L'angoisse du silence

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-Je t'ai déjà raconté ce qui m'a valu mon emprisonnement dans la lampe, déclara-t-il enfin d'une voix lointaine. J'étais puissant, le plus puissant de mon espèce. Je voulais le pouvoir. Alors j'ai tué un par un tous mes concurrents. Tous les autres génies. Puis j'ai commencé à régner en maître sur le monde des mortels, à monter des sectes pour m'adorer, à organiser des sacrifices et des orgies en mon honneur, à détruire des villes sur des caprices... Et au fond de moi grandissait un sentiment d'insatisfaction toujours plus grand. Je possédais tout, je régnais sur tout, si bien que même les fées et les dragons me craignaient. Je crois que pour tous les êtres de cet univers, le temps où j'ai régné sur la terre reste une période de ténèbres abominables.

-Et puis ?

-J'ai capturé une fée. La Reine des fées. Sans raison particulière, simplement pour assouvir un fantasme passager.

Aladdin pâli, mais ne dit rien.

-J'ai abusé d'elle comme je le souhaitai, continua lae génie, et au lieu de la tuer, lorsque je me suis lassé, je l'ai gardé à mes côtés, dans une immense cage dorée qui trônait en permanence dans ma chambre. Elle ne me haïssait pas, pourtant. Les fées étaient incapables de haïr. Et je... Je...

-Tu es tombé amoureux ? Souffla Aladdin.

-Oui. Ça a pris longtemps, bien longtemps. Un siècle, peut-être deux. Les génies et les fées ne comptent pas le temps comme les humains. Elle a ouvert mes yeux sur un monde étrange, que je n'avais jamais soupçonné. Un peu comme ton Jasmin, je me suis aperçu que j'étais entouré d'autres êtres, et que j'étais plus heureux en tentant de les comprendre qu'en les détruisant. Mais contrairement à Jasmin, il était trop tard, bien trop tard pour faire marche arrière.

-Comment...

-Est-elle morte ?

La voix de lae génie paraissait si loin d'Agrabah qu'Aladdin craignit qu'il ne se tût.

-Une révolte. Un incendie. J'ai essayé de m'expliquer avec mes anciens esclaves, mais il était trop tard, beaucoup trop tard. Elle est morte, dans sa cage, la cage que j'aurais dû ouvrir des années auparavant. Si seulement j'avais eu le courage de la laisser partir... Et c'est à cet instant, cet instant-là, que j'ai compris que je l'aimais. Je suis devenu complètement fou de douleur, j'ai commencé à tout détruire sur mon passage. Alors le peuple des fées a fait un choix. Peut-être la chose la plus courageuse et la plus désintéressée dont l'univers n'ait jamais été témoin. Elles ont décidé d'unir leur pouvoir pour me mettre hors d'état de nuire. Tous leur pouvoir, jusqu'à la dernière étincelle.

-Et...

-Les fées sont faites – étaient faites – de magie. Elles ont réussi. Et elles sont toutes mortes, jusqu'à la dernière d'entre elles. Elles ont éteint leur espèce pour sauver le monde. De moi.

Lae génie ferma les yeux, un long, long moment.

-Tout cela se passait des millénaires en avant, reprit-il doucement. À une époque où les dragons étaient un peuple jeune, et les civilisations humaines à peine balbutiantes. Et pourtant, il y a toujours un vide, au fond de moi. Parce que je l'ai perdu, qu'elle est morte par ma faute, et que je n'ai pas compris à temps ce que signifiait « aimer ». Des milliards d'années, et la cicatrice est toujours fraiche. Tu comprends, Aladdin ?

Aladdin ne répondit pas tout de suite, songeur.

-Peut-être est-ce plus simple d'avoir un cœur de pierre, répondit-il enfin, et de ne pas ressentir de passion. Finalement, je ne suis pas malheureux, ainsi. J'accepte les choses telles qu'elles sont, je me laisse porter par le monde. Je ne me mets jamais vraiment en colère, je ne perds jamais la raison.

Le Prince, le voleur, et la lampe merveilleuse (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant