1 • Douce nuit

428 23 19
                                    

     Alors que la nuit est tombée, je marche le long de la lisière de la forêt Sombre. Je peux percevoir chaque bruit qu'émet cette douce noirceur : quelques bruits par-ci par-là. Mais je n'ai pas peur de l'obscurité. Les étoiles veillent sur moi comme ma mère me le répète toujours. La nuit n'est pas si noir quand ton cœur est pur et que les étoiles t'ouvrent les yeux : voilà ce qui me poussait toujours à faire le bien autour de moi et d'avoir le courage de parcourir ce monde sinistre. Il y aura toujours une étoile qui sera avec moi. Une rivière s'écoule pas loin telle des milliers de pierres qui s'entrechoquent dans une douce mélodie harmonieuse. Le bruissement des feuillages évoqué par le vent du Nord m'apaise.

     J'entends quelqu'un m'interpeller. Je me retourne de vive allure. Si mon père sait que j'ai filé en douce du village, il va me priver de sortie pendant tout un mois. Et pour moi, c'est vitale que je sorte. Mais alors que je cours pour rentrer chez moi, je m'arrête brusquement. Un loup au pelage gris parsemé de taches blanches me barre la route. Il montre ses dents aiguisées pour montrer sa puissance. Mon souffle est coupé. Et mes pulsations se font plus vite. Ses prunelles bleues allant d'un blanc lunaire transpercent mon être. Son aura dégage quelque chose de puissant et en même temps de pur. Je ne sais pas quoi faire devant un loup. On ne m'a jamais rien conseillé. Sa posture m'indique qu'il est en position d'attaque. On m'avait toujours dit que les loups ne se montraient que très rarement quand des humains sont dans les parages.

     J'entends qu'on m'interpelle encore. Qui ? Je ne sais pas. Cette voix est enfuie dans les ténèbres de la forêt. Peu importe si quelqu'un arrive, ce loup n'est pas décidé à partir sans faire quelque chose dont je n'ai pas envie de savoir. Lentement pareil à un prédateur, il s'approche de moi alors que je suis pétrifiée sur place. Quand il arrive à ma hauteur, je ne peux m'empêcher de paniquer. Que va-t-il m'arriver ? Que va-t-il faire ? En ce moment, j'aurais tellement aimé que le fils de mon voisin soit là. Cet idiot qui me suit tel un chien partout où je vais. J'étais tellement contente qu'il me fiche la paix dans la soirée, mais je ravale vite ses pensées. Maintenant, je l'attends juste ici me sauvant de ce mangeur d'hommes comme on l'appelle dans mon village. Cependant, je ne vois nul part sa tignasse blonde. Son corps musclé et imposant qui ferait fuir ce prédateur avec son regard sombre. Où est-il désormais ? Que quelqu'un me dit que je ne suis pas seule qu'il m'observe comme à son habitude. J'ai peur. Tous mes membres tremblent. Pendant de micro seconde, je lève les yeux vers les étoiles. Elles se lèvent fières et scintillantes tandis que je suis à la merci d'un loup.

     Celui-ci baisse légèrement sa tête. Je vois une sorte de chaîne autour de son cou. Je ne sais pas si c'est ce qu'il veut, mais j'ai l'intuition qu'il a envie que je le lui enlève. Peut-être que ça lui dérange. J'approche ma main frêle de son cou. Mais son grognement me fait sursauter. Je regarde ses yeux gris qui me fixent. Je tends doucement mes mains à la chaîne. J'ouvre l'attache du collier, celui-ci doit sûrement le serrer. Je le retire lentement sans le brusquer. C'est un collier avec un pendentif en loup qui doit être en argent. Les yeux de celui-ci scintillent tel un enchantement. Ils m'hypnotisent presque. Mais pas pour longtemps, car une voix proche de moi m'appelle :
     — Stallia !

     Je tourne ma tête vers la personne. C'est ma grande sœur, Solem. Je la reconnaîtrais entre mille avec sa longue chevelure brune et soyeuse.

     Je me souviens du loup et me retourne. Je remarque qu'il n'est plus là. Je soupire de soulagement. Solem s'approche de moi et dépose une main sur mon épaule.

     — Est-ce que ça va Stallia ?

     — Je pense que oui.

     — Viens. Maman doit se demander où tu es encore partie.

     Nous nous approchons du village à tel point que j'entends la musique. Après quelques marches, nous voyons au loin des crépitements de feux dansant dans la nuit de ce début d'été. Le collier pend de mes mains et glisse sans que je le veuille. Un léger bruit de chaîne se fait entendre. Je m'arrête pour le ramasser, mais avant que je ne puisse me relever je vois une silhouette dans les arbres. Je fais mine de rien et continue de marcher jusqu'au village. Peut-être Leo, qui n'est pas parvenu à moi plus tôt.

     — Qu'est-ce que c'est dans ta main ?

  Je regarde le collier. Les yeux du loup brillent sous les faisceaux grisés de la Lune.

     — Rien.

     Elle souffle, agacée. Je ne lui parle plus beaucoup depuis quelque temps, car elle s'est mariée il y a quelques semaines et ça ne m'enchante pas beaucoup. Elle n'a plus vraiment de temps pour moi. Et c'est pour ça qu'elle fait tous ses efforts pour avoir encore cette complicité entre sœurs car elle le sait. Je me suis retrouvée seule à la minute où elle est partie de la maison pour de bons. Et c'est ce que je déteste le plus. Mais j'aime me vider l'esprit. Je sais que c'est égoïste, mais c'est ma sœur. Et je ne l'aurai jamais abandonnée. La musique se fait plus forte et je peux apercevoir mon père près du feu, une bouteille de vin dans la main, éclatant de rire à gorge déployée avec notre voisin et quelques amis. Il croise mes yeux et je peux déceler de la fureur.

Sang de chasseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant