Seule la fleur sait... - Roman

Épilogue - Dix ans plus tard

- Ah! Arikawa-sensei, bonjour! Tu as un cours à donner ce matin, n'est-ce pas?

- Exact, Tsujimura-sensei.

- Tu ne m'en veux pas de t'avoir presque forcé à enseigner?

Le professeur Tsujimura sourit chaleureusement. Ils sont au 2e étage, au département de botanique. Le soleil matinal de janvier éclaire le corridor presque désert d'une lumière blanche. Shôta sourit en se souvenant de la pression que lui a faite son professeur, quand il a terminé son doctorat, pour qu'il donne une charge de cours :

- Non, j'aime bien. Même si je préfère encore le labo!

- Je sais, je sais! Mais tu fais un superbe professeur. Et il n'était pas question que tu n'aies qu'un poste à temps partiel, comme ton grand-père l'a fait pour éviter de me croiser trop souvent!

Tsujimura-sensei se met à rire et fait un clin d'œil à Shôta, conscient qu'il n'y aura que lui pour comprendre toute la portée de sa phrase. Quand Shôta repense à ce passé secret entre son grand-père et son professeur, devenu le doyen du département depuis quelques années, il est encore bouleversé. Et aussi extrêmement soulagé de ne pas être né à cette époque.

Tsujimura-sensei jette un coup d'œil à sa montre et sursaute.

- Oh! J'ai une réunion avec le recteur à 8h30, je dois y aller... Ah, mais attends...

Il se penche sur sa mallette de cuir et il sort un magazine à la couverture turquoise :

- Tu féliciteras Arikawa-san!

Shôta regarde plus attentivement et il a un coup au cœur en reconnaissant Yôichi à la une du magazine qui titre : « Arikawa Yôichi, avocat LGBTQ. » Et une ligne en anglais, sans doute pour faire aussi « cool » que la personnalité présentée : « The lawyer who changes Japan ». L'avocat qui change le Japon, rien que ça? C'est tellement toi, Yôichi.

- À voir ta réaction, tu ne l'avais pas vu?

- Euh non... Il a fait la séance photo en octobre et il a eu une entrevue aussi, je pense... Mais je n'avais pas vu le résultat.

- Ça vient de sortir! Je suis fan, c'est un excellent reportage. Je te le laisse, tiens!

- Hé? Mais...

- Ah oui, ah oui! Tu devrais le lire, toi aussi! Ah et puis, l'entrevue complète passe ce soir, à la NHK, 21h! Je serai à l'écoute!

- Oh... Eh bien, je...

Tsujimura-sensei lui met la revue dans les mains et il quitte avec son air enthousiaste habituel, ne lui laissant pas le temps de s'opposer. Shôta reste un peu surpris au milieu du couloir, le magazine à la main. Il soupire. Son professeur n'a pas changé, depuis le temps... Mal organisé, très chaleureux et avec une légère tendance à forcer la main des autres...

Shôta regarde la couverture turquoise. Yôichi est là, avec son sourire en coin, ses yeux francs fixant la caméra et ses cheveux en bataille un peu trop longs pour un avocat digne de ce nom. Il porte son complet préféré, le brun avec des lignes fines, et une cravate bleue à points vert pâle que Yôichi lui a offerte à son anniversaire, en février dernier. Il a un crayon rouge à la main qu'il tient comme s'il allait le glisser dans ses cheveux. Sur cette photo, il a un charme fou, c'est indéniable.

Shôta glisse le magazine dans sa mallette pour limiter l'impact. Il se remet à marcher vers son local de classe en pensant qu'il connait le Yôichi qui préfère mille fois plus porter un t-shirt confortable, avec une chemise décontractée par-dessus. Ce qu'il fait dès qu'il met le pied à la maison. Je gage qu'il serait tout aussi charmant avec une photo de lui au naturel.