Chapitre 2 - L'anglais maladroit

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Depuis le petit établissement dans lequel je déguste un excellent café, j'admire la beauté du navire qui sera ma maison pour les quelques jours à venir. Il est aussi beau que la première et unique fois où je l'ai vu. Il trône là, fièrement dans le port, comme une star posant pour des photographes. Je l'ai d'ailleurs moi-même immortalisé, j'ai plus de soixante photos dans mon téléphone en l'espace d'une heure à peine. Je n'y peux rien, c'est addictif. Quand on est passionné on ne compte pas, n'est-ce pas ?

Lorsque mes iris bleus ont rencontré sa coque noire ce fameux jour, j'ai pensé voir un immeuble comme il y en a tant dans la ville. Je me suis vite rendu compte que ce soi-disant building était en fait posé sur l'eau. C'est là que j'ai compris qu'il s'agissait d'un bateau. A cet instant précis mon cœur se mis à palpiter. Je n'avais jamais vu un paquebot d'une taille pareille. Il est l'incarnation parfaite de mon rêve. J'en ai fait une sorte d'allégorie de ce qu'est mon but dans la vie : devenir ingénieure en construction navale.

Les petites filles « normales », comme dirait ma mère, aspirent à devenir médecin, vétérinaire ou parfois auteure voire même chanteuse. Pas moi. Concevoir un géant des mers qui ne polluerait pas les océans, voilà ce qui me fait vibrer. J'ai déjà passé mes deux années de prépa scientifique, ainsi que mes deux premières années de licence. Il me reste donc un an, que je compte réaliser au Canada, avant d'enfin pouvoir faire ce dont j'ai toujours rêvé.

Mais un souhait à la fois. Aujourd'hui je réalise celui de monter à bord du bateau de tous mes désirs.

Etant trop tôt pour embarquer, j'ai pris mes quartiers dans un bar pub à la décoration authentique. Impossible de faire plus british. Au fond, un petit groupe de garçons assez bruyant commente un match de football passant sur l'écran accroché derrière le comptoir.

Grâce à mon père parlant le norvégien et l'anglais couramment, en plus du français, je n'ai aucun mal à m'exprimer dans la langue de Shakespeare. Je ne me gêne donc pas pour leur demander de se calmer.

- Hey vous pourriez parler moins fort ? Vous n'êtes pas seuls ici !

Aucun d'eux ne réagit à ma plus grande stupéfaction. Ils n'ont donc vraiment aucun respect ? Déterminée à leur faire entendre ma voix, je quitte ma chaise pour les rejoindre. En m'approchant d'eux je remarque qu'il s'agit de jeunes ayant quasiment mon âge. Ils ont tous un verre de bière à la main tandis que leurs yeux ne quittent à aucun moment l'écran de télévision. Encore un cliché sur les cultures d'un pays.

Voyant que par la voix je n'y arriverai pas, je tape sur l'épaule du jeune homme le plus proche de moi. Ce dernier se retourne précipitamment. Trop précipitamment. Son verre d'alcool se renverse entièrement sur mon jean jusqu'à lors parfaitement propre.

- Merde excuse-moi tu m'as fait peur.

- C'est rien, ça va sécher.

- Je suis vraiment désolé. Attends je reviens.

Quand ce brun se lève du tabouret de bar où il était assis, son visage que j'avais face à moi se retrouve à une tête et demi au-dessus. C'est un géant ! Sa musculature plutôt bien développée ne fait qu'augmenter cette sensation de gigantisme. Mon mètre soixante-dix ne rivalise pas. Je le laisse donc passer en prenant soin de ne pas le gêner sur son chemin.

Je le regarde se diriger vers le fond du bar, là où se trouvent les toilettes. Ses amis n'ont même pas remarqué son absence, ils sont toujours complètement à fond dans leur match de football.

Je me sens un peu gênée d'être seule debout avec un groupe de garçons me tournant le dos, le jean trempé et sentant la bière. Heureusement l'auteur de cet accident ressort enfin des sanitaires avec une grosse poignée de serviettes. Il me les tend gentiment l'air embarrassé.

Une traversée pour aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant