44 • Justice

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Le vent souffle sur les feuillages comme une caresse. Le soleil me couvre de tendresse chaleureuse. C'est calme. Même les oiseaux ne font aucun bruit. Ils font le deuil de cette bataille ensanglantée. Je savoure ce moment agréable. Ici, j'ai rencontré le prince. Je me souviens de son regard gris rieur. Au fond de moi, j'aimais l'importance que cet inconnu me donnait.
Il y a une semaine, le roi est mort. Nathanael a été couronné trois jours après. J'ai assisté en secret à son couronnement. Il était froid, meurtri. Je voyais son regard vide et lugubre. J'ai pleuré en le voyant. J'entends toujours son cri de douleur comme si ma conscience voulait me faire culpabiliser la mort de son père. Nathanael a regardé ses sujets et je sais qu'il m'a vue. Ses yeux avaient eu une étincelle durant quelques secondes à peine. Je me suis enfuie comme une lâche. Aucune personne au monde ne peut supporter un tel regard lorsque nous avons vu la souffrance se peindre sur le visage d'un être déchiré.
     Son premier décret a été de rendre les territoires respectifs à mon peuple et des Ingaws. Mon père a renommé notre nouveau royaume, Gorakaz. Tandis que les Ingaws se prénomment désormais les Monahcase. Nous partageons les mêmes cultures et la même langue malgré les accents. Nous sommes des frères de sang et nous nous battrons jusqu'à la fin pour préserver nos peuples. J'ai proposé que notre symbole de la libération et de notre force soit le loup du Caulus. Les Ingaws, quant à eux, ont pris l'aigle pour montrer qu'ils ont renversé la royauté même si elle existe toujours.

Dryadalis est partie pour un long voyage avec Pythonissam. Il m'a dit au revoir lorsque nous étions seuls. Je me souviens toujours de ses paroles. Où que je sois, je serais toujours là dans ton cœur, Stallia. Ne l'oublie pas. Tu as été courageuse. Pour une fois de ma vie, j'ai eu une petite sœur sur qui veiller. Il m'a donné ma dague qu'il avait trouvée au château puis il est parti sans se retourner. Il a disparu de ma vie comme il est entré.
Hier, Imperium est venu voir mon père pour demander ma main. Il a accepté. J'ai pleuré pour Dimantia. Elle l'aimait mais il m'a choisie. Je ne pouvais refuser après ce que j'ai fait subir à ma famille. Aujourd'hui, c'est mon dernier jour avec mes parents. Après, je partirai vivre avec Imperium. Il a bâti une demeure entre le village des Ingaws et des Këkens en même pas deux jours. Odile est venue me présenter mes félicitations et le cadeau de mariage. Elle ne pourra pas venir. Elle part vivre chez une tante pour apprendre à confectionner des robes dignes des reines. Elle me manquera énormément comme la marquise de Granada. Je n'ai pas eu de ses nouvelles et j'espère de tout cœur qu'elle est en vie et saine et sauve.
Lors de la bataille, j'ai appris que Solem délivrait les petites filles prisonnières du roi. Ce matin, elle m'a passé les lettres cachées en dessous du lit de maman. Elle pensait que je devais les lire. Je suis posée au pied de mon arbre. Mon arbre et celui de ma sœur. Les lettres inscrites sur le papier sont tellement bien écrites. Ici, on apprend à écrire grâce à Pythonissam et à lire, bien sûr. Mais on ne nous montre pas comment bien écrire avec de belles lettres rondes et fluides comme sur ce papier.

« Chère fille de chasseur, Chère Stallia,
Quel joli prénom pour une étoile telle que tu es. J'ai réfléchi longuement. J'ai passé des heures dans les jardins du palais à confectionner une lettre parfaite pour toi. Je voulais qu'elle soit à la hauteur de ton estime. Néanmoins, c'est difficile de la confectionner pour une femme telle que toi. Insatisfaite. Tu peux lire les autres si tu le veux. Des brouillons raturés, ratés. Je voulais tellement te montrer ce que je suis que peu m'importe mes erreurs, je veux que tu les saches. Je voulais te laisser entrer dans mes pensées, dans ma tête et tu pourrais voir le désarroi que tu y as laissé.
La première fois que je t'ai vue, tu m'as paru comme une fleur du matin. Tes beaux cheveux noir de jais voletés par le vent, ton regard chaud et vivant frissonné de colère. Tu m'as fait rire que j'en ai eu mal au ventre. Lancer un poing contre cet arbre, que c'était drôle. Ensuite, au fil des jours, j'ai compris que je ne pouvais vivre sans toi. Quand je t'ai vue dans ma chambre, ma surprise était aussi grande que je croyais rêver. Je suis tellement navré de tout ce dont tu as subi. Si seulement, je l'avais su.
Lorsque je t'ai offert Soleil, j'ai voulu venir moi-même. Mais je n'avais pas le courage d'un loup. Tu es tellement imprévisible. Et pourtant, je sais lire dans tes yeux. Sauf, tes sentiments qui me sont flous tel le fond d'un lac au crépuscule. Pardonne-moi, Étoile.
Je voulais venir en personne pour une seule raison. Je veux que tu saches que j'aurais voulu t'épouser. Je voulais venir demander ta main à ton père comme dans les codes. Tu es ma muse et personne n'y changera. Sache que je t'aimerai toujours même si le mal nous sépare. Le seul regret que j'ai, c'est d'être né prince. C'est le seul rempart pour accomplir l'amour dont je veux te faire part.
Je t'aime.
Ton cher prince, Nathanael. »

Sans m'en rendre compte, j'ai pleuré sur la lettre. L'enveloppe laisse tomber quelque chose. Un objet qui me fait éclater de sanglot. Une belle bague en or où un petit cristal y est incrusté. Je la porte à mes yeux et remarque deux lettres entrelacées telles deux amoureux. NS.
Je me suis éprise de Nathanael... J'ai tellement du mal à respirer que je ferme mes yeux. Étrangement, je sens un poids sur ma poitrine. Lorsque j'ouvre mes paupières humides, je retrouve le loup face à moi. Il me fixe. Mais je n'ai pas peur. Je sais ce que je dois faire. J'enlève mon collier où le pendentif de loup pend lestement. Avec délicatesse, je le passe autour du cou de l'animal face à moi. Il relève sa tête et m'observe longuement. Puis, un aigle traverse le ciel et pousse un cri comme s'il alertait le loup. Cela me rappelle une circonstance. Il tourne son museau vers les nuages puis s'en va et s'engouffre dans la forêt sans jamais se retourner. Dès l'instant où il est parti, j'ai su qu'il ne reviendra plus de toute mon existence. Il a terminé son chemin comme j'ai abouti le mien. Maintenant, il va pouvoir guider quelqu'un d'autre et moi, je vais pouvoir me reposer et retourner dans ma vie d'avant.
     Pour ma première fois depuis longtemps, je souris avec quiétude. Un poids s'est levé de mes épaules.

     Quelqu'un m'interpelle. Je me retourne vers une Solem joyeuse. Étrange, je ne suis pas surprise. Elle vient à moi et m'observe de la tête au pied.

     — Est-ce que ça va, Stallia ?

     — Je pense que oui...

     — Viens. Maman doit se demander où tu es encore partie.

     La bouche entrouverte, je plisse les yeux en fixant un point dans la nature. J'ai déjà passé ce moment. Comme la fois où tout a commencé. Lorsque j'admirai les étoiles, où j'ai rencontré ce loup. Dans cette clairière, mon enfance a grandi. J'ai perdu un ami cher, Leo. J'ai trouvé un cheval qui appartenait à un prince. J'ai partagé des moments avec ma sœur. Un amour impossible est né ici et s'achève ici. Au fond de moi, je viens de comprendre une chose. Je ne reverrai plus cette clairière comme ce loup. Mon histoire s'arrête dans ce lieu, dans cette forêt Sombre. Et pourtant, en ce jour, le soleil illumine cet endroit tellement que c'en est magique. La forêt n'est plus aussi obscure qu'elle paraît. Elle est devenue lumineuse. J'étais perdue et maintenant, j'ai repris ma vie. Un rire s'échappe de mes lèvres. Quelle ironie du sort ! S'égarer pour se retrouver.

     — Qu'est-ce qu'il y a ? demande Solem.

     — Rien, je réponds tout simplement parce qu'il n'y a rien.

     Je regarde une dernière fois cette clairière nourrit de mes histoires. Ensuite, je secoue de la tête comme pour oublier et je passe un bras au-dessus des épaules de Solem.

     — Partons. Il faut bien qu'on profite de cette journée ensemble. Le monde nous attend.

Sang de chasseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant