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Sa bouche, restée entrouverte avec la ferme intention de répliquer à la moindre contradiction, se referme. Face à ses travers si paisiblement énoncés, une moue agacée prend place sur son visage alors que ses paumes se posent sur ses genoux, n'ayant d'autres choix que de s'appliquer. Cette journée sera plus épuisante que ce qu'elle pensait en quittant sa chambre.

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— Peux-tu m'indiquer la fourchette à poisson ? quémande Emilien sans la lâcher du regard. Ainsi que le couteau à entrée et enfin, le verre à vin rouge.

Pour la énième fois, Lenora soupire. Depuis quand existe-t-il autant de couverts ? Est-elle censée tous les connaître pour la cérémonie ? Sa main survole toute cette argenterie sans savoir ce qu'est une fourchette à entrée, un couteau à poisson et encore moins, un verre à vin rouge. Cela signifie-t-il qu'il existe un verre à vin blanc ? Ces réflexions créent un plissement entre ses sourcils.

Quant au vampire, il l'observe sans ciller. Cela fait d'ailleurs plusieurs minutes que c'est le cas. Depuis son arrivée dans cette salle pour ainsi dire, et elle ne s'attendait pas à ce que cela s'avère plus oppressant que si celui qui lui faisait face lui voulait du mal. Tentant d'ignorer cette inspection détaillée de sa personne, elle se décide à faire preuve de logique bien que l'art de la table lui échappe en tout point. Emilien détourne enfin son regard et un léger rire secoue sa poitrine. Vient-elle de lui témoigner toute l'étendue de son ignorance ?

— Vous auriez eu tout juste si j'avais demandé un couteau à viande, une fourchette à poisson et un verre à vin blanc.

Ou comment lui annoncer avec tact qu'elle a tout faux. Un soupir bruyant lui échappe et ses mauvaises habitudes revenant au galop, sa joue retrouve le doux creux de sa paume. Plus surprenant encore, le vampire ne lui en tient rigueur. Son attention est braquée sur un point dans le dos de Lenora et curiosité oblige, celle-ci se retourne.

Une fillette à la longue chevelure rousse et frisée se tient au pas de la porte. Son visage pâle quelque peu joufflu n'exprime rien. Il n'y a que ses yeux saphirs, plantés dans le regard brun de Lenora, qui expriment son intérêt pour sa personne.

— Que veux-tu, Charlotte ? l'interroge Emilien.

L'enfant demeure silencieuse et resserre son étreinte sur la poupée aux traits réalistes qui se trouve entre ses bras. Quoique courte, la crinière du jouet est similaire à la sienne et son regard sang paraît également fixé sur la Saragossane. Leurs iris, plongées dans les siennes, paraissent sonder son âme et leur intensité est telle qu'elle est certaine d'avoir ressenti un frisson parcourir son corps.

Inexplicablement, à mesure que le contact visuel se prolonge, son corps s'engourdit, ses paupières s'alourdissent et sa vue se trouble. Seul ce mélange de feu et d'eau demeure distinct. Les signaux d'alerte s'enclenchent dans son être et pourtant, Lenora ne parvient pas à reprendre ses esprits afin de se détourner de cette enfant qui semble être la cause de ces anomalies. Emilien l'interpelle à plusieurs reprises, en vain ; comme hypnotisée, rien ne peut interférer.

D'étranges visions lui apparaissent alors. Celles d'un manoir se faisant consumer par les flammes. Une sombre et épaisse fumée qui s'échappe de larges fenêtres desquelles des personnes quémandent désespérément de l'aide. Néanmoins, nul ne viendra et si le contraire devait se produire, les secours n'arriveraient pas à tant. Une épaisse forêt entoure l'habitation, l'isolant de la civilisation et empêchant toute intervention immédiate.

L'odeur de la chair carbonisée s'élève et s'accompagne de cris perçants. Du coin de l'œil, un mouvement lumineux attire son attention et en s'y intéressant, la jeune femme remarque une silhouette dont les mains sont habitées par les flammes. Cette dernière, observant le brasier avec une telle sérénité, en serait la cause ?

