Seule la fleur sait... - Roman

Prologue - La gentillesse

Le soleil est déjà bas sur l'horizon. L'étudiant en sarrau blanc le remarque et soupire. L'autre assistant engagé par leur professeur de botanique, n'est pas venu de la journée. S'il arrive ce soir, il sera plus compliqué de déplacer toutes les plantes dans la salle de cours, comme le professeur leur a demandé la veille. S'ils y vont trop tard, il faudra faire venir un agent de sécurité pour déverrouiller la porte de la classe. Le cours de l'après-midi vient tout juste de finir. C'est maintenant ou jamais, se dit l'étudiant en se levant, sans savoir que ce pas est le premier de sa nouvelle vie.

Il place doucement les plantes dans un grand bac pour les transporter lui-même. Il prend le temps de les regarder une à une, d'admirer les boutons. Il a un doux sourire en constatant les fleurs ouvertes d'une violette. Un rayon de soleil frappe le pendentif qu'il porte et le bijou scintille de mille feux. Il s'empresse de le cacher sous son chandail, perdant tout à coup la joie qui colorait son visage. Pourquoi s'entête-t-il à garder ce pendentif de fleur offert par Kawabata, l'homme qu'il a aimé en vain? Espère-t-il encore?

Il prend le bac, chassant les pensées qui le perturbent. La porte s'ouvre juste au moment où il se demande comment l'ouvrir. C'est le professeur :

- Oh! Tu les amènes tout seul?

- Oui, Takada viendra sans doute seulement ce soir.

- Je suis désolé de te faire faire ce travail qui n'a rien à voir avec nos recherches ou ta maîtrise...

- Mais non, je suis content d'en prendre soin. Je les aime ces plantes.

Le professeur sourit. En voyant la douceur dans son regard, n'importe qui comprendra que l'étudiant devant lui est son préféré.

- Je suis certaine que ces plantes t'aiment beaucoup aussi.

Le sourire de l'étudiant s'élargit et il passe la porte en le saluant.

Le bac est lourd et, comme les cours viennent de se terminer, les étudiants sont nombreux dans les couloirs. Il réussit à descendre les marches, puis à sortir du bâtiment. La salle de classe n'est plus très loin. Mais le bac pèse de plus en plus. Il entend une voix forte et chaleureuse :

- Oh Ikejima! Ça faisait longtemps!

L'étudiant reconnaît le nom. Comme lui, Ikejima étudie au master de botanique. Il ne lui a jamais parlé, alors il hésite. Mais il aurait vraiment besoin d'aide maintenant, réalise-t-il en notant le tremblement de ses bras.

- Pourquoi tu fais cette tête, Arikawa? Tu pleures ou quoi?, demande Ikejima.

- Ah j'ai un problème avec mes lentilles..., répond l'homme à la voix chaude.

- C'est vrai que tu es très myope...

Les deux passent près de lui. L'étudiant ne dit rien, retenant avec peine le bac trop lourd, se concentrant sur le bâtiment tout proche maintenant. Il a renoncé à demander l'aide d'Ikejima et il n'écoute plus leur conversation, mais il ne peut s'empêcher de l'entendre crier :

- Hein!!! Tu abuses! Et elle te pardonne? Pourquoi je n'ai pas de copine, moi?

L'étudiant en sarrau dépose un moment le bac sur un petit muret et il prend une respiration. Sans entendre la réponse de l'inconnu, il reprend le bac et repart, mais il a le temps d'entendre Ikejima dire :

- Ah... Je ne trouve pas de copine... Les autres en sont venus à vouloir me caser avec Misaki...

Le bac dans les bras de l'étudiant bascule. Il tente de le retenir, le penchant vers la droite, puis la gauche, avant de plier les genoux pour rattraper le mouvement, mais ce qui devait arriver se produit : dans un grand boum, le bac tombe au sol et les plantes tombent à la renverse.