Il était une fois un prince vaniteux, qui arpentait d'un air rageur les couloirs marbrés du Palais.
Le jeune serviteur roux au fessier superbe sur lequel il lorgnait depuis plus de deux jours avaient essayé de se refuser à lui. De se refuser à lui ! À lui ! Lui, Jasmin, prince héritier, un jour prochain Sultan à la place de sa mère, la grande Sultane Alibaba ! Et beau gosse, en plus.
Le prince prit un instant pour s'admirer dans l'un des miroirs qui tapissait les murs. Il prit la pose, et passa sa main dans sa longue et lourde chevelure noire, qu'il laissait librement cascader jusqu'au creux de ses reins – superbement galbés. Il effleura d'un œil appréciateur les courbes de sa silhouette fine et souple, impeccablement bronzé, avec juste ce qu'il fallait de muscles, agréablement mis en valeurs par ses habits vaporeux, légèrement transparents.
Oui, ce serviteur était le dernier des imbéciles. Est-ce qu'il devait le faire fouetter et le garder quand même, dans l'espoir qu'il lui cède, où valait-il mieux le renvoyer directement de l'autre côté du mur, pour bien faire comprendre aux autres qu'il n'aimait pas l'insubordination ?
Il en était à ce point de ses très charmantes réflexions lorsque l'impression d'une présence, non loin de lui, le fit sursauter. Il frissonna instinctivement avant de tourner la tête, sachant déjà qui il allait voir.
Une silhouette décharnée, engoncée dans une tunique rouge et noire du plus mauvais goût. Un visage glabre, sec, au menton souligné par une horrible barbichette, et au long nez pointu, à l'arête si droite qu'on l'aurait cru coupée au couteau.
-Jafar, salua le prince d'une voix qui se voulait tout sauf aimable. Que me vaut l'incroyable plaisir de votre compagnie ?
-Une simple coïncidence, Votre Altesse, répondit l'homme d'une voix doucereuse. Je m'en voudrais de troubler votre contemplation.
-Je n'aime pas quand vous avez cet air, râla Jasmin.
-Quel air, Votre Altesse ?
-L'air de celui qui prépare un mauvais coup.
-Au risque de vous décevoir, Majesté, je porte mon air habituel...
-Oui, c'est bien ce que je dis. Je n'aime pas votre air.
Sale gosse, songea Jafar, en parfait échos avec à peu près tous ceux qui avaient eut l'occasion de rencontrer le prince.
-Je ne vais pas vous l'imposer plus longtemps, dans ce cas, répliqua le Grand Vizir de la même voix mielleuse en continuant son chemin.
Un perroquet au plumage chatoyant vint se poser sur son épaule, sans qu'il lui accorde la moindre marque d'attention. Jasmin eut un désagréable frisson. Tous le monde se savait – sans oser le dire – qu'il ne s'agissait pas réellement d'un perroquet, et qu'autrefois, Iago était un jeune homme plein d'allant, apprentis du Grand Vizir. Jafar avait tenté sur lui une expérience interdite, pour une raison qu'il n'avait jamais voulu avouer. On avait plus revu l'apprenti, depuis. Seulement cet oiseau.
Une énième fois, Jasmin se demanda quelle emprise Jafar pouvait bien avoir sur sa mère, pour qu'elle ne l'ait pas destitué, malgré la preuve de cette violation à une de leurs lois les plus fondamentales.
Alors qu'il regardait la silhouette du Grand Vizir disparaître au bout du couloir, un picotement désagréable trancha la poitrine du prince, une ligne horizontale passant juste au niveau de son cœur. Il savait qu'en soulevant ses habits, il trouverait en travers de son torse une cicatrice. Sa seule imperfection. Une marque de naissance, lui avait-on dit. Mais pourquoi réagissait-elle toujours ainsi, lorsque le Grand Vizir traînait près de lui ?
Le prince à la chevelure d'ébène haussa les épaules et revint à ce qu'il estimait être un sujet plus immédiat, et plus important. Le serviteur impertinent. Et s'il lui faisait tondre la tête ?
~
Jafar s'éloigna rapidement du prince, qui s'admirait toujours dans son miroir, un air satisfait peint sur ses traits.
-Sale gosse, lâcha Iago, histoire de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas.
-Certes, convint Jafar. Sa conversation n'est pas son plus grand attrait...
L'oiseau ne dit rien. Il avait remarqué, depuis quelques années, la lueur qui s'allumaient dans les yeux du sorcier lorsqu'il évoquait le prince. La même lueur qu'il avait eut en le regardant lui, à l'époque si lointaine où il avait encore un corps avec des bras, des jambes, une peau douce, et un regard humain.
Concupiscence, criait le regard de Jafar. Désir.
Et même si le prince était insupportable, Iago ne pouvait s'empêcher de frémir, sous son plumage chamarré, en songeant au danger qui guettait Jasmin, et dont il ne savait rien.
Mais la beauté du prince n'était pas la préoccupation actuelle du Grand Vizir, qui se dirigeait d'un pas décidé vers son laboratoire.
-Demain soir, marmonna-t-il. Demain soir, toutes les conditions seront réunies...
Iago, une nouvelle fois, choisis de se taire. Ce sujet-là était encore plus dangereux que le précédent.
-Oui, continua Jafar en poussant la porte de son laboratoire. Demain soir...
Il vérifia que la porte s'était bien verrouillée dans son dos, et s'approcha du fond de la pièce, zigzagant avec l'aisance de l'habitude entre les établis où fumaient des alambics, en équilibres sur des piles de manuscrits et de livres anciens. Il enjamba les squelettes de machines inachevées qui peuplaient le dallage, tapa dans un tas d'engrenages rouillées, et atteignit enfin le mur du fond.
Il leva un bras et effectua un geste compliqué, qui laissa dans l'air un symbole scintillant.
Une porte se découpa dans le mur, dans le plus grand silence.
Jafar s'engouffra dans la brèche.
De l'autre côté se trouvait une pièce de taille plus modeste, seulement éclairé par le rayon de lune qui tranchait l'obscurité depuis le trou du plafond jusqu'au mur, face à la porte.
Jafar resta un instant silencieux, contemplant ce que la lune lui révélait. Le rayon d'argent traînait sur une fresque ancienne, presque entièrement rongée par l'humidité. On en distinguait pourtant encore le dessin.
Il s'agissait d'une lampe. Une lampe à huile des plus banales, apparemment en cuivre, sur laquelle étaient gravés d'étranges symboles.
Sortant de sa transe, le sorcier s'approcha et caressa amoureusement le mur.
-Demain soir, murmura-t-il d'une voix grave, qui fit frisonner Iago d'une terreur sourde, demain soir, je créerais une nouvelle Clef, enfin. Et cette fois, personne ne viendra perturber mon œuvre...
À la lueur de la lune, son sourire se para d'ombres profondes, menaçantes.
-Bientôt, je reprendrai ce qui m'appartient de droit.
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Le Prince, le voleur, et la lampe merveilleuse (BxB)
FanficGagnant Wattys 2020 ! --------- Il était une fois une ville gigantesque, tout un royaume de misère et de dépravation. À l'intérieur se trouvait un prince vaniteux et égoïste. Un voleur au cœur pur, sans passé et sans mémoire. Un sorcier cupide aiman...