Chapitre 28

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  Ouvert, fermé. Ouvert, fermé. Depuis combien de temps, j'effectuais se mouvement avec ma nouvelle main, une prothèse temporaire, recouverte d'une enveloppe en silicone d'un blanc au reflet vert ou d'un vert très pâle. Loin d'être aussi performante que mon ancienne prothèse, je n'éprouvais aucune réelle sensation de toucher. Je savais qu'il y avait contact avec les nerfs synthétiques puisque mon cerveau l'interprétait, pourtant cette sensation artificielle en était frustrante.
Allongé sur un brocard dans ce qui ressemblait à une infirmerie de fortune où s'entremêlait matériel médical d'un autre âge et technologie de pointe. On m'avait isolé dans un box de fortune derrière des rideaux. Je me suis redressait, constatant qu'on m'avait retiré mon armure pour ce qui était une vielle blouse et que ma peau était recouverte de câbles eux même relié à une machine. Un bip insupportable survint de l'engin et l'espace de quelques secondes après, le rideau s'ouvrit sur Aether. Il ne m'a pas incendié, il s'est contenté de se précipiter pour m'embrasser. Il recula ensuite avant de m'invectiver.
-Tu n'es qu'un crétin, un imbécile. J'ai cru te perdre, espèce d'enfoiré.
-Moi aussi je suis content de te voir, lui dis-je amusé.
Il s'époumona encore avant de se calmer.
-Comment ça se passe ?
-De ?
-Dehors.
Il a pris une profonde inspiration.
-On a gagné. Je sais pas comment, mais on a réussi. Les Evolutionistes se sont repliés après avoir subi de lourdes pertes. On pense qu'ils n'étaient pas près face à un réel conflit.
-Et vous avez construit cette infirmerie en si peu de temps.
-Dorian, s'était il y a deux semaines. Tu étais dans le coma depuis tous ce temps.
Je ne sais pas ce qui m'a le plus choqué, savoir que j'avais été hors service aussi longtemps, ou le reste de son rapport. Deux cents millions de morts en moins de douze heures. Se sachant perdant les Evolutionistes de l'Harmonie et du Quantech avaient provoqué un véritable charnier. L'horreur. Et encore, ce n'était pas tout, l'après-guerre et l'absence de sécurité avaient apporté son lot de seigneurs de guerre et autre perturbateur. Pacifier cette situation ne s'était pas fait dans le calme, gonflant le rang des morts.
Les maraudeurs de Lyonesse eux aussi souffrirent de la situation, ils n'étaient qu'une dizaine de survivants. Cyri, Sonja et Héméra en étaient. Un hommage leur fut rendu durant mon coma. Quant à Eve, elle était morte. Définitivement. Une vague de tristesse m'a submergé. Je pleurais une IA, non, une amie, qui en savait plus sur moi que moi-même. On avait fait isoler son corps au cas où je souhaiterais lui donner un dernier hommage.
-Et Elliott ?
Aether paru gêné.
-Il a fallu le mettre en quarantaine. Pour étudier l'étendue des dégâts qu'il aurait pu subir de l'extraction d'Adam et supprimer les modifications de l'Harmonie.
-Mais encore.
-Et le protéger des habitants de Tera qui veulent sa tête.
-Je dois le voir, et Cyri aussi.
-Tu les verras, mais d'abord, je dois faire un check-up complet avant ton rendez-vous.
-Quel rendez-vous ?
-L'Impératrice souhaite te voir.  

  Le genre de nouvelles qu'on n'attend pas. Que votre impériale frangine fasse le déplacement aussi loin de l'Impérium, ainsi que les autres dirigeants de l'Espace Humain. Leur venue ne remontait qu'à quelques jours. A bord d'un énorme cuirassé, sûrement l'un des rares modèles à pouvoir atterrir. J'ai quitté l'hôpital improvisé après plusieurs heures sous le regard instigateur d'Aether. Theine avait souffert, énormément. Les rues et avenues de la cité étaient juchés de décombres, de carcasses en tout genre et de corps. Au loin, on discernait distinctement l'épave de l'Endymion. les vaisseaux des puissances stationnaient au-dessus de la ville projetant une ombre qui pouvait être autant protectrice que menaçante.
Le cuirassé qui transportait les dirigeant des Puissance s'était posé à l'extérieur de la ville, en pleine campagne. Une fois mon identité transmise, je fus conduit à une navette qui me transporta là-bas. Theine était un véritable champ de bataille et la cicatrice serait encore visible pendant des années. En comparaison, la campagne était épargnée et les civils y avaient été transférés en grande partie dans des campements de fortunes.
La silhouette du cuirassé se dessina au loin, puissante et majestueuse, de forme allongée et épurée. La coque, or et argent du bâtiment reflétait la lumière et les bannières des Puissances représentés sur chacun de ses flancs. Nous sommes entré dans l'un des hangars. La sécurité passée, on me conduisit aux appartements alloués aux diplomates impériaux et l'Impératrice elle-même.
Théodora en personne, il était loin, le temps de notre dernière rencontre physique. Toujours impérieuse dans ses mouvements et sa tenue. Elle portait une complexe robe ample soulignant son ventre arrondi.
-J'étais inquiète, dit-elle une fois seul.
-Je crois me souvenir que c'est vous-même qui m'aviez intimé l'ordre de faire cette mission.
-Mon devoir d'impératrice consiste à faire des choix difficiles, dont ceux de mettre ma famille en danger.
Elle paraissait sincèrement inquiète, ce qui n'était pas pour me perturber.
-Ma sœur, je suis vivant. Avec de faux bras, mais toujours debout.
-Je le reconnais vous êtes tenaces, mon frère.
Elle s'est assise dans un fauteuil confortable et m'invita à en faire de même.
-Mes pairs de l'Union et de l'Hégémonie souhaitaient vous rencontrer.
-Je ne préfère pas, la Présidente m'intimide et le Primarque me terrorise.
Ma remarque l'a fait sourire.
-Je n'ai pas employé ces termes, mais j'ai décliné. Et puis nous avons fort à faire. Les autorités locales, ce qu'il en reste du moins, portent un œil accusateur sur tout le monde. Difficile d'être diplomate dans ces conditions, qui plus est, nous ignorons si nous devons les introniser dans la communauté spatiale ou les aider à se reconstruire et partir. Il n'y a jamais eu de précédent, même après Itaki.
-Au risque de récréer un culte du cargo, je déconseille la seconde solution. Mais ce n'est pas pour mon avis que vous m'aviez convoqué.
-Aaah, Nathanaël, vous n'imaginez pas à quel point il est agréable de converser avec des personnes directes. Je tenais à vous féliciter, pour le travail accompli.
-Quel travail ? J'ai échoué à identifier la menace, enfreint tellement de lois que je devrais être en partance pour la colonie pénale de Tartaros.
-Ce que je vois, vous avez persévéré pour découvrir la réelle menace et employé tous les ressources à votre porté pour la stopper. Certes, le prix à payer fut lourd, mais nous sommes là, à discuter, vivant et libre. Je sais que ce raisonnement peut paraître pragmatique, mais certaines fois, il vaut mieux se focaliser sur le résultat.
Ce qui était tout à fait vrai. Qu'est-ce qu'elle pouvait être agaçante.
-Alors, que va-t-il se passer ? Pour moi est les autres maraudeurs ?
-Vos compagnons ont-été fortement récompensé. Mais je vous déconseille de les côtoyer pendant un moment. De toute façon, les médias se sont emparés de votre histoire, je crains que Dorian Mead n'existe plus.
-Merveilleux, dis-je sarcastique.
-J'ai peut-être une proposition à vous faire, continua-t-elle.  

  On m'accompagna au centre médical du vaisseau tandis que je réfléchissais à la proposition de mon Impératrice de sœur. Devenir corsaire, au nom de l'Impérium, dans les Badlands. D'après elle, les Puissances étaient en plein pourparlers quant à la décision à prendre pour cette région de l'Espace Humain à la base ouverte à une colonisation libre en dehors de l'influence des Puissances. Vu sa situation politique actuelle, ma sœur et ses pairs faisaient appel à des compagnies de mercenaires privés pour calmer le Secteur. Il n'y avait plus de corsaires dans l'Espace humain depuis plus d'un millénaire, j'aurais mon propre bâtiment, une totale liberté et un équipage de mon choix sous mes ordres. Une idée très tentante.
La porte du labo franchise, je croisé un scientifique qui m'expliqua dans son charabia ce que l'Harmonie avait fait subir à Elliott, des mutations non-naturelle en vue de l'améliorer qui aurait détruit son organisme à moyen terme sans la participation d'Adam et ses nanites. J'ai retrouvé le terrien dans un caisson, baignant dans une solution jaunâtre. Il était inconscient.
-Je suis tellement désolé, murmurais-je.
-Tu n'es pas le seul.
Cyri venait d'arriver affichant un sourir amical et compatissant.
-Il voulait mourir, dit-elle. Il se souvient de ce qu'Adam a fait.
-Tout est de ma faute, j'ai conduis Chakir, Luang plutôt, jusqu'à cette foutue arche.
-Cette garce va payer.
-C'est bizarre, dis-je. Mais je crois qu'il y a deux Luang.
-Comment ça ?
-Je crois qu'une part d'elle était opposée aux actions des Evolutionistes.
Elle étudia la question.
-On s'en occupera plus tard.
-Oui, comment va ton poignet ?
-Nickel. Ils ont dû remplacer quelques os, mais je fais plus mal quand je frappe. Tu sais que tu aurais dû être transféré ici mais Aether voulait te garder à l'œil.
J'ai éclaté de rire, plus nerveusement qu'autre chose.
-Et ta famille ?
Elle s'est assombrie.
-Mes parents, mon frère et ma sœur sont vivants, mais... il y a eu des pertes. Dont une cousine à laquelle je tenais beaucoup.
-Je suis désolé.
-T'inquiète. Et toi, comment tu vas ?
-Je ne sais pas. Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas quoi faire.
-Je t'avoue que je suis moi-même perdue. J'ignore si je dois rester sur Tera ou repartir. Je sais pas si je pourrais rester une maraudeuse après tout ça et vivre détachée de tout problème spaciopolitique.
-Rien n'est jamais simple dans la vie Cyri. Mais si tu cherches une nouvelle voie, j'en ai peut-être une à te proposer. Mais avant je dois voir quelqu'un.  

  Un silence de mort. En temps normal, j'évite les morgues et celle-ci n'aurait pas échappé à cette règle si Eve n'y reposait pas. Le légiste ne l'avait pas approché, ni aucun scientifique qui pourtant désiré étudier ce corps à la fois organiques et synthétique. Le premier qui aurait approché un scalpel à la dépouille d'Eve l'aurait retrouvé dans son rectum.
Quand la porte de son casier s'est ouvert et le brancard déployé, j'eu un haussement du cœur fasse au visage vide et froid de mon amie. Morte, Eve était morte. Je n'avais jamais eu de sensation pareil, la mort semblait si lointaine, un concept devenu abstrait avec le temps. Et si je l'avais déjà donné et perdu des proches comme Hélias, je n'avais jamais ressenti un tel vide comme à cet instant.
Eve avait fait partie de moi. Une voix qui m'avait guidé et sortie de bien des guêpiers. Quand l'Harmonie me l'avait extirpé, j'en avais souffert, mais pas autant, car elle existé encore, certes sous sa forme primaire de nanites, mais elle était là. J'aurais dû prendre conscience plus tôt qu'elle n'était pas qu'une simple IA. Elle m'avait sauvé la vie plus d'une fois. Et moi, qu'est-ce que je lui avais offert ?
Eve m'avait remercié de l'avoir rendu vivante. En quoi ? Avait-t-elle vécu mes expériences de la même manière que moi ? Je la savais reliées à mon cerveau. En la libérant de ses contraintes peut-être avais poussé cette fusion plus loin que je ne l'imaginais.
Je n'en saurais rien. Eve était morte à présent, une coquille vide. Alan Turing disait que s'il lui demandait, Dieu offrirait une âme à un robot. S'il y a une quelconque autorité divine dans l'Univers, masculine ou féminine, avec deux ou douze bras, Elle a intérêt de lui en offrir une, sinon elle serait la pire des connasses.
Dans un dernier élan, j'ai saisi la main inerte de mon amie une unique et dernière fois... et j'ai écarquillé les yeux.   

Chroniques d'EpsilonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant