Chapitre 14 : Mateo

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- April, je vous l'ai déjà dit maintes et maintes fois, je ne veux pas que vous écriviez durant mon cours.

A peine ai-je débuté ma phrase qu'elle s'est empressée de refermer son petit carnet avant de lever son regard innocent vers moi. J'aurai presque envie de lui passer cet écart une nouvelle fois, particulièrement dans l'état de faiblesse dans lequel elle se trouve en ce moment-même : sa peau étrangement pâle m'indique très clairement que quelque chose ne va pas tandis que ses yeux brillants viennent appuyer l'idée qu'elle est très certainement malade et surtout, ses béquilles viennent confirmer les idées de souffrance qu'elle devait éprouver au niveau de son genou. J'aimerai vraiment lui passer ce petit écart une nouvelle fois mais je ne peux plus me le permettre, autant vis-à-vis des autres que vis-à-vis de moi-même. Je sais bien que je me rapproche beaucoup trop d'elle, je m'y attache beaucoup trop, bien plus qu'autorisé, et il faut que cela cesse au plus vite, en commençant par arrêter ces traitements de faveur.
Je tends soudainement ma main vers April qui ne semble pas comprendre où je souhaite en venir.

- Ton carnet, donne-le-moi.
- Quoi ?
- Je te demande de me donner ce petit carnet dans lequel tu écris toujours durant mon cours.
- Quoi ? Mais non ! Je suis vraiment désolée monsieur mais s'il vous plait, laissez-le-moi... ! Je vous promets de ne plus le prendre durant vos cours... !
- Non, je t'ai déjà laissé bien trop de chances, maintenant, tu me le donnes.
- Non !
- April !

Toute la classe nous observe, surpris par le comportement d'April qui a toujours été d'une discrétion sans failles mais très certainement aussi par ma soudaine force face à elle.
April tente encore vainement de lutter mais je finis tout de même par lui prendre son petit carnet, à contrecœur, voyant à quel point ce geste lui fait mal. Je me dirige immédiatement vers mon bureau où je pose ce fameux petit carnet en lui disant que, si elle souhaite le récupérer, elle viendra me voir à la fin de l'heure. Elle ne prend même pas la peine de me répondre et détourne le visage. Je ne saurai dire si elle a envie de pleurer ou si elle est en train de m'insulter intérieurement mais je sais parfaitement qu'elle va très certainement me détester à partir de maintenant et, même si cela me blesse, je m'oblige à voir la réalité en face et me convainc par moi-même qu'il s'agit de la meilleure chose à faire pour moi, pour elle, pour Adam...
20 minutes plus tard, le cours touche à sa fin et tous, hormis April, quittent la salle. La bande de copines de Jordana ainsi que cette dernière elle-même partent en gloussant et en jetant des regards moqueurs à April qui ne prend même pas la peine de leur accorder une quelconque attention, cette dernière étant fixée sur son petit carnet.
Une fois tous sortis, April prend enfin la parole.

- Je peux le récupérer ?
- Non.
- Quoi ? Mais vous aviez dire que... !, commence-t-elle sans que je ne lui laisse le temps de terminer.
- Je sais ce que j'ai dit mais je n'ai jamais dit qu'il suffisait que tu me le demande.
- Alors que dois-je faire ?
- Me dire ce qui s'y trouve à l'intérieur, pourquoi tu y écris toujours... Pourquoi il est si précieux pour toi.

Elle se mord la lèvre inférieure, ne voulant visiblement pas m'en parler. Pourtant je suis obligé de poursuivre, de forcer sa réponse, la peur ridicule de ne plus avoir une telle occasion de connaître l'intérieur de ce petit carnet enfouie au plus profond de moi.

- Ce n'est rien de particulier, tente-t-elle.
- Alors pourquoi le fermer d'un coup lorsque j'arrive et que je suis susceptible de lire ce qu'il s'y trouve ?
- Oh euh... Ce n'est qu'une question d'habitude je..., bégaye-telle.
- Alors ça ne te dérange pas que je lise rapidement tout ce qu'il y a d'écris dedans ?, dis-je en commençant à ouvrir son carnet.
- NON !

Je m'arrête brusquement, surpris par son soudain cri. Elle a vainement tenté de reprendre son carnet en se penchant soudainement sur moi mais tout ce qu'elle parvient à faire, c'est me surprendre et, en quelques secondes, je me trouve à lui tenir le poignet gauche, son petit carnet tombant soudainement à terre, alors que sa main droite viens se poser sur mon torse pour lui éviter de perdre totalement l'équilibre et que ma main gauche viens la retenir en se plaquant sur sa hanche droite. Nos visages se trouvent désormais à quelques centimètres l'un de l'autre et pourtant, nous ne bougeons pas d'un poil. Cette situation n'aurais jamais dû exister, nous n'aurions jamais dû en arriver là et nous devrions encore moins rester comme ça, si proche l'un de l'autre, mais pourtant, je suis bien obligé d'admettre que je suis étrangement troublé par sa douce odeur qui se met à m'entourer.
Sans bouger, elle ouvre légèrement la bouche, comme si elle souhaitait dire quelque chose, mais la referme presque immédiatement pour plonger son regard dans le mien. Nous ne restons ainsi que quelques courts instants mais pourtant, j'ai l'impression que le temps s'est figé, nous laissant seuls au monde dans cette salle vide où seules nos faibles respirations se font entendre. Ses yeux couleur noisette me laissent entrevoir son désarroi alors qu'elle prend la parole d'une voix tremblante.

- Je... S'il... S'il vous plait... Rendez-le-moi...

La voyant m'implorer ainsi de lui rendre son carnet, je manque de peu de lui donner et pourtant, la curiosité prend tout de même le dessus et je me trouve à lui dire en face qu'il en est hors de question tant qu'elle ne m'aura pas dit ce qu'il s'y trouve. Les larmes semblent lui venir aux yeux et, soudainement, elle se décale de moi pour tenter de rapidement le récupérer mais je la retiens toujours par son poignet, l'empêchant de faire ce qu'elle voulait.

- Tu le récupèreras lorsque tu te seras décidée à me dire ce qui ne va pas et pourquoi tu écris toujours là-dedans.
- Alors vous pouvez le brûler dès maintenant.

Elle semble si sérieuse en disant ça que je reste bouche bée. Je fixe son visage à la recherche d'un je ne sais quoi qui me montrerai qu'elle ment mais je ne trouve rien, tout en elle semble plus que sérieux au sujet de brûler ce petit carnet qui semblait pourtant si important pour elle.

- April ?
- Monsieur García ?
- Es-tu sérieuse ?
- Plus que vous ne pouvez le penser.

Elle me regarde fixement sans tenter quoi que ce soit pour se défaire de ma prise sur son poignet alors que je détaille chaque trait de son visage avec une très grande attention. En y regardant de plus près, je remarque que, malgré sa détermination, elle semble fébrile, triste, presque désespérée. Mon cœur se serre face à ces émotions qu'elle tente de cacher. Une nouvelle fois, je souhaiterai lui rendre, je le ferai presque, mais je me fais violence pour résister à cette envie de lui faire plaisir.

- Donc je peux le garder et le lire, n'est-ce pas ?
- Non, brûlez-le.
- Je ne le brûlerai pas.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que tu auras beau me dire ce que tu veux, je sais que tu y tiens et je ne brûlerai pas quelque chose qui te tiens autant à cœur, plus particulièrement si je sais que tu finiras par le récupérer.
- Si vous ne me le rendez pas maintenant, alors je préfère ne jamais le récupérer, tout comme je souhaiterai ne plus vous revoir.

Surpris, je la regarde, les yeux écarquillés, la boule au ventre, les pensées embrumées. Si je garde son carnet, serai-t-elle capable de sécher tous mes cours pour ne plus me voir ? Ou pourrais-t-elle demander à changer de classe uniquement par ma faute... ? Pourrais-t-elle réellement le faire ? En voyant son regard briller, je serai prêt à parier sur n'importe quoi qu'elle ne le ferait pas et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que le futur est incontrôlable et que n'importe quoi pourrais arriver, sans même prévenir, me laissant complètement démuni face à une gamine de 17 ans qui se trouve être mon élève.
Sans être capable de me retenir pour cette fois, je me rapproche doucement d'elle et, sans qu'elle ne semble comprendre mon geste, je rapproche mes lèvres de son oreille pour lui susurrer les paroles que je n'arrive plus à retenir.

- Tu n'oserais pas les éviter, autant mes cours... Que moi.

Je la sens se crisper un peu sous mes paroles alors qu'elle ne bouge pas. Je me décale doucement d'elle pour reposer mon regard sur le sien, visiblement troublé.
Elle se décale brusquement de moi, rétablissant une distance suffisante entre nous, distance que j'aurai dû conserver dès le début. Les joues rougies, le genou plié pour ne pas que son pied touche le sol et ses mains venant récupérer ses béquilles tombées au sol après avoir remis son sac sur ses épaules, elle passe à côté de moi pour quitter la pièce cependant, une fois à la porte, elle s'arrête.

- Juste, monsieur...
- Oui ?
- Ne le lisez pas, je vous en supplie, ne le lisez pas...
- Si tel est ton souhait, alors je le respecterai, répondis-je, quelque peu désorienté.

Après une courte pause, elle finit par faiblement me remercier avant de partir sans se retourner.
Mon regard reste rivé quelques instants sur la porte où personne ne se trouve plus, sûrement dans l'espoir de la voir revenir, avant de soupirer et de poser mon regard sur son petit carnet au sol. Je le prends rapidement dans mes mains et, le regardant comme si je le voyais pour la première fois, je reste bloqué dessus, mes pensées s'agitant de plus en plus dans ma tête.

Mais qu'est-ce que ce carnet peut bien renfermer de si intime pour qu'elle le protège autant... ?

Teach Me Love...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant