43 • La mort est partout

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Mon souffle est saccadé alors que mon cœur bat à un rythme puissant. Je sens que mes jambes ne vont plus tenir pourtant une force en moi alimente mon énergie. Les cris se sont déchaînés pareil à une symphonie de musique barbare. Cependant, j'entends comme un sourd tant les bombardements surgissent de partout. Tout est lent mais à la fois rapide. J'ai perdu mes parents dans ce torrent de bataille. Introuvable. Mon seul but : avancer. De ma vie entière, je n'aurai jamais cru me battre dans une guerre sans merci. Des enfants se débattent ainsi que leurs mères qui tuent sans hésiter des ennemis avec leurs grandes fourches. Sans pouvoir m'arrêter, mes larmes coulent. Je ne suis pas triste. Je ne suis pas non plus en colère. Je pleurs parce que ce que je vis n'aurait pas dû se passer ainsi. Une fille de mon âge n'aurait pas dû connaître les champs de bataille telle que celui que je vis. Comment le simple fait de rencontrer quelqu'un peut en arriver à là ? Je cours encore plus vite. Le vent sèche mes larmes.

Mais soudainement, le monde se remet à vivre. Tout a recommencé à bouger plus vite. Je suis tombée. J'ai mal. De vives brûlures se ressentent sur ma peau déchirée par le sol. Même la terre fait la guerre. Elle proteste, refuse, hurle d'arrêter de verser du sang surelle. Quelqu'un m'a accroché. Un garde. Il essaye de ramper vers moi avec son fusil. Je balance son arme à feu d'un coup de pied. Malgré tout, il essaie d'attraper ma jambe. Dans un élan de désespoir, j'utilise la dague et lui coupe un doigt. Il hurle de douleur. Son cri perce mes tympans. Pourrai-je oublier cela ? Pourrai-je effacer ce moment de ma vie lorsque j'ai blessé une personne ? Néanmoins, c'est un instant de plus pour avancer. Je me remets à courir même si mon genou est douloureux. Je saigne. Dans tout ce massacre, je vois des petits enfants pleurant la mort de leurs parents. Ma gorge se noue tellement qu'un sanglot s'échappe de ma bouche. Comment je peux être aussi faible à cet instant ? Comment j'ai pu laisser cela arriver ? Ils sont orphelins et tout cela par ma faute...

Je m'arrête à bout de souffle, mes pleurs m'empêchant de respirer normalement. D'une main, j'enlève les perles d'eau de mon visage. Cachée entre deux murs, je reprends force. Qu'est-ce que j'ai fait ? Tant de personnes ont souffert à cause de moi. Je ne sais même plus où sont mes parents. Et Solem ! Ma sœur, ma confidente, mon amie de toujours... Où est-elle ? Je veux ma vie d'avant.

- Je veux retourner dans le passé, je murmure malgré ma voix cassante.

Un homme s'arrête dans l'entrée de la ruelle. Il me jauge et lorsqu'il se rend compte de ma dague ensanglantée, il se rue sur moi. Cette guerre l'a changé. Il ne voit plus une jeune fille détruite. Non, il ne veut que tuer ceux qui sont dans son chemin, même si c'est un enfant qui se trouve face à lui. La guerre rend monstre le plus noble des Hommes. Je me plaque contre le mur au dernier moment et le fait tomber par terre. Sans me tourner, je fui. Je ne suis pas sûr d'avoir la force de tuer une personne. Même avec tout le courage du monde. Même si cet homme n'avait que rage dans les yeux...