Peu à peu, tandis qu'elle se détourne de l'incendie, la lueur au creux de ses paumes tarie et Lenora discerne l'ombre d'un enfant. Une chose semble pendre à son bras mais impossible de l'identifier. Main dans la main, elles s'enfoncent dans la sylve et avant de s'engouffrer dans l'obscurité, des iris azurées rencontrent les siennes.

— Charlotte, il suffit ! vocifère l'homme.

Son poing s'abat sur la table et cet étrange envoûtement s'interrompt d'emblée. La surprise se lit sur la frimousse de la rousse et elle tourne vivement les talons, disparaissant dans le couloir. Intriguée, la jeune femme s'apprête à partir à sa poursuite lorsqu'un raclement de gorge la ramène sur Terre.

Son regard se pose sur l'homme dont le sourcil arqué témoigne de son faible étonnement et celui-ci lui mime de toucher son nez duquel s'écoule un fin liquide. En l'analysant du bout des doigts, la vampire constate très vite par sa couleur vermeil qu'il s'agit de sang. Il n'a pas d'odeur, il est froid, d'une texture et d'une teinte différentes car il ne détient aucun des apports vitales à l'homme en son sein.

Bien qu'inédit, confrontée à son propre sang pour la première fois, ce fluide lui démontre une fois de plus l'absence de vie qui règne en elle. Un corps glacial, une peau insensible, un cœur sans battement, des émotions rabougries et un sang accessoire : elle est tout ce qu'il y a de plus mort.

— Vous ne devriez pas vous approcher de Charlotte, conseille le MARCHAL. Malgré son jeune âge apparent, elle a plusieurs siècles derrière elle et des pouvoirs inimaginables. Rares sont ceux qui sortent indemnes d'une rencontre. Le sang sur votre main en est la preuve.

Les mots du professeur la désintéressent en tout point. Ses yeux se détachent brièvement de sa main pour observer le vampire qui lui fait face. Elle n'à que faire de ses avertissements. Le cours de ses pensées précipité, brouillé, désorganisé lui donne la vague impression d'y voir plus clair dans sa nouvelle vie.

Elle est morte et pourtant, depuis des mois, depuis cette seconde naissance, sa vie se résume à apprendre, encore et encore. L'attaque, la défense, la stratégie, l'histoire, tout ce qui fera de sa personne un parfait vampire. Le peu qui l'intéresse lui est interdit, de même pour le seul plaisir vampirique, celui de s'abreuver à la source.

Ironiquement, elle mourrait d'envie de plonger ses crocs dans de la chair humaine, à la recherche de cet onctueux nectar. De découvrir les sensations que cela lui procurerait. Aurel lui répète sans cesse qu'elle n'est pas prête mais comment pourrait-elle le savoir alors qu'il ne l'autorise pas à essayer ? Conduite par ces nouveaux désirs, Lenora quitte la pièce sans un mot.

— Mademoiselle BORGIA ! la hèle Emilien en lui emboîtant le pas. Mademoiselle BORGIA !

La démarche chancelante, celle-ci prend la direction de l'aile Ouest. Sa vue qui se voile sans arrêt et le couloir qui ne cesse de tourner l'obligent à prendre appui sur le mur dans sa progression. Du revers de la main et à maintes reprises, elle essuie le sang qui s'échappe inépuisablement de sa narine mais rien n'y fait. De légères gouttelettes se forment, s'abattent sur le carrelage et viennent résonner dans ses oreilles bourdonnantes.

— Mademoiselle BORGIA ? l'apostrophe une voix familière.

Un corps surgit devant l'intéressée et lui fait obstacle. Qui est-ce ? Lenora a beau examiné cet homme de la tête aux pieds, elle ne le reconnaît pas. Cette aura et cette odeur ne lui sont pas inconnues cependant, identifier leur propriétaire demeure impossible. Et avant de pouvoir pousser son analyse, ses jambes cèdent sous son poids et elle s'écroule lamentablement.

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𝐴𝑟𝑡𝑒́𝑚𝑖𝑠 : 𝐿𝑒 𝐶𝒉𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝐹𝑒́𝑙𝑖𝑛𝑠 [𝑇𝑂𝑀𝐸 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant