36 • Vraie réalité

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     Une étrange sensation de déjà-vu me survient quand je sens que mon corps fait des rebonds. Une odeur familière de crottin de cheval envahit mes narines. Néanmoins, la seule chose qui me dérange le plus, ce sont mes mains qui sont liées par une corde désagréable. Mes yeux s'ouvrent enfin sur la clarté du jour. Ma tête est couchée sur le dos d'un homme à priori et mes bras entourent sa taille. La blondeur de ses cheveux me rappelle quelqu'un.

     — Leo ! je parviens à prononcer, heureuse de le revoir.

     Il tourne la tête à mon égard et je me rends compte que ce n'était qu'une illusion. Bien sûr ! Il nous a quittés depuis... cela ne fait même pas une semaine. Il n'avait que dix-sept ans et il s'est sacrifié pour me sauver, qu'importe s'il meurt. Le courage des Këken. Comment ai-je pu être si aveugle pour ne pas apercevoir l'Homme en Leo ? Je suis qu'une idiote... L'individu en face de moi n'est autre qu'Isaiah, l'un des chasseurs qui m'avait enlevée. J'avais bien raison. Nous sommes sur un cheval à galoper je-ne-sais-où. Où sont ses frères et son père ? Ils sont inséparables d'habitude.

     — Réveillée ? Fille de chasseur, s'enquête-t-il.

     — Comment m'avez-vous trouvée ?

     — Ce n'est pas bien difficile. Il suffit de suivre la fumée que votre feu de camp provoque. Vous n'êtes pas doué pour vous cacher. Le saviez-vous ?

     Je ne réponds point. Va-t-il encore me livrer au roi ? Ça m'ait égale. Tant que je trouve mon père. Il doit être terré dans un cachot. C'est de ma faute et tout ce qui m'arrive, je l'ai mérité. Il s'arrête enfin. Il passe mes bras au-dessus de lui puis descend avant de me prendre par la taille pour en faire de même. Ensuite, sans prévenir, il attrape mes mains ligotées et accroche la corde à un hameçon attaché à la ceinture de son pantalon. Suis-je son chien pour être traitée ainsi ?

     — Nous allons nous reposer. Le temps que Fringant reprenne des forces. Nous avons quand même marché plus de quatorze heures.

Quatorze heures ! Mais c'est déjà très loin du campement. Comment vais-je les rejoindre ? Il s'assoit par terre, tirant mes cordes et provoquant ainsi ma chute par terre. Je me fais un peu mal au genou, mais rien de grave. Il prend une goulée de son bidon rempli sûrement d'un liquide alcoolique. Son regard de bois se pose sur moi et un fin sourire se dessine au coin de ses lèvres. Il termine de boire puis me le tend. Je secoue de la tête malgré mon envie irrépressible de sentir l'eau emplir ma bouche. Pour l'instant, je ne sais pas ce qui se trame chez lui, mais ma confiance est toujours sur ses gardes.

— Tu as besoin de boire. Tiens. Ce n'est que de l'eau.

Il me colle le bord du bidon sur mes lèvres et le lève pour laisser le liquide tiède couler dans ma bouche. C'est bien de l'eau. Et ça fait tellement du bien d'en boire, atténuant ma soif. Néanmoins, il le range trop rapidement sur le côté.

— Il faut qu'il en reste encore pour le reste du voyage. Encore une heure de route et nous allons arriver.

— Où m'emmènes-tu ? Le château n'est qu'à quelques heures du campement. Et nous sommes bien trop loin.

— Si tu veux savoir, je suis là pour le compte du prince Nathanael.

Je tombe des nus. Dryadalis avait raison. Il me manipulait depuis le début. Tout n'est qu'un jeu pour lui. Comment ai-je pu être si idiote à ce point ? Qu'avais-je dans la tête ? J'ai donné ma confiance à Nathanael comme si ce n'était que du pain. Combien de fois mon père m'avait prévenu d'être prudent avec les inconnus ? Et je ne l'ai pas écouté. Que s'est-il passé ? Il s'est fait enlever par un voleur de dignité... par le voleur d'honneur de sa propre fille. Je me sens horrible.
Des larmes s'écoulent de mes yeux et bientôt des hoquets font surface alertant Isaiah qui est devenu perplexe. Il fronce des sourcils. Pourtant, il ne devrait pas. Il doit bien savoir ce qui arrive aux chasseurs de ma lignée. Ils sont tués. Et c'est bien ma destinée. Je suis pathétique. Une fille de chasseur du Caulus ne pleure pas. Nous avons droit de verser des larmes qu'à la mort de notre mère. Sinon, nous sommes faibles. Et je suis faible. Mon cœur n'en peut plus. Je n'ai que dix-sept ans et mon honneur est déjà enterré dans ma tombe.

     — Bon, je pense que nous devrions un peu dormir avant de prendre la route, décrète Isaiah.

     Il se couche sur le sol, tirant un peu plus mes cordes. Mais je refuse de m'allonger à ses côtés. Lui et sa famille m'ont causé de nombreux problèmes que je préfère encore dormir avec un ours. Voyant ma résistance, il roule des yeux et se lève sur les coudes pour m'observer. Sa main vient près de ma joue effacée les larmes qui ont versé. Je tourne ma tête, écœurée de son geste.

     — Dors. Tu auras une longue journée demain, me fait-il savoir.

     À contrecœur, je m'allonge à une bonne dizaine de centimètres de lui et admire les étoiles sur ce ciel noir. C'est magnifique comment la nature est faite. Dieu a une telle imagination !

     — Dors. Ces étoiles ne t'aideront en rien.

     Mon regard retrouve le sien qui me fixe dans la noirceur. Je me sens déconcertée sur le moment, mais cache aussi bien cette émotion qu'un masque l'aurait fait. Je devrai trouver quelque chose à découper ses cordes. Toutefois, je n'ai cœur à rien. Mes pensées sont un peu confuses depuis quelques révélations divulguées.
     Soudain, je me redresse brusquement. Maman. Je ne suis plus au campement et elle dormait juste à côté de moi, si paisiblement. Toute sérénité était revenue, la rendant plus belle que jamais. Je lui ai filé entre les doigts. Comment va-t-elle réagir en voyant ma place vide et froide ?

     — Qu'est-ce qui se passe ? me demande mon kidnappeur.

     — J'ai brisé le cœur de ma mère, je souffle. Une troisième fois...

     J'éclate en sanglots. Toutes mes peurs, mon stress accumulé, mes craintes, ces tensions explosent hors de moi en de frénétiques hoquets et en des centaines de ruisseaux. Je sens une main se poser sur mon épaule. Mais le dégoût que j'ai envers les hommes n'est rien comparé à la douleur de ma tendre mère.

Sang de chasseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant