** BONUS : Partie 20 **

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J'étais devant le petit portail gris de la maison de Madeleine, pardon, de la maison de Marie Monnier.

Il ne fallait surtout pas que je fasse l'erreur de l'appeler Madeleine avant de lui montrer ce que j'avais en ma possession.

Quand je repensais à toute cette histoire, le pire dans tout ceci, c'était que, pendant tout le temps de ma lecture et de mes questionnements, elle était en réalité si près de moi.

J'avais tellement de choses à lui demander. Mais la première question que je lui poserais serait : pourquoi avoir abandonné son journal ? C'était une partie de sa vie, pas la plus heureuse, mais elle l'avait écrit pour se libérer. Peut-être qu'aujourd'hui elle n'en avait plus besoin, et que c'était synonyme pour elle d'une époque révolue. Mais pourquoi s'en débarrasser maintenant, et pas avant ?

Alors que j'hésitais à entrer, me revint en mémoire le visage de Mamie Marie. Dans mes souvenirs, elle était déjà une vieille personne ; mais aujourd'hui, elle devait vraiment être très vieille. Ce constat me fit un peu peur. À 85 ans, elle pouvait être grabataire, avec une mémoire en train de flancher, et en réalité, j'avais très peur d'avoir en face de moi, une vieillarde en fin de vie.

Allez, tu es si proche du but Clarissa ! Entre ! Peu importe qui se trouve dans cette maison. C'est la fin de ta quête ! me dis-je pour me donner le courage nécessaire.

Je poussais alors le petit portail gris.

Devant la porte d'entrée, je toquai trois fois. C'était comme si j'étais le Petit Chaperon rouge devant la maison de sa Mère-grand, attendant de tirer la bobinette afin que la chevillette chût. Malheureusement, après quelques instants d'attente, pas de réponse. Je collai mon oreille pour discerner un son, un mouvement, mais de l'autre côté, je n'entendai aucun bruit. Il me serait vraiment intolérable qu'elle ne soit pas chez elle. J'avais tellement besoin de ce moment, de cette rencontre. Effrayée, empressée, j'étais une boule de nerfs trépignant d'impatience.

Mais alors que j'étais à deux doigts de faire demi-tour, contrite et déçue, la porte s'ouvrit et, dans l'entrebâillement, se dessina une forme courbée par les ans, se soulageant du poids de sa vieillesse par une canne qu'elle tenait dans sa main, emmitouflée dans plusieurs couches de vêtements comme si on était plutôt en hiver. Je pris quelques instants supplémentaires pour la détailler. Ses cheveux permanentés étaient d'un gris perlé ; malgré toutes les rides qui striaient son visage, on se perdait dans l'immensité de son regard bleu clair ; quant à sa bouche, elle n'était faite qu'une mince ligne de lèvres qu'on distinguait à peine.

Je trouvais qu'elle était la plus charmante et la plus captivante des vieilles dames que j'avais croisées dans ma vie.

Enfin, ça y était... Je la voyais. Elle était bien là. Bien vivante et devant moi.

J'essayais de refouler tant que possible, les larmes qui commençaient à poindre au coin de mes yeux. Ce n'était pas de la tristesse que je ressentais. C'était de la joie !

- Bonjour, mademoiselle, me dit-elle. Que puis-je pour vous ?

Sa petite voix aiguë et chevrotante me surprit. J'avais tellement imaginé Madeleine que je ne m'attendais pas entendre ses propres paroles avec cette sonorité. En réalité, quand je lisais ses mots, je l'entendais me narrer son histoire avec le timbre d'une jeune fille d'une vingtaine d'années.

Ma stupéfaction me faisait perdre du temps, et le silence que j'imposais en ne répondant pas à sa question, pouvait m'être défavorable. Mais je ne savais pas trop comment entamer la discussion :

- Euh... Madame Monnier ? Marie Monnier ?

- Oui. C'est moi-même.

- Bonjour Madame Monnier. Je m'excuse de venir vous déranger aussi tardivement, mais... Comment vous expliquer ?

J'essayais de trouver les bons mots, mais j'avais l'impression de me perdre. Surtout que je voyais Madeleine qui commençait à froncer les sourcils. Possible signe avant-coureur qui pouvait me coûter d'avoir une porte claquante sur le nez. Et ce n'était absolument pas ce que je voulais.

- Voilà. Je ne sais pas si vous allez vous souvenir de moi, et que mon nom va vous rappeler quelque chose, mais je m'appelle Clarissa Castel. Je suis la fille des Castel qui habitent plus haut dans la rue.

Madeleine fronçait de nouveau les sourcils. J'espérais que c'était parce qu'elle réfléchissait. Puis, en un instant, un sourire vint illuminer son visage :

- Oh ! mais oui, la petite Castel ! Mais bien sûr que je me souviens de toi ! Oh ! là là ! mais c'est que tu as bien grandi, dis-moi. Tu es devenue une belle jeune femme ! Mais qu'est-ce qui t'amènes, ma petite ?

Elle ne m'avait pas oubliée. J'étais tellement heureuse de voir que je faisais toujours partie de ses souvenirs, et soulagée de voir qu'elle n'avait aucun problème de mémoire. Ce qui était vraiment une bonne chose, car j'allais très certainement lui demander de se replonger dans sa jeunesse, et j'espérais que cela ne la dérangerait pas de m'en parler.

- En fait, je voulais prendre de vos nouvelles, lui dis-je.

Mais Clarissa, mais... Mais qu'est-ce que tu lui racontes ! me dis-je. Je ne savais pas pourquoi je lui avais dit cela, mais c'était la première chose qui m'avait traversé l'esprit. Et en même temps, je me voyais mal lui sortir tout de go : « Eh, Madame Monnier, j'ai votre journal intime et j'ai tout lu ! »

- Entre, mais entre ma petite ! Oh, ça me fait tellement plaisir de te voir !

Et moi donc, Madeleine, pensais-je. Et moi donc.

✒📓Quand la vie s'appelait Madeleine📓✒ { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant