Sang de chasseur

35 • Le vrai du faux

Après m'être excusée d'être dehors à une heure pareille, je suis retournée à la tente où ma mère et Solem dormaient toujours aussi paisiblement. Ce loup est vraiment étrange. Il surgit toujours quand... quand quelque chose m'arrive. Peut-être que Pythonissam avait raison. Il serait mon protecteur. Mais pourquoi m'arrive-t-il que des malheurs en sa présence ? C'est lui qui m'a guidée vers les chasseurs. C'est lui qui nous a fait changer de direction pour arriver à cette taverne. C'est lui, la cause de mes malheurs. Ou peut-être... je me trompe.

     — Stallia ? fait une voix en dehors de la tente.

     Alors que je m'étais bien allongée, je me relève sur les coudes. Qui peut bien m'appeler à une heure pareille ? En passant la tête dans l'ouverture de la tente, je m'aperçois que c'est Dryadalis. Vraiment pas d'humeur et vexée par son manque de défense à mon égard, je me réfugie à l'intérieur. Il interpelle plusieurs fois mon prénom sans que je ne réagisse. Il pense que je vais lui pardonner de m'avoir laissé tomber. C'est puéril. Mais je ne peux pas m'en empêcher d'être ainsi. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais devenir une autre personne.

     — Il faut que nous parlions, Stallia.

     Et si je te disais de te jeter dans la bouche du loup, tu le ferais pour mon plaisir ? À une autre époque, Stallia était une douce fleur. Étrange, non ? De parler de soi-même ainsi. Je ne me reconnais juste plus. Cette fille est une étrangère désormais. Et la Stallia de maintenant est moi. Mes yeux se ferment pour passer une bonne nuit de sommeil et oublier ces quelques souvenirs trop féeriques pour qu'ils existent. Sauf que quelque chose attise ma curiosité, quand il prononce ces quelques mots :
     — C'est à propos de Nathanael... souffle-t-il comme si ce n'était plus que le dernier de ces arguments.

Je capitule juste pour cette fois, juste parce que... juste pour... non. Juste pour ma curiosité. Quand il me voit, son corps se redresse d'un coup et ses yeux s'illuminent étrangement. Est-ce qu'il va bien ?

— Qu'est-ce que tu veux ? je lui demande.

     Il jette quelques coups d'œil autour. Personne n'est dans les alentours. Il me fait signe de la tête de nous éloigner un peu des tentes, sûrement pour les oreilles trop indiscrètes. On prend place sur un petit tronc d'arbre à quelques mètres du camp. Je ne me sens pas trop en sécurité dans cette noirceur lugubre sans aucun homme en garde nocturne. Où sont-ils ?

     — Si tu veux savoir pourquoi personne ne veille sur le camp, c'est parce qu'ils sont en train de manger près d'un feu.

     Quelques fois, je me demande si Dryadalis est vraiment ce qu'il dit. J'ai l'impression parfois qu'il lit dans mes pensées. Il y a longtemps, Pythonissam nous contait quelques légendes sur des prétendus magiciens de l'ombre. Nous ne devions pas nous en approcher à moins de déclencher la colère de Dieu. Ils ont une force hypnotisant pour tuer leurs ennemis. C'est bien pour ça que leur pouvoir vient du diable. Ils sont des personnes maudits. Qu'est-ce que je raconte parfois ? Dryadalis, un magicien de l'ombre ? Sottise.

     — Bon, que veux-tu ?

     — Je sais que ton dénommé Donium est le prince Nathanael, fils du roi de Rollalya.

Il faut dire qu'à ce moment-là, je ne sais que dire. Et qu'il ne me laisse pas répondre.

— Stallia, je sais que c'est dur à accepter. Mais le prince t'a bernée. Depuis le début de votre rencontre. C'est lui qui a demandé aux chasseurs de t'enlever. Il a aussi contacté le duc de Gormas pour envahir ton village. Il n'est pas de notre côté.

Pense-t-il vraiment que je vais le croire ? Est-il à ce point idiot pour me laisser berner par lui ? Assez de ces bêtises, je préfère rentrer dormir. Mais il n'en a pas terminé. Alors que je retourne vers le campement, il me demande de m'arrêter quelques secondes. Je souffle d'agacement et le regarde droit dans les yeux. Ça fait longtemps que je ne me suis plus plongée dans cette mer sombre de ses pupilles.

     — Tu dois me croire.

     — Que peux-tu savoir sur lui ? Tu es collé aux fesses de notre peuple, je crache tel le venin d'un serpent.

     La colère anime ses yeux, et pourtant, le calme règne. Son corps montre sa fureur, mais il ne réagit pas à mon insulte. Comment fait-il pour être si sage qu'un vieil homme ? Il ressemble presque à... Pythonissam. Est-ce pour cela qu'il l'a choisi ? Parce qu'il sait maîtriser sa colère ?

     — Tu l'aimes, me répond-il.

     Il est tombé sur la tête. Je ne peux pas avoir une quelconque affection pour une personne de son rang. Il est prince et je suis fille de chasseur. Il n'y a pas d'avenir possible entre nous. À moins qu'il soit né d'une famille de chasseur, mais c'est chose impossible.

     — Non. Crois-tu que je suis si folle ?

     — L'amour n'écoute pas la raison. Il peut être criminel ou prince, ça ne changera pas le dicton du cœur. C'est pour cela que tu ne me crois pas, car c'est ton amour qui te guide et non, ta tête.

     Je me sens déboussolée par ces mots. Que sait-il de l'amour ? Il n'a point de fiancée. À part m'ennuyer, il ne sait pas faire grand chose. Mais j'avoue que ces paroles m'ont touchée. Sans dire un mot, je repars me coucher auprès de ma mère et ma sœur.
     Mon cœur me guide et non, ma tête. C'est que sottise. Pourtant, j'ai l'impression qu'il a raison. Quel que soit le chemin que j'ai suivi, c'est mon instinct qui m'a guidée. Est-ce vraiment cela ? Ou... Il faut vraiment que je dorme.

     — Stallia ?

     Bon Dieu, éloignez-moi cet être insistant qui me pourrit la nuit ! Je me relève et sors ma tête de la tente. Toutefois, on tire mon bras hors de ma maisonnette faillant me faire tomber à terre.

     — Mais ça ne va pas..., je hurle avant qu'une main se plaque sur ma bouche.

     Mes yeux s'ouvrent en grand de terreur. Cependant, je n'avais pas remarqué le bout de tissu qui recouvre mon nez et ma bouche. Une forte odeur s'en dégage qui me fait tourner la tête. Isaiah ? Mais que fait-il ic... Mes paupières se referment trop vite, me plongeant dans un noir intense.