Mes pieds tapent tellement forts contre le sol que j'en ai mal. Les portes du château sont grandes ouvertes. Des cadavres jonchent par terre. Je les esquive avec précaution et tressaille face au château. Mon cauchemar. J'avance doucement et vois sur les remparts des soldats combattant les miens. Pourtant, ils ne m'aperçoivent pas. J'ai l'impression d'être un fantôme traversant un champ de bataille. Peut-être que ce soldat m'a tué. Peut-être qu'un des miens m'a trouvé morte, ma dague plantée en moi. Je pleurs. Pourquoi je sanglote ainsi ? De stupides larmes qui coulent et pourtant chaque perle d'eau brûle ma chair à leur contact. Des soldats accourent vers moi alertés par mes pleurnichements. Ils m'attrapent par les bras. Je ne suis plus invisible. Je suis trop faible pour me débattre. Mes jambes m'ont lâché de fatigue. Ils ont pris ma dague. Ils m'amènent à l'intérieur. Sauf que deux hommes leur font barrière. Ils ordonnent de me lâcher. Les soldats refusent et menacent même de me tuer s'ils n'abandonnent pas. Malgré tout, ces deux hommes se jettent sur nous. Ils me lâchent et je tombe par terre.
Je reconnais ce couloir. Mon courage et ma force reviennent. Je me lève dans un dernier effort et cours vers la salle du trône sans réelle conviction. Pourquoi je fais ça ? La garde royale est morte devant la porte. J'entre dans la grande salle vide et silencieuse. Seul un être infâme est là, assis sur son trône un fusil à la main. Il a dû tuer ces hommes à terre. L'homme présent m'examine de la tête au pied.

- Fille de chasseur.

- Roi.

Un sourire se dessine sur ses lèvres accentuant les rides sur le coin de ses yeux. Il se lève et avance entre les cadavres tout en me fixant droit dans les pupilles.

- Tu as détruit mes sujets.

- C'est votre faute.

- Ma faute ? Je suis le roi ! J'ai la grâce de Dieu !

- Mais vous régnez en tant que tirant.

Il lève le menton me défiant de prononcer encore un seul mot. Sauf que nous sommes interrompus par la grande porte qui vient de se heurter contre les murs. Père vient de faire son apparition avec une horde d'hommes à ses côtés. Il est recouvert de sang et de sueur que ça en fait peur. Il s'approche de nous et m'attrape très vite pour faire barrière entre moi et le roi.

- Rendez-vous. C'est fini. Vous avez perdu.

- Vous croyez ? ricane le roi.

En un claquement de doigt, on se retrouve encerclé par des centaines de soldats royaux. Non, ça ne peut pas se terminer ainsi. Tout ce chemin pour perdre. Je refuse. Le roi a l'air d'être ravi. Mais mon père a toujours un autre plan. Il hoche la tête à un homme et ils laissent passer Imperium avec Nathanael attaché et bâillonné. Un couteau sur la gorge menace sa vie. Mes lèvres tremblent d'effroi. Je ne peux pas sortir un mot tant ma voix est bloquée.

- Vous n'avez aucun droit à toucher à mon fils ! hurle le roi.

- Oh que si. Et si vous osez tuer un seul de mes hommes, il sera mort dans la seconde.

Le roi semble contrarié. Le silence est lourd et j'espère de tout cœur qu'il fera le bon choix. D'un geste de la main, il fait baisser les armes pointées sur nous. Les soldats ont l'air confus mais n'atteste rien contre leur roi.

- Que voulez-vous ?

- Un royaume. Un royaume qui regroupe le peuple des Këkens et des Ingaws.

- Quoi ? Non ! C'est mon royaume. Je ne vais pas le partager avec des sauvages !

Et soudain, le sang jaillit m'éclaboussant au passage. Un tir s'est échappé. Mes oreilles sont bouchées avec la puissance du coup. Le roi a les yeux livides. Il touche son ventre où une tache rougeâtre progresse, grandit. Le cri d'un être déchiré résonne dans la salle. Le cri de Nathanael. Je me tourne vers lui qui est tombé à genoux. Il me regarde les larmes aux yeux. Ma vue se brouille. Mon cœur se détruit. Une larme vient de tomber sur ma poitrine. J'ai dû mal à avaler ma salive. Qu'est-ce que j'ai fait ? Je ferme les yeux et pour finir, je pleurs devant mon peuple, devant tous ses soldats, devant Nathanael détruit par ma faute. Le roi avait raison : tout est de ma faute

Sang de chasseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant