Lenora demeure silencieuse et l'observe. Il n'est pas difficile de comprendre que la vie des Hommes lui importe aussi peu que celle de ses confrères. Seul compte son confort et sa quiétude. Et si ces derniers n'étaient pas en péril, le massacre des habitants de Salamanque aurait pu continuer encore longtemps. Toutefois, une question s'ajoute : si cet homme n'occupe aucune fonction, en quoi pourrait-elle être une disciple ? Une disciple de l'égoïsme et du bien-être ?
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— J'étais sur le point de sortir mais je suppose que cela peut bien attendre, reprend Aurel en s'approchant de la table basse. Désires-tu quelques choses à boire ?
Sa gorge sèche la pousse à accepter alors que le vampire remplit deux tasses d'une épaisse boisson et son odeur, particulièrement sucrée, embaume la pièce. Ses papilles s'éveillent et avec appréhension, Lenora attrape le récipient qu'elle mène à ses lèvres. D'une première gorgée, la jeune femme s'imprègne de ce délicieux breuvage et à la prochaine, elle ne peut réprimer un grognement de satisfaction. Elle ignore de quoi il s'agit mais elle est certaine de n'avoir jamais goûté pareil nectar. La frustration s'installe très vite sur son palais, une fois fini, et à contre-cœur, elle dépose sa tasse.
— Installons-nous, veux-tu ? propose-t-il. Tu peux prendre la carafe afin de te resservir, si tu le souhaites.
L'intéressée ne se fait pas prier et prend place sur l'un des fauteuils face à la cheminée. Bien qu'elle ne ressente pas sa chaleur, le crépitement du feu la relaxe et, boisson en main, elle s'enfonce dans son siège. Les derniers événements lui paraissent si loin qu'elle a l'impression que ce passé ne lui appartient pas. Que cette peur, cette rage, toutes ces émotions qui l'avaient si vivement submergé n'étaient pas les siennes. Elle se sent comme sortant tout droit d'un rêve.
— Qu'entendiez-vous par disciple ? se décide à demander la jeune femme.
— Rester à mes côtés jusqu'à ce que tu aies assimilé tout ce que j'ai à t'apprendre.
— Et ensuite ?
— Tu seras libre de faire ce que tu souhaites. Tu seras un membre à part entière des BORGIA capable d'agrandir la lignée. Quoique peu d'humains survivent à la mutation.
— Et pourquoi moi ? le questionne-t-elle. Vous auriez pu me laisser mourir, je ne vois pas ce que vous pouvez bien faire d'une humaine qui ne peut pas protéger ses amis.
— Il n'y avait strictement rien de spécial en toi, avoue Aurel. L'odeur de ton sang est très fruité mais rien d'exceptionnellement alarmant. Tu étais là, j'avais besoin d'une disciple et plusieurs avant toi sont morts au cours de la mutation, un de plus, un de moins, résume-t-il, indifférent. Aucun de nous n'avions à perdre d'essayer.
— Vous êtes méprisable, lui apprend-elle de but en blanc avec une déconcertante neutralité.
— Je suis bien des choses, ajoute-t-il, tout dépend à travers le regard de qui. Avec le temps, tout cela ne sera que fadaises : ce qu'autrui pense, ce qu'autrui ressent.
Sourcil arqué, la jeune femme porte son verre à ses lèvres et plonge son regard dans les flammes dansantes. Il pourrait parfaitement simplifier son propos en disant que "tout ce qui n'est pas lui n'existe pas", elle n'y verrait aucune différence. Néanmoins, la généralité qu'il en fait laisse entendre qu'elle deviendra tout aussi égocentrique. Est-ce un trait typique de cette lignée ? Ou le résultat d'une très longue existence ? La réponse ne l'intéresse pas vraiment.
A vrai dire, peu de choses l'intéressent. Il y a bon nombre de questions qui lui traversent l'esprit : les conséquences de leur attaque à Salamanque, l'endroit où ils se trouvent à l'heure actuelle mais cela serait mentir que de prétendre qu'elle s'en préoccupe réellement. Elle se sent vidée de tout sentiment. Le dernier membre encore en vie de sa famille, son père, doit être plus soulagé qu'attristé de sa disparition. Elle ne laisse rien derrière elle alors à quoi bon s'y consacrer ?
Le silence s'installe. Aurel n'en paraît pas contrarié. Il sirote son verre là où Lenora les enchaîne. Finalement, il pose sa tasse et tout en se mettant de bout, annonce :
— Comme je te l'ai dit, je m'apprêtais à sortir ; souhaites-tu m'accompagner ? Tu es déjà apprêtée et il serait dommage de garder une telle tenue pour rester ici, avance-t-il alors qu'il l'invite à son bras.
Dans un soupir, elle l'accepte. Les choses semblent à la fois si simples et si complexes. Ces informations sur sa nouvelle identité la satisfont assez pour qu'elle s'y soumette et s'y adapte sans broncher. Pourtant, elle s'est connue bien plus tenace, bien plus rebelle. Cette étrange docilité ne lui appartient pas. Est-ce dû à un possible lien entre créateur et créature ? Ce serait logique que ce soit le cas.
Ils quittent le salon et sur la droite se présente une massive porte en bois, surmontée d'une fenêtre à petits-carreaux. Sans qu'il n'ait à lever le petit doigt, elle s'écarte et Lenora demeure interdite.
— Vous êtes certain de n'être qu'un simple vampire ? l'interroge cette dernière.
— Qui a dit une telle chose ? J'ai dit que je suis un vampire, pas un simple vampire.
Une fois les escaliers extérieurs descendus, la jeune femme se retourne et constate avec que la porte se referme lentement. Toujours avec autonomie. Dans quel monde se fait-elle entraîner ? Cette question fait doucement irruption d'autant plus, lorsqu'une statue apparaît sous ses yeux au moment de reporter son attention sur ce qui se fait devant ses pieds. Mais que font-elles là ? En effet, il n'y en a pas une mais bien trois statues qui ornent cette allée en pierre de part et d'autre. Elles semblent représenter des soldats romains, armés de leur épée, et à leur pied, des têtes coupées. La convivialité à son paroxysme.
A ces sculptures se mêlent des réverbèrent à gaz, quelques bancs en bois ainsi que des centranthes et hibiscus rougeoyantes qui, selon la manière dont elles poussent, ne bénéficient d'aucun entretien quelconque. Tout le long de l'allée, à environ un mètre de distance, sont posés des lampes à gaz qui l'éclaire elle mais aussi le plan de ce qui s'apparente à un labyrinthe, gravé dans une large plaque. Cela explique sûrement la présence de ces immenses haies, entretenues de façade.
— Pour quelle raison y a-t-il un labyrinthe ici ?
— Pour quelle raison n'y en aurait-il pas ? rétorque-t-il.
Cette réponse lui vaut une œillade courroucée de Lenora mais aussi son silence. Qui en a les moyens peut, en effet, construire ce qui lui chante, après tout. Ils s'enfoncent sur le sentier de la forêt environnante et sa vue s'ajuste à cette obscurité aveuglante. Certes, elle ne lui permet pas de distinguer les couleurs, seulement, elle lui donne la possibilité de discerner chacune des formes qui habite ce bois. Le ruissellement d'un lointain cours d'eau lui parvient et apaise cette lourde atmosphère.
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𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐹𝑒́𝑙𝑖𝑛𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 2]
VampireExtrait : 《 Comment expliquer que les événements qui se produisent à Salamanque n'ont aucun sens ? Après plusieurs jours de crimes, cela va faire près de deux semaines qu'il n'y a plus eu aucun corps de trouver, aucune trace d'actes cri...