27 • Échange

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     Dire que c'est lui n'aurait pas dû me surprendre. Vu sa carrure, c'est normal qu'il se défende ainsi. Dimantia me demande de redescendre avant qu'un veilleur nous aperçoive. Elle m'explique que les femmes n'ont pas le droit de venir pour diverses raisons qu'elle ne voulait dire. Même si je savais pertinemment ce dont elle sous-entendait dans son silence. Je l'arrête en m'accrochant à son bras pour la faire taire. Ses yeux émeraude me fixent, intrigués.

     — Suis-je arrivée seule ?

     Fronçant des sourcils, elle m'interroge plus précisément. Je m'éclaircis la gorge pour lui reformuler plus calmement ma question.

     — Suis-je arrivée seule ? Ici ?

     Elle hoche la tête se demandant -sûrement- pourquoi je la questionne sur cela. Je la suis jusqu'à ce que nous soyons loin d'eux puis elle s'arrête près d'un puits où un seau pend au-dessus du trou par une corde. Elle croise ses bras, adossée sur le mur de pierre.

     — C'est comment dans ton village ? Tu sais, vous êtes très aimés ici. Vous êtes les seuls à être toujours libre de la portée du roi.

     Je baisse instinctivement des yeux et soupire. Si seulement... Elle remarque mon soudain changement d'humeur. D'un signe de tête, elle me demande de la rejoindre. Je m'assois sur le bord du puits, doigts entrelacés.

     — Tu n'as sûrement pas entendu la nouvelle. Mon village a été attaqué, hier même.

     Elle affiche un visage surpris. Les cris de ses pauvres femmes et de ses enfants me font toujours mal au cœur tandis qu'ils hurlent de douleur dans leurs maisons enflammées. Je ne veux même pas imaginer le sort de ma famille. Ma mère, mon père, ma sœur.
     Sans me contrôler des larmes s'écoulent de mes yeux. Dimantia me prend dans ses bras, me chuchotant que tout va bien que ma famille est sûrement saine et sauve. Mes pleurs se redoublent quand elle évoque mes parents. Des spasmes violents heurtent mon corps. J'ai envie de courir jusqu'à mon village et constater les dégâts. Retrouver les liens de mon sang.
     Cependant, j'ai peur de revoir le corps inerte de Leo et que toutes les images ce jour-là reviennent en tête. Je n'ai fait que le repousser. Pourquoi a-t-il fallu qu'il meure ainsi ? Qu'est-ce qu'il lui a pris de m'aider ? Il aurait pu être un peu égoïste à ce moment-là et s'enfuir aussi loin avec Odile. J'aurai peut-être été avec ma famille. Revoir le dernier sourire de ma mère. Revoir mon père nous lancer un regard plein de courage. Revoir la dernière complicité de ma sœur.
     Je serre la mâchoire pour empêcher mes pleurs de franchir encore plus mes lèvres. Une petite main se glisse dans l'une des miennes. Quand je relève la tête, je rencontre les grands yeux noirs d'Iliossa. Elle me sourit timidement en séchant mes larmes de ses doigts fins.

     — Ilia ! crie une voix grondante.

     Je sursaute tellement le ton est grave. Mes yeux s'ancrent profondément dans ce regard noisette aux touches de vert sapin. On imagine bien une forêt sauvage où mille pensées s'y réfugient. Il me dévisage un instant, troublé, ensuite comme si mon énergie se faisait subitement arracher, il détourne les yeux pour les poser sur la petite.

     — Ta mère te cherche. Tu es encore sortie en douce de la maison ! gronde-t-il.

     — Mais ce n'est pas drôle de rester à l'intérieur, se plaint la blondinette.

     — Au village. Tout de suite, crache-t-il.

     La petite déguerpit aussi vite qu'elle peut sous le regard tueur d'Imperium. Dimantia a l'air de ne plus tenir debout à mes côtés. Ses yeux se promènent ailleurs sans jamais croiser les miens ou les poser sur lui. Je me revois encore à cette taverne où il nous a défendues, Odile et moi. Un homme froid, autoritaire et confiant. Pourtant, il nous a aidées. Et je comprends mieux. C'est l'un des miens, l'un des nôtres, un chasseur de notre grand Caulus.

     — Dimantia, retournez au village. Vous n'avez rien à faire ici, ordonne-t-il sans me quitter du regard une seule seconde.

     Ce qui a le don de me rendre mal à l'aise par un échange aussi intense. Dimantia me tire le bras, me chuchotant de venir qu'il ne faut pas rester une minute de plus ici. Je prends l'initiative de la suivre vu comme elle me supplie des yeux. On court même jusqu'à voir la première maisonnette. Ne devait-il pas s'entraîner ? On l'avait vu, il y a à peine une dizaine de minutes. J'ai l'impression qu'il inspire la crainte aux autres et à la fois, l'admiration. De quel village devait-il venir ?

      Louloudia vient à notre rencontre avec un panier de linge. Un sourire aux lèvres, elle dépose ses affaires à côté de nous. Ensuite, elle se tient devant nous, les mains sur les hanches.

     — Dis donc, que faites-vous assises à poireauter ? Ne me dis pas que chez vous, les jeunes filles ne font point le ménage ? s'adresse-t-elle à moi.

     On se relève avec le panier dans les bras. Dimantia me montre où nous lavons le linge sale. On se met vite au boulot tandis que nous discutons un peu de tout et de rien. Ca me fait un bien fou de parler. Même avec une fille rencontrée depuis seulement une demi-heure.

      — Stallia ?

     — Mmm ?

     — J'ai senti quelque chose entre toi et Imperium ou alors, c'est moi qui m'imagine des histoires.

     — Que veux-tu dire par là ?

     Elle frotte très fort le tissu gris entre ses mains. J'essaie de comprendre sa réaction.

     — Je... enfaite... il me plaît bien...

    Oh, je comprends mieux. Elle a peur. Peur de moi, ce serait quand même invraisemblable.

    — Tu n'as rien à craindre, Dimantia. Je vais de toute façon partir, très vite. 

   — Ça me rassure. Non pas que je n'ai pas envie que tu partes . C'est juste que... j'ai vu comme vous vous regardiez...

    — Il m'a juste protégé, un jour, quand nous nous sommes rencontrés dans les bois...

    Elle me sourit, soulagée. C'est ironique quand même. Elle doute de sa beauté frappante et de sa personnalité sympathique avec une fille toujours défaitiste et au charme peu désirable. Comment dire que je n'ai pas une confiance en ma personne ?

Mon cœur s'arrête en entendant mon prénom.

Sang de chasseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant