3 • Sublime surprise

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     — C'est donc ça, la phase lunaire ! Tu veux me marier à...

     Il me gifle avant même que j'ai pu terminer ma phrase. Je porte ma main à ma joue qui brûle. Je ne le reconnais plus. Je comprends qu'il en a marre que je sorte en douce dehors la nuit, mais ce n'est pas une raison pour me préparer à trouver un mari digne de notre famille. Non ! Je ne peux pas. Je me force à ne pas pleurer devant mon père et tous ceux qui nous observent. Je leur tourne le dos. Il ne changera pas d'avis. Et je commence à courir vers la forêt Sombre sous les cris de mon géniteur.

  J'arrive près de trois sapins. Notre coin, à ma sœur et moi autrefois. Nous venions ici quand notre père était furieux et nous attendions que sa colère s'apaise. Nous parlions beaucoup et les rires, on en avait eu des tonnes. Maintenant elle doit être chez elle à servir à manger à son mari et nettoyer le foyer. Beurk... Rien que m'imaginer à sa place m'écœure. Ma liberté va disparaître à la minute où mon futur époux passera la bague au doigt. Des larmes coulent et je peux enfin me libérer de ma souffrance à l'abri des regards. Je pleure toutes les larmes de mon corps. Stallia, tu es pathétique... Rebelle-toi ! Je me lève et crie un bon coup avant de lancer un poing dans le tronc du conifère. Et là, je gémis de douleur.

     — Qu'est-ce que ça fait mal !

      Un rire. Quelqu'un est dans les parages. Je sèche mes larmes du revers de la main et tourne autour de moi pour voir qui est là. Personne. Je n'ai pas pu rêver. J'ai bien entendu un rire. Je vois une silhouette dans un arbre. Serait-ce la silhouette que j'ai vu hier soir ? Une personne saute de l'arbre retombant sur ses deux pieds devant moi. Quand il relève la tête, j'aperçois une paire de yeux gris qui me reluque. Quelques mèches brunes retombent sur le front alors que le reste de ses cheveux est bien coiffé. Son corps a l'air musclé dans du roc et il est très imposant. Il me dépasse d'une tête donc je suis bien obligée de la lever pour le regarder dans les yeux. Un sourire arrogant est dessiné sur son visage.

     — Arrête de me regarder ainsi, je crache.

     — Regarder comment ? dit-il innocemment.

     — Comme si j'étais un bout de viande.

       Il rit telle une plaisanterie. Est-ce que je suis en train de rire ? Non ! Je recule. Nous sommes trop prêts l'un de l'autre à mon goût. Je me retourne pour partir. Il me suffoque. Je risquerai de faire une crise cardiaque si je reste encore à le regarder. Non pas qu'il est horriblement laid, mais les gens arrogants, pensant qu'ils sont supérieurs aux autres me dégoûtent. Il est pareil à Léo, le fils de Catus, notre voisin.

     — À une autre fois ! crie-t-il.

     — C'est ça, oui...

       Je me promène encore un peu avant de retourner dans ma chambre. Je m'assois sur mon lit et repense au loup. Le collier ! Où est-il ? Mon regard descend par terre. Il est près de la fenêtre. Comment est-il arrivé là ? Je le prends et le passe autour de mon cou. Je le regarde avec insistante comme si j'espérais qu'il se passe quelque chose, mais ma tante m'appelle. Je vais la voir dans la cuisine. Elle prépare de la pâte.

     — Stalla, va nous chercher du sel chez Libia. Nous en avons plus.

       Je prends un panier et vais chez Libia. Elle est la meilleure pâtissière du village alors si elle n'a pas de sel, le monde tourne à l'envers. Quand je rentre dans sa maison, une odeur de gâteau et de sucre y règne. Ça me donne une envie de manger à chaque fois que je viens ici. Libia arrive vers moi le sourire aux lèvres. C'est une femme rondelette avec une chevelure rousse impressionnante. Ce n'est pas très courante cette couleur dans le village.

     — Mais que tu es belle, Stallia !

     — Merci...

       On peut voir mon enthousiasme. Libia m'offre un sourire amusé. Elle doit comprendre ce qui se passe. En même temps, je ne peux pas lui en vouloir. J'ai fait une scène avec mon père devant tout le monde. Et notre village est tellement petit que les histoires passent très vite d'une maison à l'autre. Au moins, demain j'aurai le moral. Pythonissam rentre de son long voyage pour nous enseigner comme chaque année les savoirs du monde qui nous entoure. Et ça me fait sourire car je l'ai toujours considéré comme mon grand-père.

     — Tu as hâte pour demain ? me demande-t-elle tout en posant un sac de sel dans le panier et le recouvre d'une petite nappe.

     Elle me comprendra toujours. Elle veut savoir si je me réjouis de revoir Pythonissam. Bien sûr que oui.

     — Il paraît qu'il a un apprenti.

     Mon sourire s'efface peu à peu de mon visage. Libia me sourit pour me soutenir. Elle sait bien que je veux être l'apprentie de Pythonissam. Voyager, c'est mon rêve. J'en ai déjà marre de rester dans ce village. Non pas que c'est ennuyeux, mais voir ce que nul autre pourra et raconter ces merveilles seraient extraordinaire. Voilà mon rêve : découvrir le monde. Je le ferai à cœur joie, mais maintenant ma chance est perdue.

        Je prends le panier et offre un dernier sourire presque illisible à Libia puis je m'en vais. Arrivée à la maison, je pose le sel dans le placard mais vois qu'il y a déjà un sac de sel juste à côté. Je viens de comprendre maintenant. Au chemin du retour, j'ai remarqué que les garçons du village me jetaient des coups d'œil. Voilà pourquoi tante Nova n'est pas allée chercher elle-même son sel. Elle me paiera un jour. En parlant d'elle, j'entends sa voix aiguë m'interpeller.

     — Oh, j'avais oublié Stalla. Quand tu es partie, j'ai trouvé le sel.

     C'est ça, oui. Comme si je n'avais pas vu son manège. Après quelques heures à balayer la terrasse, les pièces, laver le linge, faire les lits, ranger les chambres, et ça ce n'est que le début, je peux enfin me coucher dans mon lit. Un mot qui me définit psychologiquement, mentalement et physiquement : épuisée. Ma tante et ma mère ne m'ont pas laissé m'asseoir une seule seconde. La devise de tante Nova : " Une femme assise est une bonne à rien et une femme debout a un mari comblé." Super la mentalité...

Sang de chasseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant