitais, il me laissa du temps pour y réfléchir. »

« Que devais-je faire ? »

« Si je laissais parler mon cœur, celui-ci criait Werner. Si j'écoutais ma raison, Victor était un bon parti. Mais le fait que ce dernier soit d'une très grande gentillesse ne faisait pas tout et surtout, ne faisait pas suffisamment battre mon cœur. »

« Mais j'ai dû prendre une décision car je ne voulais pas jouer avec les sentiments de Victor. Je respectais cet homme et il méritait que je sois honnête sur ce que je ressentais pour lui. »

« Nous étions au début de l'année 1944, un hiver glacé et pluvieux balayait la campagne. Tout autour de soi, on pouvait ressentir le poids d'une noirceur ambiante, et le comble était que je devais instiller ce sentiment dans le cœur d'un homme qui n'aspirait qu'au bonheur. »

« Comment pouvais-je devenir ce genre de femme ? Et en même temps, je n'avais rien fait pour que Victor s'amourache de moi. Nous n'avions fait que parler ensemble. Mais le cœur a ses raisons... »

« Même si je voulais lui donner une réponse, je repoussais à chaque fois l'échéance, lui demandant de me laisser encore du temps. Je voyais bien dans son regard que, plus les jours passaient, plus son inclination à mon égard s'étiolait. Il venait moins souvent me voir, et quand je lui disais que je n'avais pas encore de réponse à lui donner, il partait de suite, l'air désabusé. C'était peut-être ainsi qu'il fallait que j'opère pour lui faire le moins de mal possible, pensais-je quelque fois, mais finalement je ne pouvais me contraindre à laisser la situation se dégrader de la sorte. C'était fuir mes responsabilités. Et même si, depuis quelques années, la fuite m'avait servi uniquement pour sauver ma vie ; ici, il n'était question que de couardise, pas de sauvetage. »

« Alors un jour, prenant mon courage à deux mains, je traversais les kilomètres de champs et de vignes qui séparaient la ferme des Roche de la propriété des Monnier. Je frappais à la porte et demandais à voir Victor. Il fut surpris de voir que j'avais fait le déplacement jusque chez lui. En effet cela était inhabituel, car c'était toujours lui qui se déplaçait lors de nos rencontres. »

« Nous nous retrouvâmes dans un salon richement décoré. J'étais assise sur un sofa, le regard fixé sur mes pieds, me triturant les mains dans tous les sens car je ne savais comment amorcer la discussion. Lui, était resté debout et attendait de toute sa hauteur que je daigne émettre une parole. »

« Prenant une grande inspiration, je pus trouver la force nécessaire pour lui parler. »

« Je lui dis alors que j'étais extrêmement touchée de l'intérêt qu'il me portait, qu'il était un homme d'une grande bonté et d'une gentillesse sans faille. Qu'il n'avait pas de préjugés, ne cherchant jamais à en savoir plus que nécessaire sur moi et sur Garance, et que je le respectais énormément pour cela. Que j'avais vu que je ne lui étais pas indifférente et que je ne voulais pas jouer avec ses sentiments, mais que malheureusement, la vie n'avait pas été douce avec moi, et par conséquent, le seul bonheur auquel je voulais prétendre c'était uniquement celui de ma fille. »

« Je n'avais pas tout à fait fini de lui dire tout ce que j'avais en tête, et surtout de lui répondre par la négative à sa demande de fréquentation assidue, quand il me coupa dans mon élan. »

« Je ne m'attendais pas à ce qu'il me coupât la parole, il avait été si compliqué pour moi de trouver le courage pour lui dire tout ceci. Mais en fait, il ne voulait pas entendre la suite ; il l'avait déjà devinée. Il me dit qu'il pensait être suffisamment fort pour entendre les mots que j'avais à lui prononcer, mais il m'avoua qu'au final cela était bien plus dur qu'il ne l'avait présumé. Il s'assit alors à mes côtés, me prit les mains que j'avais toujours collées l'une à l'autre et me dit que si j'acceptais que l'on devienne un couple, il serait le plus heureux des hommes, et ferait tout ce qu'il pourrait pour me rendre la vie la plus douce possible. La mienne mais également celle de ma fille, car il était prêt à devenir la figure paternelle que Garance n'avait jamais eue. »

« Ces paroles m'émurent au plus haut point. »

« Victor était vraiment une personne exceptionnelle et je me maudissais de lui causer de la peine. »

« Nous nous regardâmes, les yeux dans les yeux. Dans le miroitement de ses iris foncés, j'y voyais mon reflet ; mon image y prenait toute la place. Je compris qu'il n'y avait pas que dans ses prunelles que je prenais une entière part, mais bien dans son cœur et dans son âme. Mais alors que je sentais une petite chaleur se développer dans le tréfonds de mon être, une flamme de tendresse à l'égard de Victor, nous vîmes arriver en trombe Madame Roche, en pleurs et complètement paniquée. »

« Garance avait disparue. »

« Alors que Madame Roche était affairée et que ma fille était en train de jouer gentiment à ses côtés, l'épouse Roche détourna son attention quelques instants et quand elle porta son regard vers l'endroit où devait se tenir ma fille, Garance n'était plus là. »

« La panique me prit également. Où avait pu aller Garance ? Elle qui était encore si petite, si frêle et qui marchait à peine ? Elle ne pouvait pas être partie bien loin ? Je sortis précipitamment de la maison. Victor et Madame Roche sur les talons, je me précipitais vers la ferme, pour essayer de retrouver la chair de ma chair. »

« Commencèrent alors pour moi, les heures les plus longues de ma vie. »

✒📓Quand la vie s'appelait Madeleine📓✒ { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant