Chapitre 17

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  Nous étions dans l'infirmerie du vaisseau, un endroit exigu et spartiate juste assez grand pour un lit et le strict minimum en matière de matériel médical. J'avais juste besoin du Lit. Allongé, j'observais le mnemocom tandis qu'Eve effectuait les paramétrages. Cyri m'observait du coin de la porte, son visage affichait une expression circonspecte.
-T'es vraiment sûr de ce que tu fais ?
-Oui... et non. Je n'ai jamais utilisé l'un de ses appareils. Je n'ai que des témoignages et jamais les mêmes.
-Et tu vas quand même te connecter à ce truc, dit-elle incrédule.
-Il n'y a pas d'autres solutions.
-Et je dois m'attendre à quoi ?
-De ce que j'en sais, j'entrerais en sommeil paradoxal. Attends-toi à des soubresauts, des phrases incohérentes et surtout beaucoup de bave.
-Super ton machin.
-Ah non. C'est juste moi qui dors comme ça.
-La grande classe.
J'ai fixé l'appareil sur ma tempe gauche alors qu'Eve affichait un compte-à-rebours.  

  Aucune douleur, juste l'étrange sentiment de sombrer. J'ouvris les yeux sur un lieu étrange. Esotérique. J'avais un corps, j'en sentais la lourdeur, celui-ci reposait sur un sol transparent parcouru de filaments lumineux semblants suivre un tracé bien spécifique à la forme d'un circuit imprimé. La seule lumière venait d'un étrange ciel crépusculaire aux épais nuages orageux.
Je me suis relevé à la recherche d'un point de repère avant d'entendre derrière moi une voix que je n'avais pas entendue depuis longtemps.
-Salut rookie, ça faisait longtemps.
Hélias Caine, comme dans mon souvenir. Grand ; athlétique, le même visage carré et glabre, la peau blanche et de légère tâche de rousseur sous ses yeux vairons et ses cheveux noir de jais. Lointains héritages latins et britanniques. Seule la tenue était anachronique, le même costume rétro que j'avais porté sur Tera.
J'ai eu un mouvement pour le rejoindre avant de me rappeler qu'il ne s'agissait que d'une représentation de mon ami. Une vague de tristesse tenta de m'envahir, j'avais oublié que les rapports sur les mnémocoms faisaient état d'effets secondaires, notamment sur les émotions, les exacerbant.
Réprimant mes émotions, j'ai enchaîné.
-En effet vieux.
-Je suppose que si tu lis ce message, c'est que...
-Tu as disparu en mission.
Il étudia cette information. Ne pas oublier qu'il n'était qu'une représentation interactive calquée sur mon ami, pourtant chacune de ses mimiques le rendait plus vivant que jamais.
-Combien de temps c'est écoulé depuis l'enregistrement de ce message ?
-Environ cinq ans.
-Aïe, j'ai dû accumuler plus d'informations depuis. Je ne sais pas si je te serais utile.
-La moindre information sur ce que tu sais pourrait m'être utile. D'ailleurs, pourquoi m'as-tu choisi pour cette mission.
-Les nouvelles réformes du Gantelet. Chaque agent doit choisir un successeur en cas d'échec.
-C'est bien joli, mais je te rappelle que j'en fait plus partie. Du moins, je le pensais.
Ma remarque le fit sourire.
-Techniquement on ne quitte jamais le Gantelet. Tu étais au placard jusqu'à nouvel ordre. Les petites clauses du contrat que personne ne pense regarder avant de signer
-Ouais, dis-je sarcastique. Et tu ne pouvais pas choisir quelqu'un qui a de l'expérience merde ?
-J'ai vu ce que la corruption du Gantelet a donnée. Au contraire, ta haine des intrigues faisait de toi un successeur idéal. Je n'ai d'ailleurs jamais compris ton intégration au Gantelet.  

  -Je n'avais plus de titres. J'étais sûr d'être au même niveau que les autres.
-Alors laisse-moi te dire que ce n'est pas le cas, tu avais bien plus de privilèges que tu ne le penses. Ordre de l'administration qui la tenait elle-même de l'Impératrice.
Voilà le genre d'élément que l'on ne veut pas connaître. Bordel, même là ma vie était contrôlée. Ai-je jamais était libre de mes choix ? si je n'avais pas gardé le contrôle, j'aurais coupé toute connexion, serais retourné sur Lyonesse et grimpé dans la première navette a destination de n'importe où. Mais j'ai su me contenir.
-Qu'as-tu appris ?
-Désolé cette question est trop vague.
Un court instant, j'avais oublié que ce n'était pas lui.
-Que faisais-tu sur Tera ?
-Tera est une colonie de la Première Vague, mais son isolement et des problèmes internes l'ont ramené à un stade archaïque et si tu trouves qu'à Thales la situation des femmes est horribles, ne va pas en Madhvane, tu vas avoir des envies de meurtre. Mais mes recherches m'ont permis de découvrir qu'ils ont découvert les Arches, du moins, ce qu'il en reste, et ouvert certaines voies intéressantes, tu devrais voir les aérostats qu'ils ont conçu, impressionnant vu leur niveau...
-Je m'en fiche de ça. Le lien avec ta mission. Les disparitions de vaisseaux.
-A priori les disparitions sont aléatoires, mais une étude approfondie m'a apporté une information capitale, Tera est l'épicentre.
-Hein !
Le ciel orageux disparu pour laisser apparaître une représentation de la Couronne de Mithra et de ses planètes habitées. Plusieurs points apparurent, symboles des disparitions et attaques ainsi que leurs dates. L'espace temporel entre chaque attaque varié de la semaine au mois.
-Vois ça comme un arrosage automatique, chaque goutte semblent atterrir de manière aléatoire, mais quand on prend le bon point de vue on constate qu'elle se concentre sur une même zone autour d'un même point de départ. Ce n'est pas flagrant aux premiers abords, car les responsables évitent les principaux axes commerciaux. Mais quand on fait abstraction de ce détail, tout paraît évident. Le point central, c'est Tera.
-C'est idiot. Tera n'a pas les moyens techniques de se rendre au-delà de son système sans se faire repérer.
-Exact. C'est pour ça que je pense que cette planète est une cible et non la responsable.
-Et tu as prévenu l'Impérium ?
-Oui. Mais il n'y croit pas, il préfère se concentrer sur Lyonesse. Une cible de choix pour une quelconque attaque. Tera n'est qu'un ramassis de barbare aux mœurs d'un autre Age.
J'ai réfléchi à ses découvertes.
-Mais pourquoi ses attaques ? Pourquoi Tera serait une cible ? Les mondes barbares ont certes une importance, mais n'appartiennent à aucune Puissances et ne pèsent rien dans la balance économique.
-J'ai ma petite idée, j'ignore où elle en est à ton époque, mais as-tu étudié les dossiers médicaux des disparu et des corps ?
-Non.
-Je ne t'en veux pas, j'ai mis du temps avant de me pencher dessus. Hormis le fait que les disparus sont jeunes et en bonne santé, il présente tous de petites anomalies dans leurs génomes, ouverture à des mutations.
-Tu es sûr ? dis-je incrédule.
Depuis le XXIe siècle de l'ancien calendrier, l'ouverture au transhumanisme part modification du génome humain a offert à l'humanité la possibilité à une longue vie sans les tracas de la vieillesse, de meilleure capacité intellectuelle, artistique. Transhumanisme qui s'était mué inconsciemment en eugénisme, entrainant la disparition de certaines « tares » de l'humanité (je me demande comment les personnes souffrant de cécité, de nanisme ou autre, on réagit quand on leur a fait comprendre qu'il n'avait plus le droit d'exister.), au point que deux milles ans plus tard l'humanité n'évoluent plus sur le plan génétique. Une stagnation qui empêche toute forme d'adaptation face aux virus ou autres éléments environnementaux sans passer par la case ingénierie génétique et orchestrant des modifications héréditaires.
Selon la communauté scientifique, il faudrait des siècles de générations inaltérées pour que les changements effectués s'attenus. Je sais que certains ont pratiqué cette technique avant que les chercheurs ne tirent la sonnette d'alarme, peut-être que les disparus faisaient partie de leurs descendants. Ou alors d'anciennes colonies barbares.
Après tout, sans personne pour entretenir ces modifications génétiques pendant des générations...
-Bordel de merde !
Ça paraissait si évident. Tera était un réservoir de gènes non altérés depuis deux mille ans, peuplé par une humanité qui s'était adaptée à son nouvel environnement naturellement. Une mine d'or que les Puissances lorgnaient sûrement comme toute autre colonie barbare. Ainsi que cet ennemi invisible.
-Ils réunissent une armée. Ils vont envahir Tera.
-Exact, approuva mon ami.
-Tu sais de qui il s'agit ?
-Non.
-Merde... attend, il y a peu j'ai été sur un champ de bataille qui a opposé les Adamants et cette menace. J'ai retrouvé des résidus d'armes organiques.
-Des armes organiques ? répéta Hélias, incrédule.
J'espérais que cet indice puisse apporter d'autres éléments, mais il se contenta d'un :
-Désolé, je suis limité dans mes réponses.
Face à mine déconfite, il ajouta.
-Je suis désolé de ne pouvoir t'aider plus que ça.
-Tu n'y es pour rien. J'aurais aimé pouvoir avoir accès à ses informations avant que ces crétins du Gantelet n'essaient de décrypter ton message et le corrompent.
-Hein ! Mais ils n'ont pas le droit de faire ça. Les messages sont transmis d'agent à agent.
-Tu es sûr ?
-Oui.
-Mais alors...
-Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Danemark. Il faut que tu finisses mon enquête et que tu sauves Tera.
-Et comment ? On m'a évincé.
-Tu ne manques pas de ressources. Je te fais confiance. Message délivré, destruction du fichier.
-Hélias !...  

  -... Non !
Je me suis redressé sur le lit de l'infirmerie d'un mouvement sec avant d'être pris de vertige. J'allais basculer quand Cyri me rattrapa.
-Du calme, dit-t-elle.
Une violente migraine me traversa la tête.
-Combien de temps ?
-Vingt minutes à peu près. Comment, c'était ?
-Troublant. Et on a de gros problèmes.
-Lesquels ?
-Hormis une série de disparition ? Le Gantelet est corrompu, encore. Je n'ai pas la moindre idée de qui est la menace et par-dessus tout, ta planète est en danger.   

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