Chapitre 24 - L'île mystérieuse

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En montant à bord du Queen Mary deux, j'ignorais si j'étais sujette ou non au mal de mer. Après ces quatre jours passés sur les eaux de l'océan Atlantique, je peux affirmer ne pas en souffrir. Cependant, je n'avais pas connaissance de ma mauvaise digestion des îles flottantes. Ce petit dessert si innocent ne passe plus aussi bien qu'à mon enfance. Je sens encore les œufs montés en neige stagner dans mon estomac, surfant sur la bile s'y trouvant également.

De ma main droite, je frotte doucement mon pauvre ventre gargouillant de supplice. Je me trouve soudain à l'étroit dans ma robe noire serrant mon tour de taille. J'ai besoin de l'enlever, de respirer à nouveau, mais je ne peux pas. Pas dans ce couloir bondé de passagers. J'avance donc en titubant, me fixant pour objectif ma chambre. Se donner des buts aide apparemment à avancer alors je me focalise sur les draps bleus de mon lit, du noir de mes valises dans lesquelles est entassé le peu de bazar que j'ai emmené, du beige de la moquette confortable au touché. Je m'imagine être déjà arrivée.

- Alix ?

M'appuyant sur le mur que je longe depuis un petit moment, je me retourne vers le son de cette voix appelant mon nom. Tourner la tête est un vrai supplice, j'ai l'impression que ce n'est pas mon corps qui bouge mais plutôt la pièce. Mon cerveau est comme dans un shakeur de barman, prêt à être servi avec la petite olive dans un verre élégant et raffiné. Mais tout ce dont j'ai envie pour le moment est aux antipodes de l'élégance et du raffinement. Mes tripes me parlent, elles me hurlent de les laisser sortir.

- Qu'est-ce que tu as encore fait ?

La silhouette d'Apollon devient de plus en plus floue. Il se rapproche et pourtant je le vois moins bien que lorsqu'il était loin. Mes lunettes ne changent rien, ma vision est trouble. Les lignes droites des tableaux accrochés aux murs deviennent courbées, elles prennent la forme de vagues. Tout se distant, je n'arrive plus à faire la différence entre le châtain qui ne cesse de me parler, et la foule arpentant les couloirs.

Mon corps me dit stop. Il n'arrive plus à se concentrer sur la bonne oxygénation de mon cerveau et les muscles me permettant de ne pas m'affliger une honte monumentale. Je dois choisir entre l'un et l'autre. Il ne me faut donc pas longtemps avant de régurgiter tout mon diner sur cette si belle moquette. Je lâche complètement prise, laissant mon estomac rejeter ce qu'il ne peut tolérer davantage.

Les yeux clos, je n'ose pas les ouvrir de peur de découvrir le massacre que je viens de commettre. J'ignore si en plus du sol mes cheveux, ainsi que ma robe, ont été touchés dans la catastrophe. Ce qui est certain, c'est que je ne me suis pas loupée à l'entente des murmures parvenant jusqu'à mes tympans. Il semblerait qu'une foule de spectateurs ait été témoin de cette tragédie.

- Si tu as fini ton petit numéro, je t'invite à quitter la scène pour les loges, plaisante Apollon avec beaucoup de sarcasme.

Ces quelques mots qui me parviennent ne sont qu'un léger chuchotement aux creux de mon oreille. Je sens son souffle chaud sur ma joue et mes pommettes, légèrement rosies de honte, se transforment en rouge timide. La proximité d'Apollon me fait presque oublier l'évènement indésirable venant de se passer. Tel un barrage contenant des litres d'eau, sa présence à mes côtés m'entoure jusqu'à en devenir rassurant, réconfortant. C'est comme s'il parvenait à se dresser face aux regards éberlués des autres passagers. Seul contre des dizaines, il parvient à remporter la bataille et cela me donne envie de rouvrir les yeux. Je veux voir ce spectacle. Je veux voir ses pupilles pour y trouver de l'aide et ainsi, confirmer tous mes ressentis. J'ai besoin de croire qu'ils sont vrais.

Fébrilement, je cligne plusieurs fois des paupières avant de faire face aux dégâts que j'ai créé. Au sol, dans un mélange de différentes teintes de marron, se trouve mon repas. Au même instant où mes yeux rencontrent de ce qu'il reste de mon dîner, l'odeur nauséabonde typique d'un vomi embaume mes narines. Je comprends mieux pourquoi beaucoup on fuit, c'est répugnant. Je suis répugnante.

Une traversée pour aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant