A la dérive

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   Le cœur à la dérive, navire solitaire dans l'étendue vide de nos âmes meurtries, abîmées, fracassées par les marées. Le vent dans les voiles, dans les cheveux, dans les yeux, dans la tête surtout. Tête pleine de pensées éraflées, agitées comme les voiles du bateau perdu dans les flots.

   Et les mains qui courent, courent autant qu'elles le peuvent, effrayées, cachées derrière les tissus. Mais l'obscurité ne dissimule pas tout. Pourtant elles continuent de grimper, d'effleurer, de parler dans ce langage qu'on comprend tous inconsciemment. Les envies sont masquées, tout comme ce qu'on ressent. Ces jeux à deux, enveloppées dans de pieuses idées pour ne pas culpabiliser, pour ne pas regretter. Mais qu'est la vie, si ce n'est péchers ?

   On croit pouvoir mouiller l'ancre le temps d'une nuit ou deux et quitter le port au petit jour. Larguer les amarres, prendre le large comme tant d'autres avant nous. On croit qu'on n'y pensera plus dans un temps, qu'on aura tout oublié. Mais on s'est attaché. Les cordages se sont accrochés à son poignet, on ne peut plus s'éloigner. L'horizon est loin désormais. Nos pensées fanées, esquintées par les heures écoulées sur le pont usé, les heures passées à se rappeler à quel point nous avons échoué.

   Nos pensées qu'on camoufle, tristes accrocs dans la coque du bateau. On voudrait qu'elle paraisse parfaite, n'est-ce pas ? Que personne ne la voit alterrée, amochée, décomposée parfois. Cette faille dans l'architecture douce et admirable. Éclatante et délicate et pourtant déjà si fatiguée.

   Alors on se cache derrière nos "je t'aime" à peine murmurés et encore moins réfléchis, nos sombres envies et nos draps froissés, encore une fois. Espérant secrètement que tout sera oublié. Priant pour que tout soit anéanti à la fin de la nuit.

   Mais l'obscurité ne dissimule pas tout.

L.

A travers la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant