Chapitre 39/ Lauren

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— Ça va aller, je te le promets. Dis-moi juste où tu es.

— Boulevard Gardens.

— Surtout ne bouges pas. J'arrive.

Le haut-parleur grésille alors qu'un court silence résonne de part et d'autre du microphone.

— Camila ?

— Oui ?

— Tu n'es pas obligée de [...]

— À tout à l'heure, Lolo.

Et elle raccroche avant que je ne puisse lui demander d'être prudente. Les routes sont atrocement sombres par ici et la dernière chose que je veux ce soir, c'est qu'elle ait un accident. Par ma faute.

1:34 je lis sur l'écran, avant de ranger mon portable dans la poche de mon pantalon.
Personne dans les rues et les lumières éteintes dans les maisons. La vie semble s'être arrêtée dans ce quartier, d'ordinaire agité par les sonnettes des vélos et les ronronnements des voitures. Les lampadaires envoient de petits faisceaux lumineux et les arbres agitent doucement leurs branches, mais rien ne suffit, malgré tout, à réveiller le quartier endormi.

Les mains dans les poches, je marche jusqu'au chêne à l'angle d'une maison mitoyenne et reviens presque instantanément à mon point de départ. Mon ombre, je le sais, me suis en sautillant, mon ombre muette et cruelle, mimant la fille que je ne suis pas et que je ne serais jamais. Cette fille idéale qu'aujourd'hui je pleure et dont demain peut-être, je rirais. Bientôt, je n'ai même plus la sensation de marcher.

Je finis par me laisser tomber sur le sol et m'assois en tailleur, sans parents et sans maison.
Mes parents ne savent même pas que j'ai fugué, que j'ai fui pour la première fois depuis dix-huit ans, l'endroit où je concentre le plus clair de mon existence. Cet endroit où la grande majorité des jeunes de mon âge, se sentent bien.
Mais ce n'est pas mon cas. Je dois faire partie des cinq ou dix pour-cent qui ne veulent pas y retourner. 

Je me dis que ça ne sert à rien de m'apitoyer sur mon sort, mais qu'est-ce je peux bien faire d'autre ? The 1975 à fond dans les oreilles, je me mets à prier pour qu'il ne pleuve pas. Si seulement, la météo était mon seul souci. Si seulement... la vie était un long fleuve tranquille comme on le lit dans les livres pour enfants. Un conte de fée : qui finit toujours bien.
Je crains qu'aucun parent ne veuille lire mon histoire au moment de coucher les enfants. Pourtant, ça leur apprendrait la vie. La vraie vie, pas un fardeau de mensonges étalé sur des pages indolores.

Je me demande si je vais passer la nuit chez Camila ce soir, ce que dirait ma mère en ne me trouvant pas lendemain matin, ce que penserait ma petite sœur. Mais je serais là, je ne fuis que quelques heures, je vais revenir Tay.

Je débranche immédiatement mes écouteurs, après avoir entendu ce qui ressemble à un crissement de pneus. Puis c'est l'écho d'une voix haletant mon prénom, que je perçois. Cette fois, j'en ai le cœur net : elle vient me secourir.

Deux phares ne tardent pas à percer l'obscurité de la route, puis une béquille de moto s'abaisse, un casque effleure le bitume et une silhouette humaine court dans ma direction.
Enfin, deux bras encerclent tendrement ma taille et une tête se pose dans le creux de mon cou.

— Est-ce que ça va ?

Sa voix douce me rassure presque tout de suite, je ne suis plus seule.

 — Maintenant, oui...

Elle se détache un peu de moi, pour me regarder dans les yeux :

— Viens, je te ramène chez toi.

— Non, je veux rester un peu avec toi, ensuite tu me ramèneras.

Nous marchons main dans la main jusqu'à sa moto. Elle me tend son casque et l'image de la veille, réalisant le même geste, me revient en mémoire.

Les routes sont humides et elle accélère dans les flaques pour projeter des éclaboussures sur nos jambes. Je prends plaisir à me pencher en avant pour être mouillée davantage. Elle rit et roule sur tous les dos-d'ânes pour me faire peur, mais la seule chose qu'elle obtient : c'est mon rire. Nous traversons en zig-zag les routes sinueuses des quartiers résidentiels en criant des injures et riant comme des gamines.

Nous sillonnons à présent le côté commerçant, où boulangeries, bureaux tabac, kiosques et boutiques défilent à toute allure. Puis nous rejoignons la plage, où les bateaux amarrés et inoccupés attendent le lever du soleil pour prendre le large.
Elle s'arrête à hauteur d'une barque et me fait signe que nous sommes arrivées. Où ? Je n'en sais rien.
Je me laisse entraîner dans la petite embarcation à la peinture rouge légèrement écaillée. À l'intérieur se trouvent des couvertures propres, deux rames, une petite boîte à outils, une lampe torche et tout un tas de CD avec un carnet à la couverture bleue.

Elle dispose une couverture sur mes genoux et défait le noeud de l'anneau à l'arrière.

— Je t'emmène dans un endroit magique. me dit-elle en se retournant pour attraper une rame.

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Si seulement, tout était aussi romantique...

𝐓𝐡𝐞 𝐤𝐞𝐲 𝐭𝐨 𝐦𝐲 𝐜𝐥𝐨𝐬𝐞𝐭 [CAMREN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant