Ce que nous sommes...

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- Il est à vous maintenant.

Ce sont les premiers mots que j'ai détesté. « Il est à vous maintenant » a été dit comme si je n'étais qu'un objet, une affaire. J'avais 3 ans. À 3 ans, tu sais que la vie n'est pas simple, mais tu ne veux pas y croire... Ces mots, te rappellent que pour les adultes, tu n'es rien. Juste un être qui vit mais qui d'après eux ne connaît pas grand-chose.

- Nous en prendrons soin, comme notre propre fils.

J'avais oublié ces mots, peut-être pour me dire que ce n'était pas vrai,que j'étais leur enfant. Je pense que je ne voulais pas voir une vérité, la vérité qui fait mal pour chaque enfant... Une douleur,une incertitude que tu préfères laisser de côté, mais pourtant tu la connais, tu es l'enfant de Personne. J'étais dans la famille la plus merveilleuse, j'étais le dernier.

On m'a emmené à l'école.

L'école n'était pas comme dans les livres éducatifs d'enfants, elle ressemblait à une maison d'horreur. Le portail ne tenait que grâce à un gond, le sol était éventré à tous endroits. Les arbres se refermaient d'un air menaçant sur nous, le bâtiment était en granit sombre, des corbeaux nous toisaient du haut de leur perchoir ,le préau pouvait à tout moment s'écrouler. Malgré une cour fantomatique avec des tricycles qui avançaient par la force du vent,j'ai adoré être à mon école. La maternelle était magique, on faisait du coloriage, des jeux, des puzzles, on apprenait à écrire nos prénoms. Mais surtout j'étais obnubilé par une fille. Celle qui lors des siestes se mettait à pleurer dans son coin sans rien dire et qui, tout bas, murmurait : « Je veux ma maman... ». Elle n'avait pas de maman, elle disait toujours qu'elle dansait avec les oiseaux et les anges sur les nuages et qu'elle l'attendait.

Quand j'étais chez moi, je ne disais jamais rien. À quoi ça sert de parler ? Les autres parlaient pour moi. On était 6 enfants. Mes parents ne pouvaient pas écouter tout le monde en même temps. Ils avaient mis en place un petit moment discutions tous les soirs pour chacun. Ils passaient de chambre en chambre pour discuter mais mes parents et moi, on a jamais eu le temps de parler sérieusement. Je m'endormais toujours avant qu'ils n'arrivent dans ma chambre. Mes frères et sœurs étaient plus âgés que moi. Ils devaient tous choisir une orientation dès la 6ème.

Un soir, lors d'un repas à table, chacun contait le métier qu'il souhaiterait faire en demandant conseils auprès de mes parents. Je les écoutais vouloir devenir infirmière, professeur, ingénieur,maçon. Moi, qui à cette période n'était âgé que de 5 ans ne voulait pas devenir tout ça, je voulais devenir...

- Un phénix...

Tout le monde se tut, personne n'avait entendu ma voix mais tous avaient vu mes lèvres bouger pour former un mot, un son, une phrase.

- Tu as dit quoi ? M'interrogea une de mes aînés.

- Un phénix, murmurais-je en regardant mon assiette.

- Une fée ? Proposa un de mes frères.

- Non, un phénix, il a dit, dit ma mère.

- Ah... Dit le reste de la table en chœur.

Leur regard se fixèrent puis ils reprirent la conversation. Voilà,comment ils ont été la fois où ils ont entendus ma voix à table.

Avec le temps, on me força à plus parler, de peur que je ne devienne muet ou autre. Moi, je parlais pour leur plaisir, pas pour le mien.

À11 ans, on n'était plus que 4 à la maison. Quatre de mes frères et sœurs étaient partis étudier, travailler, fonder une famille. Il ne restait plus que Clara et moi comme enfant. Mais Clara devait bientôt partir, elle allait dans quelques mois dans un nouvel établissement, et moi, je me retrouverai seul.

Je ne m'en plaignais pas, après tout j'avais le droit de choisir ma chambre, la remettre à mon goût. La décorer comme je le souhaitais, personne ne me dirait quelque chose.

Mais c'est aussi l'année où je commençais à rentrer dans la cour des« grands », paraît-il... On m'a demandé ce que je voulais faire, quelle étude, quelle filière, etc... Moi, je voulais rien de tout ça, je voulais juste être ce que je voulais être depuis petit, un merveilleux phénix.

- C'est pas possible, tu sais.

Ma mère m'a désarmé. Elle m'a enlevé tout espoir. C'est vrai que normalement je savais que je ne devais plus y croire, après tout ce n'était que du fantastique. Mais je savais et je sais qu'ils existaient. J'ai avancé dans le temps en faisant semblant d'avoir un autre projet que le phénix. J'ai fait croire que je tissais ma toile autour de ce qu'on m'a conseillé alors que je faisais tout le contraire.

À l'âge de 16 ans, je les ai tous perdu. Les accidents de voitures ne pardonnent pas, surtout quand ce ne sont pas des auto-tamponneuses...Mais pourtant, je ne sais qui a voulut m'épargner.

Sauf qu'être épargner, quelque fois, ça peut être la pire chose au monde. Surtout lorsque tu as tout vu. Les secours ont cru au départ que j'étais comme les autres, partis trop en avance.

On était 8 dans la famille, je suis tout seul maintenant. J'ai eu plusieurs cicatrices, mais par rapport aux autres, je n'ai rien eu...

- Merci, prenez en soin.

Des paroles que j'ai entendu à l'âge de 17 ans, je ne comprenais pas pourquoi ils se donnaient tous, tant de mal. J'arrivais dans une nouvelle demeure, plus grande, mais plus turbulente. Je ne voulais pas y rester. J'ai fugué... Peut-être que c'était une mauvaise décision. Mais j'en avais rien à faire. Je voulais ma famille, je suis retourné là où j'ai vécu, ce n'était pas forcément la meilleure idée.

J'ai grandi, et avec le temps, j'ai appris de mes erreurs, et je suis devenu, ce que tout le monde est, ou bien la plupart, quelqu'un de bien ou de mal, qui a eu des peines, des joies, mais malgré toutes les épreuves, à chaque fois s'est relevé, s'est battu pour devenir plus fort ou retomber, pour finalement à chaque fois renaître de ses cendres... Comme un phénix.

Les chemins qui s'entrecroisent ... Où les histoires vivent. Découvrez maintenant