Chapitre 8 : Contemplations nocturnes

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Livaï reste bouche bée.

- C'est toi l'inconnu de la bouteille ?? Dit-il les yeux gros comme des soucoupes.

Le psychiatre hoche timidement la tête, tout en gardant son sourire légèrement dissimulé. Livaï se lève brusquement.

- Mais en fait tu me prends pour un con depuis qu'on s'est rencontré ?! Tu avais compris dès le début, mais tu n'as rien dit ? Alors, si je n'avais rien remarqué aujourd'hui tu aurais continué ton manège encore longtemps ?! Tu me mens... dois je comprendre que tu me mentes également sur le fait que tu veuilles m'aider à guérir ?

Le médecin se lève à son tour, peinant à placer quelques mots entre ceux de Livaï.

- Je peux tout t'expliquer...
- M'expliquer quoi ?! Dans une periode où je me sens au plus bas, je trouve une personne en qui je voue toute ma confiance. Et toi tu me la fais à l'envers ! Comment veux-tu que je te fasse confiance après ton entourloupe hein ?
- Viens, on va discuter...
- Mon cul ! J'me casse !

Livaï presse le pas pour regagner l'ascenseur. Le docteur tente d'y entrer, mais il se fait violement repousser par l'ex-caporal.

Les heures passent durant lesquelles le psychiatre part à la recherche de son patient. Il n'est ni dans sa chambre, ni dans celle d'un autre patient, ni même dans un autre service. Son front se perle de sueur au fur et à mesure de ses recherches, il reste introuvable.

Une vielle porte en métal s'ouvre, faisant grincer les gonds qui ont rouillé à cause des intempéries. Livaï est allongé sur le toit de l'hôpital, les yeux plongés dans le ciel de la nuit. Le jeune medecin s'approche doucement de lui à pas feutrés, puis s'allonge à ses côtés. Les minutes passent sans qu'un mot ne brise le silence qui en devient pesant.

- Je t'ai retrouvé grâce à la géolocalisation de ton portable... Tu sais que c'est interdit d'être ici ?

Livaï soupire et hausse les épaules, tout un lâchant un "tch!" qui lui ait propre.

- Il a plu toute la journée. Le sol est mouillé et crade. Tu vas salir ta blouse en plus, dit-il en le sermonnant comme un enfant.
- Je m'en fiche. Je t'ai retrouvé, c'est tout ce qui compte. Et toi aussi tu vas être sale.

Une étoile filante fend le ciel à vive allure, faisant sourire l'ex-soldat.

- Le seul truc qui me manque dans mes souvenirs de l'armée, c'est le ciel rempli d'étoiles que pouvait offrir le désert, dit-il doucement.

Le jeune châtain contemple à son tour le ciel parsemé de millions de petits points scintillants.

- Il est comme celui-ci le ciel du désert?
- Non... là-bas, le ciel ne connaît pas la pollution, ni les lumières nuisibles des lampadaires, des maisons ou des voitures. Ce que j'ai vu durant mes années d'armée était inouï. Là-bas, le ciel est d'un noir profond, et les étoiles sont les plus brillantes que j'ai jamais vues. Je m'amusais à chercher des constellations qui sont visibles uniquement dans l'hémisphère sud. Parfois, lorsque les conditions climatiques le permettaient, je pouvais contempler la voie lactée. Le silence de la nuit était délicieux, mais il était parfois brisé par la détonation de quelques coups de feu à l'horizon. Je m'installais non loin du campement au sommet d'une grande butée de sable. Presque chaque soir, je m'allongais pour regarder le ciel, la main toujours posée sur mon AK47, au cas où un rebel ferai irruption. Mon poignard était toujours dans ma poche, j'ai déjà eu la mauvaise surprise de rencontrer un scorpion.  M'isoler, c'était ma manière de décompresser de ma dure journée, pour oublier un temps les morts que j'ai causées et les horreurs que j'ai pu voir. Lorsque le vent froid commençait à souffler, les grains de sable volatiles venaient se loger dans les plis de mon uniforme. D'ailleurs, j'en avais toujours dans mon calbute, c'était insupportable. L'odeur du désert est particulière. La nuit, l'air pur et mêlé à une odeur de sable chaud. Dans ces moments de communion avec la nature, je pensais à mon retour en France. Je faisais des projets dans ma tête et je m'imaginais en train de les réaliser lorsque je rentrerai au pays. Malheureusement, j'ai pris tout ces douloureux souvenirs de guerre avec moi dans mes bagages. Enfin... ce sont plutôt eux qui se sont imposés dans ma vie. Lorsque je commençais à greloter, je rentrais au camps pour aller dormir. Malgré les apparences, il fait un froid polaire la nuit dans le désert. Sans abri, on peut même en mourir.
Cela faisait plus de deux ans que je ne m'étais pas posé de cette manière pour regarder le ciel. Cela me rend triste, car tous les projets que je m'étais promis de faire en rentrant chez moi, je n'ai jamais pu les réaliser. Mon moral était tellement au plus bas...
J'ai suivi ton conseil, et j'en ai écrit quelque uns sur une feuille. Tiens, lis la liste si ça te chante.

Une Bouteille À La Mer /Riren/ *terminée*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant